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De la parole à la production d'écrits

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Mars 2011
L’expression écrite est bel et bien au programme de l'école élémentaire et en particulier son importance a été accrue dans le contenu du cycle des approfondissements. Et c'est un bien. (Les cycles vivront-ils longtemps, Ça c'est moins sûr !)
 
Cependant les pratiques d'écriture ne suivent pas, et le plus souvent les enseignants se contentent de dire que les enfants n'ont pus d'idées. Dans le meilleur des cas (et c'est déjà pas si mal) les pratiques se résument à l'imitation-reproduction d'écrits types (lettre adressée à un destinataire fictif, conte, télégramme, etc...) dont des exemples sont donnés dans le manuel.
 
 
 
Donner du sens au travail.
 
À l'ICEM nous avons toujours pensé que le problème de l'écrit ne se résumait pas à un problème purement technique, qu'il se posait surtout en terme de. fonctionnalité dans le cadre plus large de l'expression et de la communication. L'écrit prend alors sa vraie dimension d'outil de communication ou de mémoire collective (et aussi personnelle).
 
II est donc indispensable si l'on veut susciter des écrits dans une classe de mettre en place des situations multiples et variées de prise de paroles, d'échanges, d'expression et de communications. Mais si " l'amont " de la production d'écrit est indispensable, " l'aval " est tout aussi important : la socialisation des productions donne un sens aux exigences linguistiques sur leur contenu. (journal scolaire, lettre à un spécialiste, album pour les correspondants ... )
 
La pédagogie Freinet est riche de ces situations authentiques d'expression et de communication comme le montre le tableau récapitulatif: lire et écrire des écrits variés.
Mais la richesse du milieu ne réussit pas toujours lorsque le temps nous est compté (avoir les enfants une année seulement), lorsque la pression extérieure (parents, collègues, institution) exige du " rendement ", lorsque les enfants sont très inhibés .face à l'écrit pour des raisons multiples (souvent un vécu scolaire douloureux). Que faire alors lorsqu'on souhaite promouvoir l'expression libre des enfants ?
 
Amorcer la pompe !
 
Exiger des " textes libres " ? Attendre que l'expression des enfants se débloque spontanément ? (voir contraintes et pressions ci-dessus)
De nombreux camarades du mouvement ont été confrontés à ces dilemnes.
II est possible, si l'on peut agir sur le statut psycho-social de l'enfant dans le groupe, que la représentation qu'il se fait de lui-même, de ses droits et de ses possibilités, de sa valeur, évolue positivement et que l'enfant s'autorise enfin à s'exprimer par écrit. Les pratiques institutionnelles sont des outils qui permettent cette évolution mais ce n'est pas l'objet de cette communication.
 
Parallèlement, certains d'entre nous ont mis au point des techniques mixtes d'incitation à l'écrit qui font l'objet de variantes d'organisation et de contenu en fonction de leur classe et de leur choix personnel.
Pour illustrer ces techniques, je vous livre ici la dernière version de ma pratique dans la classe de CM1 -CM2.
Au cours du moment consacré à l'expression écrite, les enfants avaient le choix entre trois activités : (Ils pouvaient écrire à tout autre moment.)
- Écrire un texte libre personnel.
- Écrire un texte à partir d'un lanceur (seul ou à deux)
- Participer à l'atelier d'écriture.
Il arrivait que les choix exigeassent (je crois que c'est la forme juste) plusieurs groupes pour l'atelier d'écriture.
 
Les lanceurs.
 
J'en ai pris certains chez plusieurs copains dit mouvement (en particulier Denis Roycourt et J.F Inisan ), j'en ai fabriqué d'autres au fur et à mesure de ma pratique en classe.
Il s'agit essentiellement de documents sous transparent A4.
 
- des photographies qui sollicitent l'intérêt ou l'affectivité des enfants (photos tirées de magazines divers)
- des dessins variés (humoristiques, fantastiques, etc... )
- des Bandes Dessinées dont les bulles ont été " blanchies " ou supprimées.
- des .feuilles imprimées contenant des titres de textes.
- des textes divers illustrant les différents types d'écrits mais qui ont été écrits par des enfants ; ces textes sont issus de Journaux scolaires. Cette technique de mise à disposition de textes d'enfants pour donner des idées à d'autres enfants a été baptisée " effet yaourt " par P. Clanché. (L'enfant écrivain)
- des feuilles imprimées contenant des débuts de textes d'enfants ou d'auteur.
- de liste de sujet de " rédaction ".
 
Il existe certainement d'autres lanceurs,- il y en a aussi dans le commerce sous des formes diverses ; logiciel de création, jeux de cartes pour créer des contes...
 
Ces lanceurs étaient à la disposition des enfants dans la classe, soit pendant le moment réservé ü l'expression écrite soit à tout autre moment, et étaient utilisés librement par les enfants dans le cadre de leur travail autonome.
 
 L'atelier d'écriture.
 
Il concernait donc les enfants qui n'avaient pas d'idées pour écrire ou ceux qui avaient envie d'y participer. Concrètement.je regroupais les 6 à 10 enfants (Jamais plus) autour d'une grande table rectangulaire (la table des " leçons ") pour cet atelier d'écriture.
Pour cette technique, les conceptions et les objectifs de chacun sont variés.
 
Le principe en est le suivant : le faible nombre de participants, la forme ludique donnée à l'activité et les petites contraintes-consignes libèrent les enfants de leur inhibition face à l'écrit.
 
De plus la modulation des exigences et l'assurance d'écrire sans être jugé (rôle essentiel de l'enseignant qui mène le jeu) créent un climat de confiance indispensable pour libérer l'expression des enfants.
 
Les objectifs  peuvent être d'ordre psychologique, voire psychanalytiques pour certains, ou didactiques en fonction de la nature de « l’exercice-jeu » proposé.
On peut trouver de nombreuses idées* dans un petit fascicule édité par l’ICEM, intitulé « Ah ! vous écrivez ensemble ». Paul Le Bohec.
 
Voici quelques " exercices " que j'utilisais dans le cadre de cet atelier, autour de la table des leçons alors que les autres enfants étaient à leur place pour écrire leur texte personnel.
 
Les enfants et le maître vont écrire sur des feuilles ou sur un cahier réservé à l'écrit, puis chacun lira sa production au groupe s'il le désire. (Le droit de ne pas lire son texte est reconnu à tous, et les enfants utilisent quelquefois ce droit uniquement pour le plaisir de l'exercer !)
 
* texte sur commande
a) Un enfant donne un mot (ex : fleur), un deuxième un autre mot (ex : lion).
Consigne :
on écrit une petite histoire dans laquelle on utilisera les deux mots choisis.
Variantes : avec trois mots; le meneur demande un nom, un verbe, un adjectif ou un adverbe. (en fonction du niveau des enfants)
b) la roue imaginative. (Mandala)
Même principe mais à l'aide d'une roue en carton constituée de trois disques concentriques sur lesquels sont écrits des mots choisis. (3 mots alignés sont choisis comme support d'un texte.)
 
* utilisation des lanceurs. (Photos, BD, Titres, Dessins ... )
Consignes à partir des lanceurs. On écrit une histoire à partir de...
Les variantes concernent la limitation du choix. Par exemple, la même photo pour tous. On cornparera les productions non pas pour établir une évaluation mais pour remarquer des dïfférences linguistiques (narration, dialogue, etc.~..) On pourra aussi observer la place du narrateur dans le texte, les ruptures de récit, etc...
 
*acrostiches.
Exercice connu, mais qui permet de varier l'approche poétique. Mots simples ou affectifs. (nuit, neige, ami, bleu, etc...)
 
* question réponse.
 On écrit tous, sur une petite feuille, une question commençant pur le même mot. (comment, quand, où, qui ...)
On écrit sur une autre, feuille la réponse à la question qu'on a posée. On place toutes les questions dans un " chapeau ", les réponses dans un autre. Chacun tire une feuille de chaque chapeau et lit l'enchaînement question réponse...
Surprises, rires et remarques.
 
* le dictionnaire.
Le meneur de .jeu (et plus tard un enfant) cherche des mots bizarres ou inconnus dans le dictionnaire. Les enfants doivent inventer une définition avec le plus d'imagination possible.
ex : galipoter ! verbe, .... quercitron ! n.m; ... zinzolin ! n.m; ...
Galipoter : V du 1 ° G, signifie manger goulûment quand on parle du kangourou.
Les exigences didactiques seront différentes en .fonction du niveau et des choix.
On remarquera peut-être au différence entre définir un mot et utiliser ce mot pour en fonder le sens.
 
* les tournantes (textes collectifs)
Lorsque les enfants sont plus à l'aise sur le plan de l'expression et qu'il n'ont pas trop de difficultés sur le plan graphique, on peut tenter des écritures tournantes. L'enfant écrit, puis passe son cahier au voisin...
a) écrit à base de groupe de mots (inventaires à la Prévert)
b) phrases commençant par un infinitif. (textes poétiques)
c) cadavres exquis et variantes.
d) textes tournants : chacun des participants commence une histoire (une à plusieurs lignes, c'est selon les enfants) puis au signal du meneur de jeu, passe son cahier à son voisin de droite. Celui-ci doit lire silencieusement le texte et poursuivre le récit de façon cohérente (ou non). Au signal du meneur de jeu, la rotation continue. Lorsque les cahiers reviennent à leur propriétaire, chacun lit en silence le texte ainsi obtenu. Ensuite la lecture à haute-voix peut commencer, et les remarques aussi.
 
Et puis encore...
Et quand est à court d'idées, on peut :
- inventer des titres de textes, de livres, de films.
- inventer des proverbes.
- écrire le début d'une histoire.
 - déformer un poème, un texte.
Et encore, il existe d'autres formes d'exercice. L'incitation à l'écrit peut venir d'un objet, d'une musique, d'une oeuvre d'art, etc...
 
Outre le plaisir d'écrire (et c'est déjà énorme) et l'aspect " déblocage de l'écrit " que permettent cette activité, ces exercices autorisent une foule de remarques sur le fonctionnement de la langue française ; remarques syntaxiques, lexicales, sémantiques, orthographiques.
Ils nécessitent aussi des savoir-faire graphiques et des compétences de lecture (silencieuse et orale), et donne l'occasion aux enfants de travailler sur les typologies de textes, sur la macro-sctructure du récit, sur les connecteurs, sur lu concordance des temps...
 
En fait, à travers ces exercices d'apparence anodine, les enfants manipulent la langue française et l'observent à travers leurs découvertes et leurs erreurs.
Le rôle du maître est essentiel ; c'est à lui de doser la part de didactique et de plaisir d'écrire en fonction des enfants et du moment.
 
Il ne s'agit ni de faire des exercices, ni des leçons de grammaire.
 
La reprise de ces remarques dans le temps permettra aux enfants de se construire des savoirs par l'expérience; les moments de .synthèse que le maître pourra faire ensuite n'en seront que plus justifiés et plus profitables.
Ces exercices de style ne constituent pas " une fin en soi " ; ils ont pour but de donner davantage de confiance et de compétences aux enfants dans le domaine de l'expression écrite. Il y a d'autres façons d'aborder l'écrit ; celle-ci en est une de plus, parmi d'autres. En particulier, il est indispensable de s'interroger sur la place du texte libre par rapport à cette pratique.
 
 
Certaines de ces productions pourront faire l'objet d'un travail de réflexion en petit groupe et de réécriture par son auteur. Il paraît indispensable d'habituer les enfants à retravailler leurs textes, comme le font tous ceux qui ont goûté à l'écriture.
Jany Gibert
 
* De nombreux ouvrages peuvent donner des idées sur ces pratiques en plus du fascicule de l'ICEM déjà cité.
Trois volumes chez Magnard : Petite fabrique de littérature.
La Scribure de Rolande Causse. (Buchet-Chastel)
 
 
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