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Juin 2000

CréAtions n° 92 - Engagements - mai-juin 2000

Collège K. Thoueilles - Monsempron-Libos ( Lot-et-Garonne) – Enseignants: Hervé Nunez

 

  Le trombone de Thibaud  

Au collège K. Thoueilles, Monsempron-Libos (Lot-et-Garonne) existe un « atelier de pratique » option Arts plastiques depuis trois ans – Enseignant : Hervé Nuňez

Cet atelier de deux heures hebdomadaires est d’abord ouvert aux élèves de quatrième, mais des élèves de cinquième y participent en nombre car l’emploi du temps de quatrième est trop chargé (soutien etc.)
A l’atelier, pas de contrat de travail : aucune obligation de résultat. Ce qui unit les quinze élèves est d’avoir manifesté librement le désir d’en faire partie.

 

 

 

Rôle du professeur dans l’atelier


Le professeur est là pour informer ponctuellement sur une manifestation à venir à laquelle les élèves peuvent prendre part ; pour expliquer au besoin une notion, pour présenter un nouvel outil ou un mouvement artistique dont la problématique se rapproche de certaines productions en cours.
Pour ceux qui l’acceptent, il organise aussi de temps en temps des rencontres avec des personnes extérieures au groupe (artistes, conservateurs de musées, etc.). Il propose des sorties pédagogiques dans des centres d’art ou dans les « résidences d’artistes » de Monflanquin, pour rencontrer des jeunes artistes : pour les voir dans leur atelier, pour discuter de leur démarche et assister finalement à l’exposition qu’ils doivent produire au bout de trois mois de résidence.
Il cherche également des correspondants à proposer aux élèves, comme cet « échange » qui est en cours de concrétisation pour l’année à venir avec deux lycées proches.
Pendant la séquence de l’atelier, il parle individuellement avec les élèves ou avec les groupes : il parle avec eux de leur activité, de leur inactivité, de leur passivité, de leur dissipation. Pour faire le point sur la production ; pour parler du présent ; pour envisager les perspectives à court et à long terme.
Il est aussi là pour garantir la sécurité des élèves.

Et peu à peu s’engage une problématique de «pratique personnelle d’expression».

Depuis trois ans que cet atelier existe, Thibaud s’y est inscrit régulièrement : une année de cinquième, deux années de quatrième.
Cela a été l’occasion pour lui de poursuivre des activités qu’il menait déjà chez lui, d’élaborer des projets avec d’autres, de montrer, de parler, de « gaspiller » parfois du matériel ou de ne rien faire pendant quelque temps, tout cela sous le regard du professeur qui lui permet tous ces « tâtonnements ».
Ainsi, je l’ai vu tour à tour produire des constructions à partir de matériaux qu’il ramenait de chez lui ; je l’ai vu concevoir un projet de « jeu vidéo » avec deux autres camardes, projet jamais réalisé, je l’ai vu écrire ; je l’ai vu avec deux autres camarades investir (nettoyer, ranger) une salle vétuste de l’établissement pour y travailler ou y exposer leurs œuvres. Dernièrement, il dessinait au charbon de bois des organisations linéaires abstraies très diversifiées sur des supports de formats multiples…

 

 

  

 

Les mésaventures du trombone
Il y aurait/aura tant de choses à dire sur l’investissement de Thibaud, sur ses œuvres, qu’un article ne suffirait pas. Je voudrais simplement raconter les soubresauts d’un de ses projets, soubresauts qui marquent bien la difficulté pour les élèves d’être reconnus en tant qu’individus dans la structure scolaire.
 
Mardi 26 mai 1998
Dans le cadre de l’atelier Arts plastiques avec M. Nuňez, j’aurais envie de créer une sculpture.
Elle serait en métal (tube creux de 25 mm de diamètre).
De la forme d’un trombone (comme ceux qui servent à tenir les feuilles), elle symboliserait l’idée « d’école » : retenir, mettre ensemble. C’est aussi l’idée de « grandeur », de passer du petit à l’immense.

Elle ferait 3 m de haut et 1 m de large.
Si vous l’acceptez, je veux la réaliser à l’intérieur du collège, sur la pelouse qui domine la cour ou accrochée au mur de l’administration tout à côté.
Pour la réalisation, je me suis procuré le tube (. H., le père d’Anthony qui est en troisième).
Par contre, j’aurais besoin de peinture (1000 F) et d’un crédit pour cintrer le métal (à peu près 3000 F).

Je suis à votre disposition pour d’autres renseignements et espère que vous pourrez me donner une réponse assez vite.
Merci pour votre écoute.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, madame, mes sentiments les meilleurs.
Thibaud

 

Situation dans l’impasse
Le père de Thibaud m’a un jour informé que Thibaud était désabusé, qu’il ne croyait plus en rien, qu’il avait l’intention d’arrêter l’atelier…
J’ai parlé avec l’enfant pour lui dire que de grands artistes avaient souvent eu des problèmes avec leur travail.
Tel Constantin Brancusi avec son « oiseau » (les douanes des Etats-Unis ne voulaient pas le considérer comme une œuvre d’art et un procès a eu lieu pour en « définir » la nature). Je lui ai dit qu’il était un peu le Brancusi du collège, que son « parcours » servirait à d’autres, qu’il servirait aussi la « cause » des œuvres des élèves à l’école…
La commission de sécurité n’est jamais passée ou alors nous n’en avons pas été informés.
L’œuvre a été présentée de temps en temps dans diverses manifestations dans le collège. Madame la Principale, de bonne volonté, a étudié la faisabilité d’une autre présentation de l’œuvre, de manière plus sécuritaire, mais même avec une perspective de placement « provisoire » comme nous l’avions imaginé un temps, le trombone n’a jamais trouvé sa place.

 

Madame,
Depuis un an maintenant, je travaille sur un projet de réalisation d’un trombone monumental dans le cadre de l’atelier Arts Plastiques tenu par Monsieur Nuňez.
Ce trombone, comme vous l’imaginez, n’est pas un trombone comme les autres car je pense que cette réalisation ne servirait à rien s’il était à l’échelle 1 : il fait donc 4 m de haut et 1 m de large.
Vous comprenez maintenant !
Il est fait de 15 m de tube métallique environ. Son diamètre est de 3 cm.
Mes étapes de fabrication sont :
- fabrication des plans du trombone,
- la recherche du métal (chez M. H., entrepôt de récupération de métal),
- la fabrication du trombone (chez M. D., ancien plombier),
- peindre le trombone en orange au collège),
- délibération au conseil d’administration du collège (14 voix pour, 1 voix contre, 2 voix blanches),
- rendez-vous chez Mme la Principale avec M. Nuňez,

- attente du passage de la commission de sécurité.

Madame la Principale
A la commission de sécurité,
Depuis deux ans maintenant, j’ai réalisé une sculpture dans le cadre de l’atelier Arts plastiques tenu par Monsieur
Nuňez. Cette sculpture a présenté plusieurs étapes, cela paraît peut-être simple, mais pour la créer, il y a tellement de règles à respecter comme celle-ci : vous la présenter pour des raisons de sécurité.
Tout d’abord, ma sculpture est un trombone (vous attachez sûrement vos documents ou autres). Mais il est monumental : il fait quatre mètres de hauteur et un mètre de large, réalisé en tube métallique de trente millimètres de diamètre.
Etapes de la fabrication :
- J’ai trouvé l’idée qui me paraissait flagrante mais réalisable. D’abord je ne m’imaginais pas que ceci allait prendre autant de temps.
- J’ai commencé à me renseigner sur le matériel dont j’avais besoin, du tube en métal que m’a donné, avec mes remerciements, M. H. employé dans un entrepôt de récupération de métal.
- J’ai procédé à la fabrication du trombone avec M.D., retraité et ancien plombier, qui a réalisé les soudures et la mise en forme du tube, gratuitement. Je le remercie aussi.
- Enfin je procédai à la dernière partie de la fabrication : le peindre en orange (la peinture a été achetée par le collège après une lettre que j’ai envoyée à Mme la Principale). Content de mes efforts, je croyais avoir finit et M. Nuňez et moi avons pris rendez-vous avec Mme la Principale. Au cours de cet entretien, elle m’a appris qu’il fallait que mon trombone passe au conseil d’administration du collège.
- Quelques mois après, ils m’élirent donc à la majorité favorable) ce que l’on installe le trombone dans le collège (14 voix pour,1 voix contre, 2 voix blanches).
- Après, j’ai eu un autre entretien avec Mme la Principale qui m’a appris qu’il fallait que ma sculpture passe au conseil de sécurité.
- Je vous ai fait cette lettre pour que vous compreniez un peu mieux ma sculpture.
Merci pour votre écoute. Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, Mesdames et Messieurs, mes sentiments les meilleurs.
Thibaud

Symbolique à méditer

Les deux abstentions au conseil d’administration ont été celles de Mme la Principale et de la gestionnaire (pour des raisons de sécurité) ; la voix « contre », celle d’un parent d’élève qui a dit ; « si on commence avec un, ils vont tous vouloir en faire !... »                 
                                                Engagement…

                           

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sculpture, installation, exposition