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Notre voyage à Haguenau

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Février 1976

 

NOTRE VOYAGE À HAGUENAU
Tout a commenpar une correspondance entre deux classes de 6e de Haguenau et de Grand-Quevilly, en 74/75.
Juste avant les vacances de Noël, les élèves d'André Sprauel nous demandèrent si nous acceptions de correspondre avec eux.
 
En janvier 75, nous avons répondu, en envoyant chacun un texte libre avec quelques dessins ; un colis nous est vite parvenu : nos textes avaient été enregistrés par les enfants de Haguenau. Grand étonnement des élèves de Grand-Quevilly qui se demandaient s'ils ne faisaient pas exprès de parler ainsi !
Et les échanges ont continué : lettres qui devenaient de plus en plus individuelles, petits cadeaux, des cailloux même pour un collectionneur. Un jour, ce fut l'arrivée d'un gros colis avec un Kugelhopf. Quelle joie pour les enfantsde Grand-Quevilly et quel régal ! ! !
 
UN VOYAGE-ÉCHANGE
Bien sûr, on a parlé, très vite, d'aller à Haguenau et de recevoir les correspondants.
Cet échange a pu se faire.
Les deux voyages ont eu lieu dans les mêmes conditions : en trois jours mardi, mercredi, jeudi, (nous avons droit à deux jours de congé), par le train (75 % de réduction pour un voyage de plus de 400 kilomètres aller/retour en trois jours).
L'accueil a été très chaleureux ; les parents, des deux côtés, se sont mis entièrement à la disposition des enfants. Sur place, il y a eu visite des deux villes, de la région, et le soir, une veillée a été organisée au cours de laquelle ont été présentés des chants, des danses et surtout des sketches.
Les enfants sont revenus très, très heureux. Des liens sérieux se sont créés. Plusieurs élèves de Grand-Quevilly vont retourner en Alsace et des alsaciens viendront pendant les vacances à Grand-Quevilly. Des parents aussi doivent serencontrer.
 
POSITIF ... ?
Certes, cette correspondance a donné à la classe toute sa vie ; les enfants et moi-même nous y sommes engagés à fond ; mais nous consacrions parfois quatre heures de notre semaine (sur six heures) à écouter, lire ce que nous avions reçu, à préparer notre envoi : lettres, dessins, enregistrements surtout. Souvent, d'ailleurs, les enfants écrivaientleurs lettres à la maison. Et je les sentais inquiets parfois, inquiétude souvent suscitée par les parents, qui craignaient que les enfants perdent leur temps. Comment leur faire comprendre qu'ils font du français, de l'orthographe,de la grammaire quand ils écrivent leurs lettres, quand ils me demandent comment s'écrit tel mot, quand nous rédigeons notre lettre collective ou une lettre au maire pour le remercier d'avoir donné un car, quand on enregistre des sketches inventés par eux, etc. Je pense à cette réflexion d'un enfant, très préoccupé, qui me disait : "Si je ne vous ai pas l'an prochain, bien sûr, je ferai plus de dictées, mais il n'y aura pas de Haguenau".
Cette inquiétude, je ne l'ai sentie qu'à travers les enfants, car aucun parent, lors de nos rencontres pour la préparation de cet échange, ne m'en a parlé. Ce voyage a d'ailleurs été pour moi un moyen de rencontrer les parents pour d'autres problèmes que les problèmes scolaires et individuels. Nous nous sommes mieux connus. Le groupe-classe, également, est devenu plus uni et j'ai vraiment appris à connaître mes élèves, que je souhaite retrouver l'an
prochain.
Cet échange a été très positif mais je crois que je suis très inquiète, moi aussi, quand je pense à tout ce temps que j'ai dû y consacrer. Mais nous avons été si heureux ! ...
Huguette GALTIER - Juillet 1975
C.E.S. Grand-Quevilly (76)
 
En écho à l'article de Huguette Galtier ...
NOTRE VOYAGE À GRAND-QUEVILLY
La lecture du projet d'article de Huguette m'a incité à faire à mon tour un bilan, à tête reposée, de ce voyage-échange
... Certes, cette aventure a fait bien des heureux parmi les élèves et aussi parmi les parents. A Haguenau il a même suscité l'enthousiasme du Principal (il faut dire qu'administrativement nous n'avons pas "dérangé" grand'chose puisque ça n'a coûté qu'un seul jour d'absence de ma part - tout le reste étant pris sur deux mercredi et sur une journée de congé mobile - et une petite participation financière au prix du car qui a servi àtransporter nos correspondants dans notre région).
 
ASPECTS QUI ME PARAISSENT POSITIFS
Découverte
Les élèves ont eul'occasion de faire un grand voyage, souvent pour la première fois (Denis nous a même confié que c'était son premier voyage en train !). Ils ont également découvert un peu Paris (nous y avons fait deuxétapes de plusieurs heures) et, bien r, la ville, le port de Rouen et la campagne normande.
Ils ont vu leurs correspondants dont ils ne connaissaient que criture et la voix enregistrée au magnéto. Cela est très important pour sentir le rapport qui existe entre un texte écrit (un texte libre, par exemple) et la personne qui en est l'auteur. Avec leurs camarades, ils ont vu aussi une autre "classe de 6e "ailleurs''. Ils ont pu aussi se situer eux-mêmes. L'idée qu'ils se faisaient de leur groupe-classe s'en est sûrement trouvée démystifiée (on leur disait sans arrêt qu'ils formaient une "mauvaise classe ! ). A l'occasion de cette rencontre-découverte bon nombre de mes élèves se sont affirmés, sont devenus plus sûrs d'eux face à leurs correspondants, mais aussi face à leurs camarades. L'expression est devenue plus libre, le jeu dramatique plus spontané, moins entravé de complexes. Les filles et les garçons ont fini par s'entendre, par se reconnaître et s'accepter tels qu'ils étaient (longtemps ils étaientrestés montés les uns contre les autres, à tel point qu'il leur était impossible par exemple de travailler en groupe mixtes - résultat direct de leur séparation à l'école primaire).
Ils ont été obligés, bon gré mal gré, de prendre des cisions collectives (financement des envois de paquets à leurs correspondants, organisation des enregistrements, programme d'accueil de leurs copains de Rouen - ce n'était pas une mince affaire pour dix-huit enfants d'en accueillir et d'en loger vingt-trois). Ils ont se serrer les coudes pour l'organisation matérielle, réaliser ce qu'ils avaient décidé de faire seuls ou à plusieurs, après discussion collective (ladécision de prise en charge des frais de car pour leurs correspondants les a obligés à trouver le moyen de gagner200 F). A aucune autre occasion ils ne s'étaient montrés aussi favorables à une forme d'organisation coopérative.
 
Collaborations entre professeurs
Même nous autres profs y avons trouvé une occasion de faire quelque chose ensemble (fait unique dans l'année et hélas difficilement réalisable en d'autres circonstances). Nous avons vu les musées de Haguenau grâce au prof de sciences naturelles et montré l'Alsace du nord aux Rouennais grâce au prof d'allemand.
 
Contact avec les parents
Comme pour Huguette, cette entreprise a été pour moi l'occasion de rencontrer des parents qu'autrement je n'aurais jamais vus. J'ai pu constater là que les parents étaient prêts à déployer bien des efforts, pourvu qu'ils s'intéressent à ce qu'on fait à l'école ...
 
ASPECTS QUI ME PARAISSENT PLUTÔT NÉGATIFS
.Motivation des élèves
Il reste que cette correspondance (et donc ce voyage) s'est faite et continuée régulièrement parce que quelquefois je l'ai voulue plus que mes élèves. Il a fallu plus d'une fois les pousser longtemps pour qu' ils répondent, chercherlongtemps qui mettrait le colis à la poste - et pas pour des raisons d'argent - relancer souvent ceux qui avaientpromis leur contribution à la lettre ou à l'enregistrement. Tout ça pour dire que la part de la motivation chez bonnombre de mes élèves ne se distinguait qu'assez mal de la contrainte scolaire. Par ailleurs une ou deux filles (très "timides") de ma classe ont partiellement subi le voyage à Rouen plus qu'elles ne l'ont voulu (c'est dommage ! ).
Enthousiasme à double tranchant
Inversement, l'enthousiasme exagéd'un grand nombre au moment des rencontres des deux classes a transformé certains moments communs (en particulier les veillées à Haguenau et à Grand-Quevilly) en chahuts à peine organiséset somme toute stériles quant à la qualité du travail et à la part de créativité investies dans les lectures, jeuxdramatiques ou danses que les deux classes se sont présentés. Ou alors, lorsque par exemple un jeu dramatiqueétait bien exécuté, l'auditoire n'arrivait pas à se calmer ...
Ce même "enthousiasme" s'est avéré négatif d'une autre manière. Certains de mes élèves, ayant habituellement des difficultés pour le travail en classe, se sont révés comme de prodigieux organisateurs pleins de dévouement et de serviabilité en ce qui concerne les problèmes matériels. Je crains qu'ils n'aient eu l'illusion, difficile à effacer, de compenser par leurs problèmes scolaires mes yeux du moins, car ils travaillent encore beaucoup trop pour faire plaisir au maître).
Troisième reflet de ce phénomène : certains enfants essayaient de faire traîner en longueur les séances de discussion en classe autour des problèmes d'organisation ayant trait au voyage ou à l'accueil de leurs camarades. Ils avaientainsi un peu le sentiment de me "voler du temps" pour s'amuser (c'est encore un trait de la mentalité de potache-type, héritée d'une école basée sur la "rentabilité).
 
Et le français dans tout ça ?
Reste enfin l'aspect "professionnel" de la chose. Comme le souligne Huguette, nous avons passé un temps très important en classe à écouter, préparer, discuter, envoyer, organiser. Cependant je n'ai pas constaté de progrès net dans l'exigence de la plupart des enfants vis-à-vis de leurs productions orales ou écrites. Si la plupart ont étécontents de cette aventure et on gagné confiance en eux-mêmes, ont-ils pour autant progresdans la maîtrise de leur expression, de leur pouvoir de communiquer par le langage ? Ce dernier point est difficile à évaluer. Jene suis pas assez armé pour voir quelle part leur correspondance a pu prendre dans ce domaine ...
En définitive, cet échange a eu surtout, pour ma classe, un impact affectif très important. Il a aidé un certain nombre d'enfants à franchir plus facilement le cap CM2-6e. Il a été si l'on veut un grand "jeu de déblocage" pourles individus et pour le groupe tout entier. Mais suffit-il d'être heureux un moment ? Et comment amener enmême temps un progrès dans l'apprentissage de la langue ? Autrement dit, quelle aurait dû ou pu être ma " partdu maître"? C'est ce qui pour moi reste le plus difficile à cerner. ..
André SPRAUEL
C.E.S. de Haguenau (67)