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La réorganisation du mouvement de L'ECOLE MODERNE

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Octobre 1965

Encore ! penseront quelques camarades qui croient qu’un mouvement comme le nôtre a son chemin tout tracé dont on ne saurait dévier.

Rassurons-les.

C'est si nous ne réorganisions pas au fur et à mesure que se modifient les conditions de milieu que nous faillirions à notre tâche éducative.

Quand il y a vingt ou trente ans, nous n'étions pour animer et conduire notre mouvement qu'une centaine de camarades au coude à coude, nous n'avions besoin ni d'organisation ni de réorganisation. Notre travail, dont la CEL et l'ICEM étaient la commune expression, suffisait à nous unir. Et nous rêvons tous encore avec une certaine nostalgie de cette période de notre histoire, dure et parfois dramatique, mais où nous n'avions pas en handicap les problèmes de relations entre camarades qui risquent de nous obséder aujourd'hui.

J'ajoute qu'à ce moment-là notre public n'était pas encore différencié comme il l'est aujourd'hui. Nous en étions tous au même point de nos expériences et de nos recherches. Notre pédagogie n'était encore fixée ni dans ses techniques ni dans son esprit. Il n'y avait pas encore l'équipe qui sait, d'une part, et d'autre part ceux qui viennent pour apprendre et ont parfois des exigences qui gênent la vie de l'équipe. L'Educateur rose pouvait être vraiment l'organe unique de notre mouvement. Nos congrès non plus, moins populeux, ne nous posaient aucun problème particulier d’organisation. Ils étaient la grande rencontre familiale où chacun apporte sa quote-part de travail et de bonne volonté pour, en retour, trouver son dû dans le climat sympathique d’une activité commune.

Les temps sont aujourd’hui bien changés et nous ne pourrons que nous en réjouir si nous sommes en mesure de faire face aux impératifs de la nouvelle situation. Notre pédagogie a pris corps ; on en adopte officiellement les données. Le matériel nécessaire est produit régulièrement à Cannes. On l'acquiert aujourd'hui comme on achète tout matériel didactique, sans être toujours sûr de l’usage qu'on pourra en faire. Les récentes instructions ministérielles n’ont fait qu’accentuer le mouvement. Il y a maintenant chez nous, que nous le voulions ou non, une équipe maîtresse entraînée et chevronnée, et une masse croissante d’éducateurs qui peu à peu s’agrègent à notre mouvement, par nécessité parfois, mais plus souvent, heureusement, dans l'espoir de passer un jour dans le peloton de tête.

L’équipe de tête a une double fonction que lui confère notre succès : celle de répondre au besoin accru de documentation, d'initiation et de recyclage des nouveaux venus, de les accueillir et de les incorporer peu à peu dans le mouvement ; celle aussi — et nous ne pouvons absolument pas le négliger

— de continuer les recherches psychologiques, pédagogiques et techniques sans lesquelles notre pédagogie irait se sclérosant au lieu de progresser et de s’affirmer.

Nos camarades responsables ont été sur le point, ces dernières années, de se laisser subjuguer par la première fonction aux dépens de la deuxième. Et c'est pourquoi nous avons dû faire l'an dernier un nouvel effort vers la culture, dont L'Educateur Magazine et Techniques de Vie ont montré le chemin. C’est à ce double problème, qui ne se posait pas il y a dix ou vingt ans, que nous devons maintenant nous attacher : ressouder sans cesse l'équipe dirigeante. Elle ne doit pas être seulement une équipe de vieux adhérents, mais une équipe à la fois polyvalente et homogène, dont les connaissances, la culture et le dévouement seront le ciment. A elle, doivent sans cesse s'intégrer des nouveaux venus qui accéderont peu à peu à la maîtrise. Cette équipe doit mener à bien en même temps, par tous les moyens, notre fonction de recyclage plus indispensable que jamais.

Nous avions fait un premier effort dans ce sens en créant, il y a quelques années des groupes départementaux et régionaux publiant des Bulletins dont nous fournissons certains supports et devant pourvoir à cette formation des nouveaux venus par tous moyens en leurs pouvoirs.

Nos camarades ont fait le maximum dans ce domaine, sans aucune aide administrative ni syndicale. Selon notre habitude non dirigiste — pour employer un mot pédagogiquement à la mode — nous avons laissé faire l’expérience jusqu'au moment où une fausse manœuvre nous a mis dans l'obligation d'intervenir.

En effet, dans leur souci louable d'attirer et de retenir les jeunes toujours plus ou moins désargentés, nos groupes ont accepté une adhésion locale, avec cotisation minime pour le service du Bulletin départemental ou régional, organe du groupe. Il en est résulté que certains groupes ont eu ainsi à compter avec un très fort contingent d'éducateurs de deuxième zone, qui n’étaient pas adhérents à part entière, et qui s'étaient habitués à tourner en rond autour des seuls problèmes techniques, ignorant totalement l’essentiel de notre mouvement pédagogique, ne connaissant ni L’Educateur ni nos livres et revues, qualifiant dédaigneusement de bla bla bla tout ce qui n'est pas purement technique et ne prenant en somme de notre pédagogie que la pratique pour en ignorer l'esprit, trahissant ainsi, sans le vouloir, mais immanquablement, l'esprit même de tout notre effort.

Si nous voulons éviter l’échec dans l’aventure pédagogique qui nous est imposée, nous devons tout faire pour accéder à un recyclage en profondeur qui préparera les éducateurs nouveaux pour notre Ecole Moderne.

***

Et il y a un autre aspect dangereux à cette fausse manœuvre : cette masse de camarades de deuxième zone, non intégrée à notre travail, à peine adhérente par la marge, s'est cru autorisée à réclamer dans certains départements une « structuration » de notre mouvement en vue d'une démocratisation plus formelle. Autrement dit, certains nouveaux venus, ignorant tout de notre pédagogie, prétendaient orienter notre action.

C’est ce malentendu qu’il nous faut absolument dissiper. Précisons d'abord :

1°, que nous avons une Coopérative de l’Enseignement Laïc, à laquelle les jeunes peuvent et doivent adhérer et qui, elle, fonctionne démocratiquement, l'Assemblée Générale des actionnaires restant toujours, comme dans toutes les coopératives, souveraine.

2°. que nous pourrions certes fonder parallèlement une association spéciale de tous les usagers de la pédagogie Freinet, avec carte d'adhésion, cotisation et élection régulière de tous les responsables. Ce serait une solution qui pourrait avoir ses bons côtés et son utilité. Personnellement je ne peux pas m’y engager car ce serait faire pénétrer dans notre mouvement des considérations extra pédagogiques, syndicales et politiques dont je connais les dangers et qui nuiraient certainement à la cohésion de nos efforts, qui nous importe au premier chef.

3°. qu’il nous faut sauvegarder la vitalité de notre peloton de tête dont dépend la permanence de notre mouvement.

Voyons donc comment, par notre organisation nouvelle, nous pouvons assurer la marche régulière de notre activité complexe pour les fins que nous nous proposons.

Cette organisation avait déjà été soigneusement préparée au cours de notre réunion de cadres de Porspoder, en préface au Congrès de Brest.

Les camarades responsables réunis à Vence cet été, compte tenu des considérations ci-dessus, ont mis au point les directives qui suivent :

1°. La Coopérative de l'Enseignement Laïc a une vie légalement indépendante et autonome, mais il a été rappelé à Brest que la CEL créée au sein de notre mouvement et par nos meilleurs militants doit servir notre activité pédagogique et qu’on ne saurait lui concevoir d’autre but.

2°. Le mouvement de l’Ecole Moderne des Techniques Freinet est administré souverainement par l’institut Coopératif de l'Ecole Moderne (ICEM), association (loi 1901) des responsables désignés par l'Assemblée de Brest, qui décideront eux-mêmes des nouvelles adhésions proposées par des parrains. L'ICEM a la responsabilité des éditions, des périodiques et des services ICEM. Assemblée générale et C.A. de l’ICEM se réunissent régulièrement au Congrès et aux journées de Vence en août.

3°. Tous les éducateurs qui désirent participer à la vie de nos groupes départementaux et régionaux et en recevoir le Bulletin de liaison doivent s'abonner à notre revue L’Educateur.

4°. Les adhérents du mouvement sont groupés départementalement et régionalement pour le travail d’étude, de recherche, d'initiation et d'information que les groupes décident librement:

— Réunions de travail, générales ou par équipes ;

— Visites de classes ;

— Cahiers de roulement ;

— Expositions boules de neige.

5°. Pour faciliter le travail des groupes au sein de l’ICEM, il est prévu :

a) la constitution de groupes départementaux, avec un Délégué départemental choisi par les adhérents parmi les adhérents ICEM ;

b) la répartition des groupes en Groupes régionaux dont les responsables seront également choisis au sein de l'ICEM ;

c) chaque groupe régional éditera un Bulletin régional qui sera servi gratuitement tous les deux mois à tous les abonnés à l’Educateur du groupe. Le centre à Cannes préparera tous les deux mois une partie commune (couverture comprise) plus spécialement axée sur le démarrage des nouveaux venus. Les groupes régionaux y ajouteront librement, comme maintenant, une documentation pédagogique locale et régionale née de la collaboration de tous les adhérents,

L'ICEM assurera les frais de ces diverses éditions.

Nous pensons parvenir ainsi :

— à une meilleure cohésion des groupes au sein de l’ICEM ;

— à une initiation familière et efficace des nouveaux venus dans des groupes qui garderont dans leur cadre le maximum d’initiatives, comme par le passé ;

— à une direction plus efficace de l'ICEM,

Il faut que les nouveaux venus sachent bien que nous ne disposons d’aucun fonds spécial pour les aider dans leur démarrage. Ce que nous tous nous vous apportons sans réserve c'est notre camaraderie, notre dévouement et notre bonne volonté, Ils ne seront efficaces que si vous savez, vous aussi, faire l’effort qui s'impose pour accéder à une éducation moderne dont vous serez satisfaits.

C. F.