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Juin 1933

Lorsque, en octobre dernier, nous commencions avec enthousiasme et espoir notre nouvelle année scolaire, nous étions loin de nous attendre aux graves événements qui, depuis le 2 décembre, sont allés s’accentuant et se répercutant.

Nous n’en avions pas moins prévu une solide organisation de la coopérative afin de répondre aux demandes de plus en plus nombreuses de nos adhérents dont la liste s’allongeait sans cesse.

Depuis octobre, une employée est spécialement attachée à la comptabilité : expédition des commandes, factures, etc... Deux autres employées travaillent à l’expédition des colis. Et la besogne n’a jamais manqué puisqu’il a été expédié depuis octobre 450 paquets gare représentant cinq tonnes de matériel et 6.000 paquets poste.

Heureusement, cette « commercialisation » de la coopérative, décidée il y a deux ans, était pour ainsi dire achevée. Sinon, nous n’aurions pas pu résister comme nous l’avons fait à l’attaque d’envergure menée contre nous.

Est-ce à dire que notre travail n'en ail nullement souffert ?

Comment cela se pourrait-il et comment douter que cette énergie déployée pendant cinq mois par tous les camarades de la Coopé ne se serait pas portée avec fruit vers les diverses réalisations de la coopé ?

Si donc l'approvisionnement en matériel a été maintenu constant, si les commandes ont été exécutées régulièrement, les publications sorties aux dates voulues malgré les plus grandes difficultés, la besogne originale de création et de nouveauté a, par contre, subi un ralentissement qu’on comprendra évidemment.

Nous allons donc, comme les années précédentes, examiner point par point les divers rayons d’activité, essayer d’expliquer et de juger ce qui a été fait, prévoir la poursuite des entreprises provisoirement retardées, de façon à fournir à nos camarades un véritable rapport général qui, s’ajoutant aux rapports des camarades chargés des autres rayons et qu’on lira plus loin, pourra servir de base solide pour les discussions de notre prochain congrès.

***

MATERIEL D’IMPRIMERIE A L'ECOLE. Il est pour ainsi dire fixé et définitif puisque les nouveaux adhérents parviennent d’emblée à un travail parfait et sans grosse peine. Tous nous ont signifié leur enthousiasme et leur satisfaction !

Notre presse à volet, absolument au point, reste la plus pratique et à un prix très abordable. La presse CEL- donne toujours satisfaction ainsi que les premières presses CEL de luxe que nous avons livrées.

Nous apportons çà et là, au moment des renouvellements de stock quelques améliorations de détail : punaises alphabets en plusieurs couleurs, outils à graver de diverses marques, linoléum bon marché, etc... Nous attirons plus spécialement l’attention et la critique de nos camarades sur les innovations suivantes qui ont marqué l’année :

— Liseuses en aluminium et en métal rigide, fabriquées en grande série, donc livrées à un prix très bas, dont la vente devrait s’accentuer au cours de l’année à venir.

— Reliures spéciales nues et avec carton, d’une nouvelle fabrication de la Coopé et supprimant les boulons qui gênent souvent le maniement des livres de vie. Nous ferons connaître ultérieurement les prix de livraison de ces reliures.

Le papier à imprimer réglé pour fiches de travail des enfants.

— Les crayons Coopé d’excellente qualité, que nous livrons à des prix très avantageux.

Il nous reste à améliorer en octobre notre stock d’ornements un peu trop dégarni et nous serons en mesure de donner, dans la huitaine, entière satisfaction à tous les camarades.

***

NOS EDITIONS. — Par contre, durant les cinq mois de lutte, nous avons dû interrompre presque totalement nos diverses éditions.

Le fichier de calcul n’a pas avancé du tout, malgré les éludes préliminaires que nous avions données. La besogne est cependant urgente et nécessaire et nous la reprendrons dès octobre avec le désir d’aboutir rapidement par le concours des nombreux camarades qui, au cours de l’année, ont poursuivi des recherches à ce sujet.

Nous continuerons de même les études concernant le dictionnaire d'enfants et, en général, l’utilisation pédagogique de nos importantes archives.

Nous nous arrêterons un peu plus longuement et plus spécialement sur la question du :

Fichier scolaire coopératif : Nous étions partis en octobre avec un bel élan et nous avions déjà réalisé, outre la réimpression des 50 premières fiches se rapportant au cinéma et aux disques, ainsi que la fin de l’Histoire du livre, 15 fiches dessinées par Carlier et qui sont du plus haut intérêt.

Hélas ! la lutte urgente a pris le meilleur de notre temps et nous avons dû ralentir cette activité.

Nous pensons cependant que cette première série du Fichier scolaire coopératif a beaucoup trop traîné el qu’il faut enfin en finir.

Voici ce que nous avons réalisé :

— 310 fiches ont été livrées à ce jour.

— 15 fiches de l’Histoire du livre sont prètes à être livrées.

— 10 autres fiches (cinéma et disques) seront prêtes aussi.

— 85 fiches de la chronologie mobile d’Histoire de France vont sortir des presses ces jours-ci. Nous avons donné une idée de leur originalité et de leur usage éventuel. Nous sommes certains qu’elles seront bien accueillies par tous nos adhérents.

— 4 fiches mensuelles d’observations atmosphériques qui seront de plus tirées à part :

a) sur tableau à afficher en classe et à adresser aux correspondants à la fin du mois.

b) sur feuilles séparées format fiche pour encartage dans les journaux scolaires et vendues séparément un prix très bas.

La livraison qui sera faite avant la fin de l’année scolaire portera donc à 420 environ le nombre de fiches éditées à ce jour. Nous joindrons à notre envoi 80 fiches carton nues pour compléter soi-même le fichier scolaire et nous déclarerons close la première série de 500 fiches qui comprendra donc, à l’avenir, normalement :

420 fiches imprimées ;

80 fiches carton nues pour confection de fiches scolaires.

Quelques camarades pourraient trouver étrange que nous liquidions ainsi celle édition après avoir promis la livraison intégrale de 500 fiches.

Nous rappelons que nous nous sommes lancés, il y a quatre ans, dans une édition totalement nouvelle, pour laquelle nous n’avions absolument aucun exemple. Nous ignorions naturellement la gravité des obstacles que nous allions rencontrer. Les souscripteurs eux-mêmes ne savaient au juste ce que serait le nouvel outil et c’est ce qui explique qu’un grand nombre de camarades, après avoir demandé les fiches papier, aient porté leur choix sur les fiches carton. Résultat : le tirage initial des premières séries de fiches carton a été trop vite épuisé et il nous faut faire des frais doubles de réédition.

Nous n’avions aucune idée non plus des difficultés à surmonter et nous pensions réaliser dans une année — eh oui ! ingénument ! — l’édition de cette série de 500 fiches. Mais il nous a fallu réunir les textes, les taper en 4 exemplaires, les faire contrôler, demander l’autorisation aux auteurs et aux éditeurs — qui ont souvent exigé le paiement de droits élevés.

L’édition est terriblement chère : pour les éditions ordinaires sur papier, le tirage à 1.000 ou 1.500 ex. n'est sensiblement pas plus cher que le tirage à 500 ex. Il n'en est pas de même pour l’impression sur un carton très lourd, onéreux, ce qui nécessite l’immobilisation d’un fonds très important.

Le tirage n’est pas tout. Il faut ensuite regrouper les feuilles une à une; et on aura une idée du travail à accomplir si on pense que la préparation de 800 livraisons de 420 documents nécessite le maniement de 330.000 fiches.

Le port enfin grève notre édition d’une façon effrayante. A l’avenir, notre série étant complète, nous pourrons faire la livraison par colis postal gare — ce qui ne coûtera guère que 10 francs.

Nous aurons payé, pour l’expédition dès parution des diverses livraisons pesant au total plus de 6 kg., une vingtaine de francs — sans compter les frais considérables de manutention et d’emballage.

C’est pourquoi nous avons jugé que nous avions fait l’extrême limite des sacrifices et que nul ne serait lésé si nous complétions les 500 fiches par 80 fiches carton nues qui sont d’ailleurs d’une incontestable nécessité.

Qu’on ne nous dise pas : vous vous étiez engagés. Il fallait réfléchir, calculer !...

Vous auriez le droit de raisonner ainsi si vous vous trouviez en face d’une maison d’édition dont le profit capitaliste est le seul mobile d’action. Mais ne craignez rien : ces maisons- là n’entreprendront jamais semblables éditions ou bien alors le prix de lancement aurait été excessivement élevé.

Nous sommes partis, décidés et confiants ; nous vous avons loyalement mis au courant des difficultés rencontrées. La coopérative ne réalise sur cette édition aucun bénéfice. Grâce à l’accueil enthousiaste que nos camarades nous ont fait, le déficit sera minime, s’il y en a. Nous sommes satisfaits et nous continuerons notre tâche.

Nous la continuerons dès octobre mais selon une nouvelle formule d’édition qui nous permettra d’atteindre plus rapidement les objectifs précis que nous nous serons tracés. Nous lancerons des séries de 50 fiches seulement, 100 au maximum, livrables toutes en une fois, dont nous ferons connaître d’avance le contenu, et pour lesquelles nous solliciterons à nouveau vos souscriptions.

Et si vous pensez que, malgré tout, nous avons créé une œuvre qui marquera dans la pédagogie, si vous pensez que nous avons réalisé un outil nouveau pour l’école nouvelle, vous ferez campagne autour de vous pour faire acheter notre première série de 500 fiches (420 imprimées et 80 nues) au prix de 70 fr. (carton) et 30 fr. (papier) port compris, en une seule livraison (indiquer la gare).

Vous nous enverrez vos suggestions pour les éditions nouvelles tout en vous préparant à souscrire dès octobre aux séries que nous lancerons.

Nous donnerons dans notre prochain bulletin la liste des nouvelles fiches éditées.

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USAGE ORIGINAL DES RELIURES MOBILES. — Le lancement prochain de notre chronologie mobile nous est l’occasion d’un nouveau progrès technique dans la présentation des livres de travail de nos élèves.

Nous avons déjà dit que, outre les fiches livrées, nous allons mettre en vente des recueils de fiches papier de notre chronologie, reliés par nos reliures mobiles.

Il vous sera donc possible de mettre entre les mains de vos élèves, dès octobre, des livres d’histoire plus solides que les meilleurs livres cartonnés et qu’on pourra cependant démonter pièce à pièce pour y incorporer, à la page voulue, les documents nouveaux qui viendront enrichir, d’une façon mathématique et précise, la chronologie.

Nous pensons relier de même, pour une vente spéciale, notre histoire du pain et notre histoire du livre. Nous ferons connaître nos différents prix dans notre prochain numéro.

A partir de ce jour, grâce au stock impressionnant de documents édités, que chaque classe a complété au jour le jour, à l’aide de nos fiches carton nu, nous avons réalisé un outil de travail d’une richesse et d’une souplesse qui n’a rien d’égal sur le marché pédagogique mondial. N’importe quel instituteur, même s’il ne s’est pas encore lancé dans le mouvement d’éducation nouvelle, peut l’acquérir et l’utiliser. Il y gagnera certainement un goût précieux pour l’activité spontanée des enfants et le désir salutaire de se dégager des manuels scolaires qui, en France plus qu’ailleurs, sont une des formes, et des raisons, de la stagnation de notre enseignement public.

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BIBLIOTHEQUE DE TRAVAIL.— Nous n’allons pas bien vite non plus pour cette édition. Les événements de cette année en sont, il est vrai, en partie responsables.

Mais il est une raison qui, comme pour le fichier, nous engage à ne pas nous presser outre mesure, car notre but n’est pas seulement de lancer sur le marché une collection nouvelle, mais d’éditer des outils de travail répondant aux besoins de nos classes.

Affaire excessivement délicate parce que ces besoins eux-mêmes sont fonction des outils créés, et que ce n’est qu’à l’usage que nous pourrons définir avec précision la ligne à suivre.

Nous allons donc sans nous presser, étudiant attentivement les matériaux à éditer, enregistrant soigneusement les réactions des maîtres et des élèves, réalisant pièce à pièce afin de donner au courant qui poussera inévitablement les éducateurs vers cette technique le temps de se manifester et de se préciser.

Après les trois brochures de l’histoire du véhicule, nous avons donné : Dans les Alpages, documentaire d’un emploi plus large et plus général et qui constitue un bel album que les enfants feuillettent avec plaisir.

Le N° 5 de la Bibliothèque de Travail sera constitué par notre Chronologie. Il sera donc plus directement utilitaire et pourra servir dans nos classes de livret d’histoire à compléter par les enfants eux-mêmes.

Nous préparons pour l’année à venir d’autres fascicules particulièrement intéressants. Nous demandons à nos camarades de nous soumettre des projets et de faire pour cette édition le maximum de propagande. Si nous avons à ce jour un nombre appréciable de souscripteurs, la faible vente au numéro montre que nos divers collègues ne connaissent pas encore ni le but, ni la portée, ni les conditions de réalisations de ces nouveaux livres de travail.

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AUTRES EDITIONS. — Nous venons d’éditer le nouveau livre de Ferrière : Cultiver l’énergie, dont de nombreux camarades ont déjà fait l’acquisition.

Dans l’avertissement des éditeurs, nous avons indiqué pourquoi nous avions cru devoir faire cette édition qui semble, à première vue, sortir du cadre de nos diverses réalisations.

Il ne peut pas y avoir d’école nouvelle sans la réalisation préalable de certaines conditions matérielles, physiques et économiques touchant la vie même des enfants qui nous sont confiés.

Ce n’est certes pas notre action isolée, mais bien notre action collective, sociale et politique, qui pourra préparer ces réalisations. Mais nous pouvons, nous devons, faire immédiatement ce qui est en notre pouvoir pour que nos élèves puissent profiter au maximum, d’une éducation renouvelée, pour que les éducateurs eux-mêmes, assagis et purifiés, soient mieux en mesure de remplir avec décision et mesure, leur tâche libératrice.

C’est pour cela que nous avons cru devoir donner ces directives, offrir ces conseils. Nous ne nous arrêterons pas là d’ailleurs et nous continuerons dans cette voie, car nous savons par expérience combien d’instituteurs commencent à se passionner à ces techniques thérapeutiques qui nous délivrent, dans une certaine mesure, de l’erreur scientiste et de l’exploitation.

Si cette édition a quelque succès, nous pensons la faire suivre de l’édition d’un deuxième livre sur la même question, mais plus spécialement destiné à l’éducation naturelle et naturiste des enfants.

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NOS PERIODIQUES. — L'Educateur Prolétarien. — Le Congrès de Bordeaux avait approuvé notre projet d’un bulletin de 48 à 64 pages. Nous avons publié régulièrement un bulletin de 56 pages qui, nous l’espérons, a donné satisfaction à nos lecteurs.

Ainsi plus à l’aise matériellement, nous avons pu améliorer considérablement certaines rubriques, notamment la documentation internationale, les techniques éducatives et la critique des journaux, revues et livres.

Nous nous sommes efforcés de donner à nos lecteurs la documentation originale que nous avions promise, c’est-à-dire puisée à la source même et bien souvent traduite par les soins de nos services. Nous pensons continuer en profitant de l’expérience de cette première année.

La besogne ne manque pas : nous pensons que, lorsqu’on veut faire œuvre novatrice, il est indispensable de connaître ce qui se fait ailleurs, dans les divers pays et sous les divers régimes politiques.

C’est pour améliorer cette connaissance que nous voudrions aussi développer encore notre rubrique des revues et des livres. Nous avons en général peu à glaner, hélas ! dans les diverses revues de langue française. La production en livres pédagogiques, quoique pauvre en ce moment, doit être suivie de très près. Quelques livres — il n’y en a peut-être pas plus de trois ou quatre par an, méritent d’être lus — et si possible possédés par tous nos camarades. D’autres ne sont pas essentiels au point de motiver une recommandation semblable. Nous dirons toujours notre point de vu, sans ambages, et sans aucun souci de plaire ou de déplaire aux auteurs ni à leurs éditeurs.

Il y a aussi une autre critique qui, à notre avis, devrait être entreprise : celle des manuels scolaires que nos grandes maisons d’éditions jettent, en septembre, sur un des seuls marchés qui ne connaisse pas la crise.

Distinguer, parmi ce flot de nouveautés, les tendances intéressantes et utiles de quelque façon à l’école nouvelle ; signaler les livres susceptibles d’être utilisés pour notre Bibliothèque de Travail et ceux qui ne savent au contraire que flatter la passivité des maîtres et des élèves, ce serait là faire une besogne éminemment utile à laquelle nous convions nos camarades.

Notre rubrique Cinéma est loin de nous donner satisfaction. Nous sommes persuadés que, par la collaboration d’un grand nombre de camarades, nous arriverions à traiter de façon précieuse, tous les grands problèmes, techniques et pédagogiques, qui se posent à nous.

Quel que soit aussi le puissant intérêt des articles de notre camarade L. Darche nous sommes certains qu’une participation effective des nombreuses maternelles employant aujourd’hui l’imprimerie compléterait et vivifierait cette rubrique indispensable. Nous savons que L. Darche y a pensé. Le Congrès des Ecoles Maternelles va se tenir à Bordeaux. Nos adhérentes y participeront. Il faut qu’elles sachent ensuite que le Bulletin est à leur disposition pour l’étude de questions dont aucune autre revue n’acceptera la discussion.

Pour ce qui concerne plus spécialement l’imprimerie à l’Ecole, nous avons cru devoir donner à l’affaire Freinet, depuis janvier, une place exceptionnelle.

Un adhérent — je dois dire qu’il n’est pas imprimeur et qu’il est le seul à avoir manifesté cette opinion — écrit au dos du chèque d’abonnement :

« Prière de me cesser le service du Bulletin si vous continuez à l’utiliser comme tribune personnelle ».

Ce camarade se trompe totalement. Rien de ce que nous avons publié n’est personnel et je me suis abstenu systématiquement de mêler mes propres sentiments à une affaire qui est, qu’on le veuille ou non, d’une portée très générale.

Il se trouve certes — et nous savons bien que cela n’est pas un pur hasard — que cette affaire est devenue l’Affaire Freinet. Nous aurons peut-être demain l’affaire Boyau, puis l’affaire X... Chaque fois que l’éducation nouvelle populaire sera mise en cause : chaque fois que l’imprimerie à l’Ecole et nos diverses techniques seront directement menacés, nous croyons que notre Bulletin doit donner à fond pour leur défense, quelles que soient les personnalités directement intéressées.

Mais nous nous refuserons toujours à servir des personnes ; et Freinet ne se servira jamais du bulletin pour des fins égoïstes. S’il avait voulu profiter de cette affaire pour obtenir du succès, de l’honneur, de l’avancement, les occasions ne lui auraient pas manqué.

Il a pris le chemin opposé : celui qui mène à la lutte ouverte, à la mise à l’index par une administration trop conformiste, et peut-être au déplacement d’office.

Nous avons tout lieu de croire d’ailleurs que nous ne pourrons pas clore ainsi cette rubrique accidentelle pour nous cantonner à l’action pédagogique qui est, oui, notre terrain de prédilection.

Mais nous avons marché, nous avons produit, nous avons réalisé. On a vu là un danger. La réaction nous attaque : l’administration, sur l’ordre reçu du ministère — entreprend une vaste enquête dont nous connaissons d’avance la partialité. Ne devons-nous pas nous défendre, et par tous moyens ?

Après Freinet. Boyau est attaqué dans sa classe : d’autres camarades sont ou seront inquiétés parce qu’ils se refusent à suivre les chemins paisibles de la pédagogie officielle. Nous n’empièterons pas sur les associations diverses, mais là où on attaque pédagogiquement, nous devons défendre pédagogiquement comme nous l’avons fait pour Freinet.

Nous sommes persuadés d’ailleurs, que l’immense majorité de nos lecteurs comprend cette nécessité et ce devoir et approuvera sur ce point la rédaction de la revue.

Nous examinerons d’ailleurs avec plaisir toutes les suggestions que nos camarades pourraient apporter pour la rédaction du bulletin au cours de l’année à venir.

Techniquement parlant, nous avons eu encore de graves ennuis.

Lorsque, fin septembre, nous préparions le numéro de lancement, nous avons reçu les réponses définitives de l’administration centrale des postes aux parlementaires chargés d’intervenir en notre faveur. Le bénéfice du tarif périodique nous était bel et bien refusé parce que nous étions considérés comme un organe de publicité commerciale.

Nous avons donc, immédiatement, apporté à notre revue les modifications nécessaires pour pouvoir bénéficier de ce tarif. L'Imprimerie à l’Ecole a donc cessé sa parution ; et un de nos adhérents a déclaré une nouvelle revue : L’Educateur Prolétarien, dont il est le gérant.

Le premier numéro a passé normalement ; mais dès le deuxième numéro, on a exigé à nouveau l’envoi au tarif imprimé.

Dès le numéro de décembre, nous avons apporté les dernières, et définitives, modifications. Les annonces, y comprises les annonces payantes de la Coopérative, ont été groupées sur des feuilles à part. Le texte lui-même a été élagué de tout ce qui, de près ou de loin, pouvait paraître comme de la propagande commerciale.

Le numéro, qui remplit ainsi plus que toute autre revue, les conditions requises par la loi, a cependant été encore mis à l’index : on accuse le gérant d’une sorte de délit d’intention absolument révoltant.

Que faire ? Nous nous heurtons à cette même volonté évidente de nous nuire qui a mené toute l’affaire de St- Paul. Quels que soient nos recours à la légalité on refuse de nous entendre - mieux, on refuse de nous répondre. Nous sommes pratiquement hors de la loi.

Pendant ce temps — et sans parler de toutes les revues plus ou moins immorales dans lesquelles les écrits ne sont jamais que de l’immonde publicité déguisée — les divers journaux pédagogiques peuvent donner librement leur réclame tapageuse dont la destination ne fait aucun doute. Nous seuls sommes condamnés à affranchir le numéro à 0,25 payant ainsi chaque mois 180 à 200 francs supplémentaires pour une faute dont nous ne sommes pas coupables.

Grâce au succès croissant de notre revue, nous avons pu, comme nous le montrerons au Congrès, tenir le coup; mais il appartiendra aux camarades d’étudier en détail les mesures d’action susceptibles de faire, cesser celte révoltante illégalité.

***

Enfantines. — Le succès de cette publication est bien définitivement assuré. Le nombre d’abonnés va croissant et notre stock très important s’écoule normalement pour le plus grand bénéfice commercial de notre entreprise. Il s’écoulerait plus vite encore si tous nos camarades s’employaient à faire connaître autour d’eux des brochures qui n’ont rien d’égal encore dans la littérature enfantine mondiale.

La Gerbe nécessite par contre une ample et profonde discussion susceptible de mettre vraiment à la mesure et à la portée de nos élèves cet outil mobile et délicat d’intercommunication et d’intercompréhension.

La période difficile de l’exploitation déficitaire a été heureusement franchie, grâce au regain d’intérêt que l’affaire Freinet a valu à nos publications. Nous approchons des 2.500 abonnés et nos frais sont approximativement couverts.

Si, dès octobre, une campagne systématique était entreprise par nos camarades pour faire connaître La Gerbe, nous devrions vivre à l’aise et prévoir de nouvelles améliorations.

Mais la composition pédagogique, la rédaction nécessitent une étude et une mise au point qui devraient trouver au Congrès leur aboutissement.

Certes, La Gerbe intéresse profondément les enfants : mais il n’est pas sûr qu’elle les passionne tous. Nous ne voudrions pas nous contenter d’ailleurs d’un intérêt passif. Nous devons viser plus loin : La Gerbe doit stimuler les enfants pour l’action. Il faudrait que chaque numéro suscite d’utiles réactions, soit l’objet de recherches, de réalisations, de correspondance.

Certes, nous recevons, au cours de l’année, un grand nombre de documents. Mais ce n’est pas assez encore et il nous faudrait mieux.

Comment y parvenir ?

A vous tous d’y réfléchir. Nous allons encarter dans le prochain numéro de La Gerbe un questionnaire à nos jeunes lecteurs. Poussez vos élèves à en discuter et à nous envoyer le résultat de ces discussions.

Le Congrès d’août pourra alors préparer utilement, sur des bases précises, les modifications et améliorations à apporter à La Gerbe pour en faire le meilleur et le plus intéressant des journaux d’enfants français.

Notre service de correspondances interscolaires nationales paraît avoir fonctionné à la satisfaction de tous. Nos camarades recevront sous peu les fiches à remplir pour l’organisation de l’année à venir.

Le camarade Bourguignon a donné au cours des divers numéros, toutes indications concernant la correspondance internationale. Nous laissons aux camarades le soin de s’y référer.

Si, enfin, au cours de cette année, nous n’avons pas poussé très avant nos réalisations concernant le cinéma, les disques, la radio, dont on trouvera plus loin les comptes rendus, nous n’en avons pas moins été à l’avant garde française. C’est un honneur et une joie pour nous de nous voir suivis, imités même. Cela donne encore une fois la preuve que nous ne sommes point des rêveurs, mais des ouvriers conscients de l’œuvre pratique à poursuivre pour l’amélioration technique de notre école populaire.

Les attaques dont nous avons été l’objet ?

Qu’on ne croie pas qu’elles aient été jamais au premier plan de nos préoccupations. Le jour où toute l’énergie de notre groupe serait accaparée par la défense de nos réalisations, ce jour- là nous serions perdus.

Nous nous attentions d’ailleurs à ces attaques que nous savons être dans l’ordre historique des événements. Et nous devons nous féliciter d’avoir pu, tout à la fois, et de façon, malgré tout réconfortante, assurer la défense de l’œuvre menacée et continuer l’action pédagogique qui est notre raison d’être.

Devons-nous d’ailleurs le regretter et nous en plaindre ?

Depuis huit ans nous continuions humblement notre besogne, sans jamais chercher une tapageuse publicité. Nous étions heureux et fiers d’avoir vu se grouper autour de nous une cohorte de bons camarades avertis et dévoués qui ont su d’ailleurs montrer leur attachement à leur coopérative. Mais la masse du personnel enseignant nous ignorait obstinément : le grand public n’avait jamais entendu parler de notre existence.

Seul, un événement comme celui de ces derniers mois pouvait divulguer nos techniques.

Une attaque semblable, menée il y a quelques années, aurait pu nous être fatale. Nous avons aujourd’hui mis pour ainsi dire au point notre technique, organisé et consolidé notre coopérative. De sorte qu’au moment où on croyait mettre seulement en cause un instituteur et quelques essais plus ou moins probants d’éducation nouvelle, une hydre aux mille têtes se dresse devant les agresseurs : dans tous les départements, nos adhérents font front. Les plus hautes personnalités pédagogiques, artistiques et littéraires prennent fait et cause pour nos réalisations, les éducateurs étrangers écrivent des lettres émues en faveur d’efforts français méconnus et inconnus en France.

Les parents, les ouvriers, se passionnent d’abord à la défense de Freinet, puis, peu à peu, se familiarisent avec nos théories pédagogiques et nos techniques. Les instituteurs eux-mêmes ne veulent plus rester ignorants d’un mouvement qui peut, à ce point, secouer la vie pédagogique du pays.

Ce mouvement, l’administration si jalouse de sa tranquillité, voudrait bien l’étouffer aussi. Elle a beau — et son grand maître s’y entend pourtant — donner ordre aux journaux de droite et de gauche — de faire le silence le plus complet : on peut assister à ce spectacle révélateur de la servilité d’une presse pédagogique aux ordres exclusifs des marchands de livres : tous les journaux pédagogiques des maisons d’édition ne disant pas un seul mot, durant six mois, d’une affaire qui passionne tous les instituteurs. La Coopérative attaquée a sa presse; ses journaux d’adultes, ses journaux d’enfants, ses éditions. Et quiconque, libre encore, les lit en toute honnêteté, respire cet air de liberté et de candeur qui les anime, ne peut s’empêcher de prendre fait et cause pour l’idée attaquée.

Nos ennemis eux-mêmes l’ont voulu :

Une œuvre qui, jusqu’à ce jour, était trop exclusivement pédagogique malgré la haute valeur sociale que nous lui reconnaissions, a débordé notre cadre professionnel. C’est une idée nouvelle qui s’impose violemment aux pédagogues, aux parents, aux administrateurs.

En vain cherchera-t-on à nous anéantir sous la triple menace des règlements, des examens et des parents eux-mêmes. Nos adhérents sont prêts à se défendre sur ce terrain même de la légalité républicaine. Seul un parti- pris fasciste, révélateur des nouvelles mœurs politiques, peut nous barrer la route. Et c’est pourquoi nous nous attaquons, à côté de nos frères de lutte, et avec une nouvelle vigueur, à cette forme moderne d’oppression dont nous avons été directement victime, et qui, en dépit de toutes les lois républicaines, assure « l’ordre » politique et social que nous subissons.

On n’attaque ainsi que ce qui est puissant et vigoureux. Et lorsqu’une innovation est aussi solidement assise sur les instincts éternels des jeunes générations, lorsqu’elle répond aussi parfaitement à leur besoin inné d’élévation et de libération, rien, pas même la force, ne peut empêcher son évolution et son triomphe comme aucune réaction ne peut empêcher le succès définitif des efforts qui, par le monde, concourent à la victoire de la vérité.

Cette lutte n’est certes par terminée ; nous pouvons recevoir encore des coups, et rudes. L’essentiel est que nous ayons la certitude de marcher dans la bonne voie et de sentir près de nous tous ceux qui, honnêtement, humblement, comprennent la nécessité de la rénovation pédagogique et sociale à laquelle nous osons nous dévouer.

C. FREINET.