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Coup d'oeil sur une année d'intense travail

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Mars 1965

Comme à l'habitude, je donnerai, dans ce numéro de pré-Congrès, une sorte de compte rendu de fin d'année, avant d'insister tout particulièrement sur quelques-uns des problèmes majeurs auxquels nous avons achoppé.

TOUT D'ABORD : LA CEL (COOPERATIVE DE L'ENSEIGNEMENT LAÏC)

Grâce à une réorganisation de la CEL dont Poitrenaud a maintenant la responsabilité, avec Pierre Rauscher comme directeur administratif, nous nous trouvons en cette fin mars devant une situation satisfaisante, avec un accroissement important de nos ventes en matériel et surtout en éditions.

Nous signalons succinctement, comme nouveautés :

1°. Le succès, avant même son lancement de notre nouvelle technique des Boîtes et Bandes enseignantes. Alors que nous n'avions encore à offrir qu'une série de bandes calcul qui n'ont que quelques-unes des qualités originales que présenteront nos bandes de français, d’histoire, de géographie ou de sciences, nous avons déjà écoulé 20 000 boîtes et 100 000 bandes ! Nous avons inventé et réalisé de toutes pièces une presse originale qui imprime en 42 secondes une bande de 3,50 m de long prête à l'expédition. Nous sommes maintenant en mesure de produire. Le Congrès fera le point des éditions à venir.

2°. Une nouvelle présentation en coffrets de notre collection BT pour laquelle nous entreprenons une grande campagne de lancement, avec un dépliant en couleur qui est maintenant à votre disposition.

3°. Le succès considérable des stylos- feutre Skrib, pratiques et bon marché, avec une recharge intéressante. Avec les Skrib, ce sont des possibilités nouvelles de dessin au trait qui apparaissent, ce qui n'enlève rien à la valeur incomparable des poudres de couleur.

4°. La présentation de tout le matériel de peinture (poudres, gobelets, pinceaux, papier, supermédium, plâtre- céramic, etc) dans un coffret fonctionnel de grandes dimensions qui permettra un approvisionnement avantageux pour toutes les écoles, et d'une table de travail.

5°. Un meilleur conditionnement de nos divers appareils ainsi qu'une amélioration importante des Boîtes-Fichiers (Fichier Documentaire) dans lesquelles les classeurs glissent facilement comme dans les classeurs du commerce.

6°. Le succès considérable de nos Fichiers auto correctifs qui seront livrés désormais dans de belles boîtes en matière plastique.

Et j’en oublie sans doute, pour passer à la vie de l'ICEM qui est tout à la fois condition et but de notre activité. L'I.C.E.M.

 

L'INSTITUT COOPERATIF DE L' ECOLE MODERNE

L’ICEM a maintenant une vie et une comptabilité séparées de celle de la CEL, ce qui nous permet de mieux situer la santé, hélas ! toujours précaire, de nos diverses éditions.

Disons en effet que, hors les BT dont le tirage monte régulièrement, et qui bouclent leur budget, les autres éditions joignent difficilement les bouts. On le comprendra en examinant en détail nos diverses publications.

1°. L'Educateur : Dans l'ensemble, notre revue semble avoir donné satisfaction à la majorité de nos camarades. Les numéros Magazine ont été particulièrement appréciés. Ils constituent une sorte de recherche, de discussion et d'information à un deuxième degré, valable surtout pour les éducateurs bien engagés dans notre mouvement. Les numéros technologiques, axés surtout sur les Bandes enseignantes, ne sont certes pas suffisants pour l’initiation des nouveaux venus. Pour eux, nous avons entrepris l'édition de nos dossiers qui reconstitueront peu à peu notre ancienne collection BENP (Brochures d’Education Nouvelle Populaire), qui a tant fait autrefois pour le démarrage de notre mouvement.

Nous allons d'ailleurs examiner séparément ci-dessous cette question complexe d'initiation des nouveaux venus, et surtout des jeunes.

Notre édition technologique pour le second degré a été un gros succès. Les travaux du Congrès en seront facilités et revalorisés.

2°. Les BT ont pris cette année un visage d’une exceptionnelle qualité pédagogique et technique, qui leur permet de s'aligner maintenant avec les plus belles revues pour enfants.

Les techniques d’une telle réalisation ont hélas ! leurs servitudes : certains numéros dont l'adaptation et la qualité pédagogiques nous agréeraient, ne peuvent plus passer, faute de photos en noir et en couleur de bien belle qualité. Et les délais de préparation (deux mois d’avance), nous astreignent à un calendrier dont nous ne pouvons guère nous évader.

Bien sûr, ces BT, axées sur le CM, le FEP et les CEG ne conviennent qu'exceptionnellement à nos petites classes, qui se considèrent, de ce fait, comme déshéritées. On nous réclame sans cesse une deuxième série de BT pour les CP et CE. Le succès croissant de nos abonnements BT et surtout de la vente des collections, nous permet d'envisager pour la rentrée d'octobre, la publication d'une deuxième série « classes Élémentaires » que nous pourrions sortir, pour commencer, au rythme de 10 numéros par an. Ces BT comporteront un nombre à fixer de pages BT Magazine dans lesquelles nous insérerions presque exclusivement des œuvres d'enfants, ce qui nous permettrait de supprimer La Gerbe que nous ne parvenons pas à faire vivre.

Nous donnerons après le Congrès, toutes indications sur le prix d'abonnement, mais dès maintenant je demande aux camarades intéressés de nous envoyer des projets pour ces BT ainsi que toutes suggestions pour le contenu et la présentation possible. Indiquez-nous aussi si vous pourrez vous abonner à cette seconde édition.

Si nous avions déjà en mains des projets et des directives, nous pourrions en discuter plus positivement au Congrès.

On se demande parfois jusqu’à quand, après le 600° numéro, nous aurons des thèmes valables. Or, fait étonnant et foncièrement encourageant, la production de nos BT ne tarit pas. Nous avons déjà les titres pour la nouvelle année. Notre seul ennui, c'est de faire trop attendre pour l'édition des œuvres qu’on nous confie.

Nous demandons à nos lecteurs ce qu’ils pensent de l’adjonction, dans les pages de Magazine de textes d'enfants, plus spécialement d’enquêtes et d’inventions,

Aucune publication actuellement sur le marché ne peut être comparée à ce jour, à la richesse de notre collection BT qui mérite un succès croissant. Nous vous demanderons de vous y employer tous,

4°. Les Suppléments BT (SBT) sont eux aussi une production qui n’a aucun équivalent dans la production pédagogique. Tous les lecteurs BT devraient y être abonnés.

5°. L'Art Enfantin, quoique splendide, joint péniblement les bouts. Il reste cependant une réalisation unique qui magnifie la production artistique de nos enfants. Elise Freinet vous en parlera pour étudier dans quelle mesure cette publication pourrait être combinée avec la constitution, si elle est bien accueillie du Club de l'Art Enfantin.

6°. Les BT Sonores sont un très grand succès pédagogique, et aussi technique et artistique. Elles seraient un très grand succès d'édition si nous avions un jour la possibilité financière d’en assurer la diffusion qu'elles méritent.

7°. Nos BEM (Bibliothèque de l’Ecole Moderne) constituent, année après année la vraie Bibliothèque qu'attendent nos adhérents. Mais ce sont plusieurs milliers d’abonnés qui devraient se joindre au noyau de nos fidèles souscripteurs. Nous aborderons d'ailleurs ce problème quand nous étudierons ci-dessous le problème général de la culture.

Les souscripteurs vont recevoir incessamment le Tome II de Naissance d’une Pédagogie Populaire d'Elise Freinet.

Ils recevront ensuite, avant le Congrès : Le Fichier scolaire documentaire de Belperron et Bourdarias, et, sitôt après le Congrès notre numéro sur De la Coopérative scolaire À l’autogestion. D’autres numéros sont en préparation notamment ceux de la commission des classes de Perfectionnement sur le travail dans ces classes.

On nous dit bien que nous avons trop d’éditions et que le montant en est trop élevé. Mais laquelle sacrifier? Dans l'ensemble, notre fichier comporte aujourd’hui 25 000 adresses, ce qui est tout de même rassurant.

8°. Nous parlerons seulement pour mémoire de notre revue intérieure Techniques de Vie, qui n'est servie qu'à nos travailleurs, et gratuitement. Nous y avons traité cette année, outre des problèmes d'organisation et de travail, des questions dont nous allons parler ci-dessous, de la jeunesse et de la culture.

Telles qu'elles sont, nos publications sont certainement uniques, non seulement en France mais dans la littérature pédagogique mondiale. Elles sont l'œuvre des éducateurs eux-mêmes, par des initiatives et des collaborations bénévoles et généreuses, au seul service donc des enfants et des éducateurs.

Ceci dit, un peu succinctement, discutons plus longuement de quelques- uns des problèmes vitaux de notre mouvement.

 

LA DIFFUSION ACCELEREE

DE NOS TECHNIQUES

On nous a accusés de nous être réjouis exagérément des circulaires ministérielles qui recommandent nos techniques et notre pédagogie.

Mais n’ai-je pas, dès leur parution, rappelé moi-même ma réponse à une personnalité suisse qui, il y a quelques années, me posait la question :

Et si demain des circulaires ministérielles rendaient officielles, et donc obligatoires, vos techniques, serez-vous satisfait ?

Je répondais :

Ce serait la plus sale blague qu'on pourrait nous faire : les éducateurs, non habitués au travail nouveau, saboteraient sciemment ou inconsciemment nos techniques qui échoueraient. On en concilierait alors que ces techniques ne sont pas valables pour l’enseignement public. C'est aujourd’hui encore le grave danger qui nous menace et nous en avons tous conscience. Mais n'avons-nous pas été mis devant le fait accompli? Nous a-t-on un tant soit peu consultés pour la rédaction de ces circulaires qu’il nous faut bien prendre aujourd’hui pour ce qu’elles sont.

Il est exact que nous avons considéré cependant que ces circulaires constituaient une reconnaissance implicite de la valeur de notre pédagogie, et qu’on est toujours satisfait de voir se réaliser une partie au moins des espoirs auxquels on a tant sacrifié.

Notre pédagogie a désormais dépassé le cadre de l'expérience pour accéder à la dignité de méthode officiellement valable.

Nous n’avons pas attendu que nos détracteurs reconnaissent la vanité de circulaires pédagogiques qui n’ont pas leur pendant dans l’octroi de crédits et la préparation des maîtres. Ils sont habitués, eux, aux solutions qui ne dépassent jamais le stade de la théorie et du verbalisme. Pour nous, une circulaire n'a valeur de progrès que s'il nous est possible de la traduire effectivement et pratiquement par une amélioration de nos conditions de travail et du rendement de nos efforts.

Il y avait, dans l’application éventuelle de ces circulaires, notamment pour les classes de Perfectionnement et les classes de Transition l’aspect financier pour l’achat du matériel. Ce n’était pas le plus grave. Dans certains cas, des fonds ont malgré tout été débloqués, et si même l’achat de tout le matériel souhaitable n’était pas immédiatement possible, nous savons bien qu’on peut s’engager dans nos techniques sans l’équipement complexe, pour que soit remplie la deuxième condition cruciale : la formation des éducateurs.

Si l'expérience en cours devait échouer partiellement — et nous espérons bien qu'elle n'échouera pas totalement — ce ne sera pas faute de matériel, mais faute d’éducateurs compétents et initiés. Nous réussirons partiellement, parce qu'un certain nombre des nôtres se sont engagés tout de suite dans les classes de Transition et qu’ils sauront y tenir la tête de peloton.

Pour les autres, nous voudrions bien que ce ne soit pas catastrophique. Faute de personnel on recrute du personnel formé — plus ou moins bien — aux méthodes traditionnelles, à qui se pose le problème suivant : pour respecter les Instructions Ministérielles, ils sont dans l'obligation de pratiquer une pédagogie qu’ils ne connaissent pas. Alors, ils vont trouver nos camarades. Ils ne se sentent pas aptes à affronter notre pédagogie, et encore moins l'esprit de notre pédagogie. Ils veulent savoir seulement, très vite, comment on fait le texte libre, comment on imprime un journal, comment on fait la correspondance, Cela leur, suffit pour l’instant. Ils saboteront inconsciemment notre pédagogie. Dans les meilleures conditions, ils n’en prendront que la forme, qu’ils dépouilleront de toute matière vivante et sensible. Ils emploieront nos techniques selon l’esprit traditionnel. Il n'y a pas pour nous de trahison plus dangereuse.

Comment l’éviter? Nous ne pensons nullement d’ailleurs que cette trahison soit un tant soit peu volontaire, A la place de ces camarades nous ne ferions peut être pas mieux. Ils ne pensent appliquer notre pédagogie que s'ils en connaissent les techniques.

Quelles possibilités avons-nous de pallier ce danger mortel, et de mettre les éducateurs qui le désirent en mesure de connaître et de pratiquer notre pédagogie?

L'indispensable initiation est d’autant plus délicate qu'elle se fait obligatoirement, et en même temps sur le plan théorique et sur le plan pratique. Pour cela le spectacle d’une classe travaillant selon nos techniques est indispensable.

a) Le procédé le plus simple, qui pourrait peut-être être généralisé, est justement la visite des classes au travail. Nos groupes départementaux organisent ces visites. On se réunit dans la classe d’un camarade, on voit ses élèves travailler dans un climat nouveau et l’après-midi, entre camarades, on étudie l’incidence de ces pratiques sur la pédagogie.

b) Mais de telles réunions ne peuvent recycler que quelques éducateurs. On obtiendrait sans doute de meilleurs résultats avec les visites individuelles de classes.

Nous avons dans chaque département, 2, 5, 10, 15 classes travaillant selon nos techniques. Il n’est pas indispensable qu'elles les pratiquent à 100%. Il est parfois même préférable que les stagiaires d'un jour prennent contact avec une classe qui a à peine amorcé sa modernisation. L'écart sera moins grand à franchir. L’essentiel est que le nouveau venu, en présence d'un climat nouveau, comprenne qu'il doit faire un pas, qu'il doit chercher à son tour, expérimenter. Il sera désormais sur la voie d'une solide initiation. Si ces visites de classes étaient organisées officiellement par les I.P. c'est 10, 15, 20, 50, 100 maîtres qui pourraient se recycler chaque mois. Ce ne serait certes qu'un point de départ que consolideraient et accentueraient la participation aux réunions de groupes, les conférences avec démonstrations à des réunions de stagiaires, les lectures se rapportant à nos techniques.

Qui commencera? Quels départements, quels Inspecteurs se lanceront dans une initiative de large coopération qui pourrait peut-être nous sauver?

c) Les stages Ecole Moderne

Nous les organisons au mieux, par nos propres moyens, sans aucune subvention. Nous ne touchons de ce fait qu'un millier de camarades par an, ce qui, même si les résultats sont satisfaisants, est totalement insuffisant pour faire face aux besoins massifs urgents. Nous avons cette année prolongé et complété ces stages par notre Cours gratuit par correspondance, avec institution de parrains, qui a touché plusieurs centaines de nouveaux-venus et nous a permis d'agrandir le cercle de nos travailleurs. Tout cela n'est certes pas négligeable, mais est loin de résoudre le problème général du recyclage des éducateurs,

d) Les CEMEA avaient été chargés, et restent chargés de l'organisation de stages d’initiation pour classes de Transition. Ils ont fait appel à notre concours pédagogique, ce qui est normal et naturel. Il est des départements où notre travail en commun a fonctionné à la satisfaction générale.

Nous souhaiterions qu’une telle collaboration puisse s'intensifier pour l'organisation permanente de stages de recyclage, pour les classes de Transition d’abord, pour tous les jeunes ensuite, soucieux d'accéder à des formes d’enseignement plus enthousiasmantes et plus efficientes.

POUR L'ACCESSION DES JEUNES

A NOTRE PÉDAGOGIE

Le fait nouveau des circulaires officielles qui incitent, poussent, et contraignent même certains éducateurs à la pratique de nos techniques, n’a fait qu'accentuer d’une façon parfois dramatique pour notre mouvement, la tendance générale des jeunes à s'orienter vers nos techniques.

Cette tendance est naturelle, Les jeunes n’acceptent jamais passivement les modes de vie et de penser des générations qui les ont précédés. C'est un aspect du conflit des générations. S'ils ne parviennent pas à obtenir les changements qu'ils souhaitent, ils cherchent des dérivatifs dans d’autres directions. Non les jeunes n’acceptent qu’à contrecœur l’Ecole qu'on leur impose. Bien sûr, s'ils ne voient pas d'autre solution que celles qu’ils trouvent dans les postes où ils sont nommés, ils n’ont pas le choix, provisoirement. Ils sont comme le jeune paysan qui sent confusément le besoin de ne plus travailler comme l'ont fait ses parents. Mais pour moderniser son installation, encore faut-il qu’il ait des tracteurs et qu'il sache les conduire. Sinon, lui aussi n'aura pas le choix : ou bien labourer avec le cheval et bêcher à la main comme on le fait depuis cent ans, ou bien quitter le métier.

C’est hélas ! l'alternative qui s’impose souvent aux jeunes éducateurs : ou se plier à l'Ecole traditionnelle souveraine, et s’engager au plus vite dans une routine amolissante qui leur permettra de gagner leur mois, en cherchant dans d’autres directions, vers d’autres horizons les dérivatifs qui leur permettront de durer. Ou bien avoir recours ailleurs à un autre gagne-pain mieux conforme à leurs tendances et à leurs besoins.

Leur préparation ne les aide certainement pas à opérer ce choix. Ils baignent depuis toujours dans une atmosphère traditionnelle qui les envoûte et ils ne comprennent même pas de quoi nous voulons leur parler. Ajoutons que l'Ecole Normale a accentué encore chez eux la tendance scolastique à un intellectualisme séparé de la vie, mais qui n'en est pas moins pour eux, le seul recours. Ils ne pensent pas même qu'il puisse y avoir une solution valable hors de cette piste qui bénéficie de plus du prestige des grands noms de la psychologie et de la pédagogie. Il faudra qu’ils se trouvent un jour devant le néant intellectuel et moral, qu'ils se rendent compte de la vanité de leurs efforts jusqu’à se dire qu’ils ne peuvent pas continuer ainsi. C'est à ce moment de désarroi et de doute que nous apporterons nos solutions positives et pratiques.

Nous ne nous faisons pas d’illusions : cette imprégnation d’Ecole Moderne sera longue et difficile. C’est d’ailleurs un problème exclusivement d’éducateurs, un problème d'adultes. Pour les enfants il n'y aura ni hésitations ni ennuis : ils iront d'emblée vers nos techniques.

Ce sont les adultes qui rechignent. Si on semble les forcer un tant soit peu, si les Instructions, et une certaine mode les incitent à s’orienter vers nos méthodes, ils s'y engagent dans l’esprit Ecole traditionnelle.

L'esprit s'enseigne difficilement. On le sent. Il suffit parfois d’entrer dans une classe moderne, de voir le maître détendu, les enfants décidés et le front haut, pour comprendre qu’il y a quelque chose d'essentiel de changé : c’est la vie qui, peu à peu, remplace la sclérose, la passivité et la mort.

Je ne suis pourtant pas foncièrement pessimiste. J’ai fait cette année l’expérience à grande échelle de notre Cours par correspondance qui m’a fait prendre contact avec des débutants, jeunes pour la plupart. Ils ont parfaitement compris tout de suite le sens de nos travaux, la portée de nos bandes ; ils se sont mis à chercher, à critiquer pour mieux faire et à aborder enfin leur métier dans un esprit constructif qui peut les mener loin.

Mais, évidemment, le changement de technique de travail, une conception nouvelle de l’apprentissage et de la vie, ce n’est pas une petite affaire. C'est l'aventure la plus délicate pour un travailleur, Ne nous étonnons pas si ce recyclage — pour employer un mot à la mode — est parfois long et délicat. C’est une erreur ancestrale que nous avons à redresser. Il y faudra peut-être toute une génération.

Mais n'en est-il pas ainsi pour tout ce qui touche à l'éducation de nos enfants?

 

LA CULTURE

Ces difficultés de recyclage nous amènent au problème de la culture dont nous avons déjà commencé à discuter dans notre revue intérieure Techniques de Vie, à la suite d’un article d'Elise Freinet.

Recycler un éducateur, ce n’est pas lui montrer comment on fait un texte libre ou on imprime un journal. Il y a certes une technique qui peut être acquise assez rapidement et qui sera, par elle-même, un progrès sur les vieilles techniques, Mais la routine, la sclérose, lamineront bien vite ces acquisitions si elles ne sont pas motivées et soutenues par une conception nouvelle de la vie.

Cette conception de la vie, c'est la culture.

Celui qui agit mécaniquement, par simple initiation et tradition, en répétant seulement les gestes, en adoptant passivement les pensées du milieu où il vit, celui-là n’est pas cultivé. S’il se pose au contraire les problèmes de l’action, du comportement et de la destinée ; s’il n'accepte point pour définitif ce qu’on lui a conseillé ou appris ; s’il doute et s'il cherche, alors il avance vers une culture.

Ce que sera cette culture? II serait trop facile et trop simple de lui donner d’avance un qualificatif, pour la fixer ainsi dans une forme où nous nous enfermerons prématurément. La culture n’est pas un point d’arrivée ; elle est recherche, acquisitions, expériences, changeantes selon les individus et selon le milieu ; elle est ouverture d’esprit et confrontation intelligente avec ce qui est, et ce qui devient.

Or, c’est cette culture dynamique qui va s’amenuisant, jusqu'à disparaître un jour peut-être.

Notre génération n’était pas plus intelligente que celles qui affrontent aujourd'hui les difficultés de la vie, mais nous avions encore le temps de nous rencontrer, de discuter, de réfléchir à notre métier et à notre vie, le temps de tourner et de retourner les problèmes comme le faisait le vieux paysan au coin du feu.

Malgré la pénurie d'organisation scolaire d'alors, il y avait une culture qui s’est traduite par tous les éléments d'un folklore que nous admirons encore aujourd'hui.

Ce sont ces conditions de milieu qui ont été bouleversées au cours de ces dernières années. La radio, aujourd'hui la télévision, remplissent tous les moments « creux » de la journée. A défaut, pour ne pas rester seul avec ses problèmes et ses pensées, l'homme prend journaux et revues qui en dispensent de réfléchir.

Finies les promenades à pied dans les champs et les bois, finies les parties de chasse ou de pêche, qui nous faisaient sentir en intimité la vie du monde autour de nous. On prend l'auto qui, elle aussi, supprime toute pensée. Et l'on s’enfonce automatiquement dans une routine qui est le contraire de la culture.

Nous n'étions pas plus cultivés à la sortie de l'EN que nos jeunes d'aujourd’hui. Nous l'étions beaucoup moins sans doute, Mais nous avons eu ensuite la possibilité de chercher et d'expérimenter parfois dramatiquement, et eux ne l'ont plus.

Ce changement radical intervenu dans les comportements face à la culture est aujourd’hui très visible, hélas ! Au début de nos techniques, il y a trente à quarante ans, les échanges entre nous étaient plus fréquents et plus profonds qu’aujourd’hui. Nous discutions alors vraiment les thèmes que nous mettions à l’étude. La recherche était alors effective et profitable. En voici deux exemples :

— A la veille de la guerre de 1939, je joignais à La Gerbe des questionnaires à nous renvoyer. L'un d'eux traitait : Moi, enfant de 1938. Je recevais alors 500 réponses. Nous n’en aurions peut- être pas 10 aujourd’hui.

— Il en est de même des questionnaires que nous lançons d’ordinaire pour la préparation de nos Congrès. Ils nous valaient autrefois un extraordinaire courrier. Personne ne répond plus aujourd'hui à nos demandes obstinées. C’est un fait, hélas ! incontestable, avec lequel nous devons désormais compter et qui ira s’aggravant encore. Les réponses que nous recevons encore nous viennent en effet des rares instituteurs ou des ménages attardés dans les campagnes. Ils seront eux aussi prochainement ramenés dans les écoles- casernes des bourgs et des villes. La culture qui nous nourrissait sera morte.

***

Il nous reste un espoir.

Par nos techniques, par notre pédagogie, nous sommes à la base d'une nouvelle culture, valable pour l'enfance d'abord, mais qui nous fera retrouver peut-être les grandes lois de la vie, en nous et hors de nous.

Nous découvrons un monde nouveau — l'enfant — et cette donnée jusqu’ici méconnue nous amène à reconsidérer la psychologie et la pédagogie, les relations maîtres-élèves, et l'influence du milieu, et l'action de toutes les subtilités de sentiment, de pensée, de psychisme, d'art, pour aborder une nouvelle conception de l'homme et de l’enfant, et donc une nouvelle culture.

L’entreprise est prometteuse, certes. Mais n’est-elle pas aussi une sorte de gageure? Ne nous faudra-t-il pas partir en guerre contre tout ce qui est, contre tout ce qui est assis depuis des siècles sur des conceptions et des croyances, dont les plus solides datent de l'antiquité? Et trouverons nous un jour, comme nous le souhaiterions, des intellectuels, des professeurs, des psychologues qui, entraînés à l'ancienne culture, oseront la mettre en doute, la discuter, la reconsidérer afin d’aborder, l'esprit libre, cette indispensable confrontation entre l’ancien et le nouveau qui nous permettrait de progresser? Parviendrons-nous un jour à passionner à ces recherches un noyau de plus en plus vaste d'éducateurs qui sauront alors déborder le milieu rétréci de l’Ecole pour promouvoir, avec les adolescents et les adultes, cette nouvelle culture ?

Lorsqu'on s'est habitué à travailler en classe avec nos méthodes de vie on est naturellement porté vers la recherche d’une culture.

Il nous suffira de satisfaire à ce besoin pour ouvrir dans les meilleures des éducations, une brèche qui les conduira à une reconsidération radicale de leur optique de vie.

 

VERS UNE ORGANISATION SOLIDE

DE NOTRE MOUVEMENT PEDAGOGIQUE

Tant que notre groupe était peu nombreux et que nous comptions en son sein une forte proportion de camarades chercheurs et cultivés, le problème de la direction de notre mouvement ne se posait pas vraiment. Nous dirigions tous ensemble, en vraie coopérative.

Avec l’afflux croissant de nouveaux venus et les dangers qui en résultent, force nous est de modifier notre organisation.

On trouvera normal que nous ne donnions pas d’emblée pouvoir de direction aux débutants qui n’ont pas suffisamment maîtrisé nos techniques et ne se sont pas encore imprégnés de cet esprit dont nous voulons faire la base de notre culture.

Nous sommes en train de grouper dans un noyau de cadres les camarades qui sont susceptibles de nous aider dans tous les domaines.

— par la connaissance et la pratique de nos techniques;

— par leur souci de nous aider sans réserve pour la réussite de notre oeuvre ;

— pour la sûreté de vue pédagogique et philosophique ;

— pour la liaison de notre connaissance au vaste devenir culturel et humain.

Ce noyau central d’une soixantaine de camarades se réunira déjà en pré Congrès à Brest. Il désignera le CA- CEL et le CA-ICEM et prendra toutes mesures pratiques pour la bonne marche du Congrès.

Ce noyau nous l’élargirons et l'enrichirons de toutes les bonnes volontés efficientes qui se joindront à nous. C’est à ce noyau, et aux travailleurs qui s’y joindront dans l’action que nous réserverons le service gratuit de Techniques de Vie. Si notre situation financière nous le permet, nous pourrons en cours d’année, organiser dans diverses régions des réunions de cadres et de responsables pour l’étude, à un deuxième degré, des problèmes qui nous sont essentiels, et que nous préciserons chemin faisant.

Plusieurs groupes ont senti d’ailleurs ce besoin de discussion à ce deuxième degré. Certes, les camarades ne rechignent pas devant la nécessité de faire, à longueur de journée de l’initiation pédagogique et technique. Mais à répéter aussi ce qu'ils savent eux- mêmes depuis longtemps, ils risquent parfois de perdre leur élan. Ils ont besoin de se retrouver entre camarades pour discuter des problèmes dont ils sentent l’importance. Ils ont besoin, par-dessus les techniques, de rejoindre les grandes pensées collectives d’une culture aux larges horizons.

Nous assurerons ainsi la promotion des meilleurs par le succès croissant de notre pédagogie.

Nous discuterons plus longuement au Congrès de ce problème de la culture pour y entraîner le maximum de camarades qui comprendront alors tout ce qu'ils peuvent attendre de la pédagogie Freinet, renouvelée et rajeunie à travers les épreuves qui en exaltent l'élan et le dynamisme, dans l'indispensable climat de camaraderie et d'amitié.

C. F.

 

Quelques recommandations importantes concernant le Congrès de BREST

— Les dortoirs (Lycée classique et Lycée technique mixte de Kérichen) n'étant pas sur les lieux mêmes du Congrès, un service de cars transportera les congressistes non motorisés, matin et soir.

— Tous les congressistes (à part ceux logés à l'hôtel), prendront le petit déjeuner au restaurant universitaire.

— Pour certains camarades, je rappelle que le bon SNCF donne droit à une réduction de 20 % sur le voyage aller-retour.

Note importante : Les talons aiguilles sont formellement interdits dans les dortoirs des Lycées de Kérichen.

Entrée des Lycées par la rue Léon Blum.

Pour renseignements supplémentaires, s'adresser à :

Emile Thomas, 18 rue de l' Iroise, Brest (Nord-Finistère)