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Faut-il remettre en honneur la fessée ?

Dans :  Techniques pédagogiques › organisation de la classe › 
Décembre 1959

Ainsi donc les lignes et les verbes, les mauvais points, le piquet et le bonnet d'âne, lorsque ce n'est pas la « pelote » dans la cour, ne suffisent pas à prévenir ou à guérir l’épidémie de Tricheurs et de Blousons noirs ? La police se mobilise et une revue pédagogique suisse (1) - ce pays de démocratie et de liberté ! — ose écrire aujourd’hui : « Remettons en honneur la fessée !.. Dans nos relations avec les pères et mères de nos élèves, rien ne nous empêche de recommander la verge comme ultime moyen de discipline ».

S’il faut vraiment en revenir là, s'il nous faut faire ce bond en arrière de quatre-vingts ans, c'est à désespérer de l'éducation, c'est à désespérer de la démocratie.

Car enfin, vous n'avez pas la naïveté de penser qu'avec des verbes, le bonnet d’âne, la pelote et la fessée, vous allez préparer les citoyens de demain d’une libre démocratie. Vous formez, à n'en pas douter, des serfs taillables et corvéables, qui plieront la tête devant le seigneur ou les gendarmes, en serrant les poings et en préparant leur revanche, qui sera la Jacquerie ou les exploits de la bande.

Les enfants que vous avez commandés avec une inhumanité qui leur est une intolérable humiliation, voudront commander demain à leur tour avec la même brutale autorité. C’est une réalité naturelle, dont seuls des hypocrites peuvent faire semblant de s'émouvoir.

La discipline autoritaire, tant à l’Ecole que dans la famille, c'est une préparation indirecte mais sûre à l’asservissement, à la dictature et au fascisme. C'est par la liberté qu'on prépare à la liberté ; c'est par la coopération qu'on prépare h l'harmonie sociale et à la coopération ; c'est par la démocratie qu'on prépare à la démocratie.

Ce sont ces réalités, plus parlantes que la trilogie : Liberté - Egalité - Fraternité, qu'on devrait inscrire au fronton de nos établissements scolaires pour en aviser et en prévenir éducateurs et usagers.
Ils sont trop jeunes, objecte-t-on. Ils ne savent ni s'organiser ni se diriger. Il leur faut pour l'instant des maîtres sévères qui décident pour eux et sachent se faire obéir.

Méfiez-vous !

C’est avec de tels arguments que l'ancien régime condamnait d'avance la chimérique entreprise des révolutionnaires de 89, et que nos colonisateurs ont maintenu si longtemps dans l'esclavage des peuples qu'on disait incapables de s'administrer sans l'aide et la direction ferme de leurs maîtres.

Aujourd'hui, d'autres révolutions sont venues parachever le geste libérateur de 1789 en encourageant les peuples à reconquérir liberté et autonomie.

L’Ecole préparera-t-elle la démocratie de demain ou justifiera-t-elle les dictatures ?

Le chœur des éducateurs — parents et maîtres — élève alors la voix avec véhémence, comme un apprenti cocher qui aurait perdu son fouet, avec lequel il excitait son cheval de bois.

— Et s'il n'y a pas d'autre moyen pour maintenir l'indispensable discipline !

C'est que, justement, il y a aujourd’hui d'autres moyens, et qui ont fait leurs preuves.

La coopération et la démocratie peuvent être instituées à l’Ecole ; une discipline nouvelle du travail peut redonner aux enfants cette conscience de leurs droits et de leurs devoirs, sans laquelle la liberté ne saurait être qu'un piège ou qu’un leurre. L’Ecole peut et doit désormais former des hommes.

Il y faut certes, une autre forme d’organisation et de travail, une nouvelle atmosphère née de relations plus humaines entre éducateurs et éduqués. Il faudra, dans les familles, rompre avec un passé de servitude dont nous reforgeons diaboliquement les chaînes à chaque génération, L'Ecole peut et doit préparer les citoyens et les coopérateurs.

C'est parce que le bruit court, comme une traînée de poudre, que des temps sont révolus et qu'une forme de vie plus humaine se prépare et s'annonce, que s’agite le monde des enfants et des adolescents comme bouillonnent aujourd'hui, tout près de nous, les pays d'Afrique Noire qui voient se lever à l'horizon le drapeau de la liberté.

Il faudra bien qu'on admette enfin que la violence, les punitions, la verge ou la fessée ne paient pas, et ne sauraient être une solution digne des proches avenirs.

Méfiez-vous de l'illusion et de la griserie de l'autorité, de l'obéissance condescendante d'hommes et d'enfants qui baissent la tête mais dont le coeur s'emplit de reproche et
de haine.

En aucun cas, et quoi qu'il y paraisse, la punition bénigne ou brutale n'est une solution efficace aux problèmes posés par l'Ecole et la Vie, par l'Ecole dans la Vie. Elle est peut-être une solution apparente, comme le couvercle qui ferme d'autorité la marmite prête à déborder, mais qui n'en débordera pas moins si vous ne parvenez à apaiser le feu qui l'agite et la met sous pression.

Les punitions - qu'elles soient bénignes ou inhumaines - sont des solutions pour les siècles d'autocratie. Il nous faut mettre à l'honneur la discipline nouvelle de la liberté et de la démocratie.

(1) L’École Valaisanne - décembre 1959.