Raccourci vers le contenu principal de la page

Guide général de l'Educateur Moderne (suite)

Dans :  Formation et recherche › formation › 
Octobre 1954

Il ne s'agit pas pour nous de donner seulement des conseils théoriques, mais d'entrer tout de suite dans le vif de la pratique.

Quels sont les problèmes que se pose le jeune instituteur, et même l'instituteur qui n'en est plus à ses premières armes, lorsqu'il affronte, en octobre, une nouvelle classe. (Je voudrais citer dans l'ordre de préoccupation. Si je fais erreur ou si j'oublie quelque souci majeur, je serais heureux que les intéressés complètent ou rectifient en m'écrivant.)

1° Comment maintenir la discipline ?

2° Comment faire les leçons en suivant l'horaire et les programmes ?

3° Comment obtenir que les enfants progressent normalement ?

4° Comment faire pour que les parents soient satisfaits ?

5° Comment faire pour que l'Inspecteur soit satisfait ?

6° Subsidiairement : si je pouvais parvenir à une bonne atmosphère dans ma classe et entretenir avec mes élèves des rapports humains.

Ce sont ces divers points que nous allons examiner maintenant dans notre guide.

 

5° Travail et Discipline sont intimement mêlés : C'est là une opinion moins courante qu'on ne croit.

Les éducateurs qui se sont, au cours des siècles, trouvés en face de masses imposantes et hétéroclites d'enfants, se sont référés, faute d'expérience plus valable, à l'expérience de l'armée qui lui est certainement antérieure, et qui a toujours fait impression.

Or, à l'armée, il y a discipline d'abord, travail ensuite. On s'aligne et on prend le garde-à-vous avant de procéder au maniement d'arme. Et le jeune officier veillait plus autrefois à l'alignement de ses soldats et à leur progression synchronisée qu'aux aménagements tactiques qui permettaient aux combattants de s'adapter aux terrains et de se soustraire aux coups de l'ennemi. Seule l'expérience tragique des deux dernières guerres a incité l'armée à dépasser ce stade pour accéder à des conceptions qui sont, en bien des points, en avance sur les pratiques disciplinaires de l'Ecole.

C'est de cette analogie avec l'armée ancienne formule que relèvent les conseils disciplinaires qu'on pourrait vous donner et sur lesquels vous essayez, toujours maladroitement, de composer votre comportement.

On vous dira : restez sévères et distants, exigez d'être obéis quand vous avez commandé, même si vous avez le sentiment de n'avoir pas raison, silence d'abord, bras croisés, gamme de punitions, piquet ou lignes.

C'est une impasse.

Tu peux, dans cette voie, obtenir dans ta classe une bonne discipline militaire, formelle et spectaculaire. Les parents trouveront même que c'est bien, un maître qui se fait respecter. L'Inspecteur sera peut-être impressionné. Seulement, même si tu réussis, même si tu obtiens de bonnes notes et de l'avancement, tu seras toujours malheureux parce que tu te seras trompé de profession et que tu es ou tu deviens adjudant et non éducateur.

Tu n'auras, ce faisant, aucune des joies supérieures qui nous font aimer un métier qui est pour nous un sacerdoce. Quant à ton influence et ton action sur les élèves, nous sommes suffisamment édifiés par l'influence formatrice et moralisatrice de l'armée.

Si tu veux être un éducateur, suis-nous !

6° La Discipline du travail : Tu auras remarqué que, aux moments, hélas ! trop rares où les enfants ont trouvé en classe une activité qui les passionne, tu n'as plus ni à intervenir, ni à gronder, ni à punir. Tu aides et tu entres en plein toi-même dans le circuit travail.

La mode croissante des sports aura fait beaucoup pour l'établissement de cette nouvelle discipline. Le chef d'une troupe n'est pas celui qui, de l'extérieur, dirige et commande. Le chef c'est l'as, celui qui, dans l'action, entraîne tous ses coéquipiers, celui qui est le pivot des victoires et sans lequel la vie de l'équipe serait difficile.

Nous ne pouvons plus rester à l'écart, crayon ou badine en main pour noter ou sanctionner les entorses à la discipline. Il nous faut entrer dans la vie de la classe, y participer, l'animer, devenir celui sans lequel il n'y aurait ni réussites ni victoires.

C'est cela que nous voudrions t'aider à comprendre et à pratiquer.

7° Il y a pourtant quelques conseils pratiques que nous pourrions te donner et dont nous pourrions d'ailleurs étudier ensemble l'opportunité.

Car nous ne travaillons pas, hélas ! dans l'idéal. Ces enfants qui arrivent dans notre classe n'ont qu'une préparation contraire à celle que nous voudrions amorcer. Ils sont habitués à être commandés et à esquiver les commandements ; ils te regardent en ennemi et attendent tes ordres, pas tant d'ailleurs pour s'y conformer que pour les esquiver.

Que tu le veuilles ou non tu es, au début du moins, non avec tes enfants, mais en face d'eux. Et ils sont en face de toi, occupés à scruter tes faiblesses pour essayer de prendre des points dans la lutte qui s'amorce.

Il y a comme qui dirait une transition. Si tu as toi-même une certaine autorité naturelle, si tu es habile à dominer sans heurt grave les velléités d'opposition et de résistance, si ton école est équipée pour un travail efficient, alors tu peux y aller. Mais si — et c'est le cas de 90 % d'entre nous — tu te sens trop marqué par la discipline si longtemps subie et pratiquée ; si ta classe est trop mal équipée pour que tu puisses accéder sans trop d'accrocs à la discipline du travail, alors il faut procéder avec précautions, de peur que ton comportement soit considéré comme inaptitude ou faiblesse et que tu perdes tout de suite des points dangereux dans la lutte entre maitre et élèves qu'il ne t’appartient pas toujours d'éliminer d'autorité.

8° Une discipline nouvelle : la Coopérative : Tu ne dois pas te contenter de prendre la suite en espérant te dégager plus tard quand les bonnes habitudes seront prises et ton autorité affermie.

Il vaut mieux montrer dès l'abord qu'on ne s'engagera pas dans cette voie, mais en marquant bien qu’à aucun moment elle ne saurait autoriser le désordre et l'irrespect.

Et tu expliqueras la solution Coopérative.

Les enfants savent tous plus ou moins ce qu'est la Coopérative ; tu peux, en puisant dans nos diverses publications, leur donner des exemples d'enthousiasmantes réalisations coopératives : journal scolaire, jardin coopératif, voyage scolaire, correspondance ; leur expliquer qu'ils peuvent avoir des fonds et les gérer.

Alors ces enfants comprendront qu'il y a vraiment chose de changé et que le problème scolaire se situe désormais sur un autre terrain que celui de la stricte obéissance.

Si tu le peux, fais un geste toi-même, pour montrer que tu entres dans le jeu, sérieusement. Fais don tout de suite à la Coopérative de tout ou partie du jardin de l'Ecole s'il y en a un. Affecte au travail coopératif soit un coin de l'Ecole, soit un couloir ou une pièce adjacente, soit un simple débarras qu’on nettoiera et ordonnera.

La coopérative ne doit à aucun moment rester théorique. Elle doit tout de suite s'organiser.

9° Fais nommer des responsables : Profite de l'inévitable élan vers la Coopérative pour procéder à un premier transfert — même s'il est partiel et prudent — de l'autorité.

Fais désigner les premiers responsables : surveillance de la propreté le matin ;

— à la surveillance de la propreté et de l'ordre dans la classe ;

— à l'aménagement du coin coopératif.

Et peut-être même tu feras nommer déjà le président de la Coopérative, en spécifiant bien que cette nomination n'est que provisoire et que se tiendront par la suite des réunions régulières de la Coopérative avec des statuts à préparer et à voter.

Mais ne t'engage pas dans la coopération par le biais formel ou statutaire. Donne d'abord assise et vie à la Coopérative. L'organisation viendra après.

Ton initiative aura beaucoup de succès. Théoriquement tous les enfants seront vite d'accord pour cette forme nouvelle de discipline et -de travail. Les velléités ne manqueront pas. Qu'elles ne te fassent cependant pas illusion. Il ne sera pas toujours facile par la suite d'obtenir que responsables ou simples adhérents s'astreignent à la loi Coopérative.

Nous en reparlerons.

10°. Et je te conseille sans retard un geste spectaculaire qui impressionnera tes élèves et leur montrera ton souci réel d'entrer, pratiquement, dans une nouvelle voie.

Enlève l'estrade.

Il ne faut certes pas justifier ton geste par un quelconque souci idéologique. Dis tout simplement : Nous n'avons pas assez de place dans notre classe car il va falloir installer des établis et des tables de travail. Cette estrade, même si elle est parfois utile, gêne beaucoup. S'il n'y a que la table ce sera plus simple. Je serai un peu mieux avec vous pour travailler.

L'estrade elle-même va te servir pour une table, et ton équipe se mettra bien vite au travail. Nous ne te conseillons pas de démolir l'estrade comme on le fait dans l'Ecole Buissonnière. Cela pourrait ne pas plaire à tout le monde. Et puis il vaut mieux ne pas toucher au mobilier administratif. Vous l'enrichissez seulement en vous dépossédant d'une prérogative.

Ne crois pas cependant que la voie Coopérative va supprimer toutes les difficultés. Ce serait trop simple. (A suivre).