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DITS DE MATHIEU - le poids de la servitude

Dans :  Formation et recherche › 
Juin 1951

— On dit que nos brebis sont bêtes. C'est nous qui les rendons bêtes en les parquant dans des étables étroites, sans air et sans lumière, où elles n’ont d’autres ressources que de piétiner en bêlant, jusqu’à ce qu’apparaisse le berger ou le boucher.

Et nous les rendons bêtes encore lorsque, en pleine montagne, nous les obligeons, sous la menace du fouet et des chiens, à suivre passivement, sur la draille tortueuse, les pas de la brebis qui est devant et suit elle-même le bélier à longues cornes qui ne sait pas davantage où il mène le troupeau mais qui est fier d’être le bélier.

Nous les rendons bêtes parce que nous réprimons brutalement toutes tentatives d’émancipation, toutes velléités des jeunes moutons de partir faire leurs expériences hors des chemins battus, de se perdre dans les fourrés, de s’attarder parmi les rochers, même s’ils n’y récoltent que déchirures et grincements de dents.

Mais nous, nous sommes excusables. Notre but n’est point d’éduquer nos brebis ni de les rendre intelligentes, mais seulement de les dresser à subir et à accepter, à désirer même la loi du troupeau et de la servitude, celle qui fait la bonne graisse et les lourds bénéfices.

Hélas ! j’entends encore des enfants ânonner en chantonnant — j’allais dire en bêlant — derrière les portes closes de leurs écoles- étables, même si ce sont des écoles-étables luxueuses ; je les vois piétiner comme mes brebis à l’entrée et à la sortie, et rien n’y manque, ni les béliers, ni les bergers autoritaires, ni les règlements aussi sévères que nos fouets et que nos chiens ; je les vois tourner tous ensemble les mêmes pages, répéter les mêmes mots, faire les mêmes signes...

Et vous vous étonnerez de les voir, plus tard, offrir misérablement leurs bras à l’exploitation et leur corps à la souffrance et à la guerre, comme les brebis s’offrent à l’abattoir !

C’est la servitude qui nous rend veules, c’est l’expérience vécue, même dangereusement, qui forme les hommes capables de travailler et de vivre en hommes.

N’acceptez pas le retour à la servitude scolaire. Méritez votre liberté !