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Théâtre : changer nos représentations

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Septembre 2000

 

Coincé entre d’une part l’apprentissage par cœur et la mise en scène de dialogues d’auteurs adultes et d’autre part l’image du « théâtre scolaire » que nous caricaturent à l’excès certains films américains : du grand spectacle haut en couleur et en musique où les pauvres bambins maquillés et déguisés font figures de pots de fleurs à photographier… le théâtre serait-il le parent pauvre des techniques d’expression dans l’école d’aujourd’hui ?

S’interroger sur la place du théâtre dans l’école nous amène à questionner nos propres représentations du théâtre ainsi que la dimension éducative qu’il peut apporter dans une dynamique de classe basée sur l’expression libre, la communication et la coopération.
 
« On n’a pas tiré du théâtre des enfants le centième de ce qu’il peut donner socialement et pédagogiquement [...] Il faut faire une plus grande confiance à la jeunesse, lui donner des exemples, certes, l’aider techniquement, mais la laisser libre en fin de compte de porter sur la scène ses pensées, ses croyances, ses conceptions et de les exprimer sous la forme qui lui est familière.
Exactement comme pour nos journaux scolaires et nos textes libres.
On arrive ainsi à des réalisations tout simplement étonnantes et qui sont d’un intérêt majeur pour tous les élèves [...]. »
C. Freinet. Brochure d’Education Nouvelle Populaire. N° 19. Janvier 1946.
 
Dans ce dossier, nous avons réuni des pratiques qui présentent l’éventail des problématiques liées au théâtre à l’école :
- son rôle et sa place dans l’expression ;
- la question du rôle du public : de la fonction structurante du groupe-classe vers les garde-fous quant aux représentations face aux parents;
- la place et le rôle des intervenants extérieurs ; du lien possible et souhaitable entre expression théâtrale et les apprentissages.
·                 
Théâtre ? Théâtre !
Vous avez dit « Théâtre »…
Quelle définition peut-on donner du théâtre, et quels apports l’expression théâtrale peut-elle offrir à la classe ?
Ce n’est pas par hasard si, lorsque Élise et Célestin Freinet conçurent leur école de Vence, ils créèrent en tout premier lieu un théâtre de plein air : un espace spécifique dévolu à l’expression enfantine par le théâtre, le mime, la danse.
Aussi la pédagogie Freinet a-t-elle toujours favorisé ce mode d’expression global : le théâtre comme expression des sentiments, des émotions, d’une réalité intérieure et d’une culture en voie de construction ; expression tâtonnée de soi, du monde qui nous entoure, de nos rapports familiaux et sociaux.
Un état des lieux
Le plus souvent, le théâtre rentre dans l’école par la petite porte :
- c’est la pièce de théâtre à monter pour la fête de fin d’année. Certes, le projet est motivant, il va mobiliser l’intérêt des enfants, il met à contribution les parents (les décors, les costumes…) mais bien souvent l’objectif de « rentabilité » (réussir une « belle représentation ») ou l’affligeante influence du théâtre de boulevard font tomber le tout dans les plus désolants travers d’une pratique élitiste : à l’enfant bien parlant, beau diseur, le plaisir et la gloire, quant aux autres, au mieux leurs mimiques feront rire tout le monde, au pire, ils resteront cachés derrière le groupe… ;
- autre pratique, peut-être moins stéréotypée mais tout aussi sclérosante : l’enseignant va chercher à multiplier les situations de découverte plus originales les unes que les autres et ceci soutenu par moulte objectifs pédagogiques ;
- enfin le dernier cas de figure, peut-être le plus alarmant, est celui où, à grands renforts de moyens financiers, l’enseignant délègue le travail au « spécialiste », intervenant théâtre.
 
 
Un minimum de moyens,
de grands bénéfices pour la classe et pour l’enfant
Certaines formes d’expression (écrites, orales, picturales,…) relayées par des supports techniques pointus (son, internet, vidéo,…) nécessitent bien souvent des savoir-faire longs et difficiles; à contrario, le théâtre, l’expression par le geste et la parole ont avant tout besoin d’une mise en situation de communication pour aboutir à une production valorisante.
Les puristes nous diront qu’il faut d’abord travailler la gestuelle, la diction,… or, notre souci éducatif n’est pas de transformer nos élèves en petits acteurs prodiges, mais bien de forger des caractères uniques, entiers, sachant vivre, coopérer et travailler dans un groupe. Le théâtre à l’école est avant tout un outil au service d’un développement social et relationnel de la personne.
 
Le rôle primordial du groupe-classe
Une telle ambition éducative et formatrice de la personne ne pourrait avoir lieu d’être sans compter sur le groupe classe. S’exprimer, oui, mais dans un milieu protégé où la communauté porte un regard positif et constructeur sur la représentation.
En fait, même si l’imitation ou la métamorphose sont le propre du théâtre, la confrontation au public est toujours confrontation au regard de l’autre. L’estime de soi est évidemment un des objectifs premiers du théâtre à l’école. Dans son rôle d’équilibration psychique de la personne, la confiance en soi et dans le groupe vont faciliter l’accès aux savoirs, à tous les savoirs. Le soin que l’éducateur a à apporter à la qualité de l’écoute dans le groupe, au respect de l’autre, au dialogue est d’autant plus important.
 
La compétence du maître ?
Rien ne sert d’être un spécialiste pour dire combien on a apprécié une gestuelle, une mimique, une présence, une parole. La confiance en soi naît du retour positif du groupe et la valorisation répétée incite l’enfant à améliorer sa technique.
Comment plus loin ?
- Donner du temps et un espace à l’expression théâtrale
- enrichir le milieu en introduisant du matériel (malle à costume, accessoires...) et en proposant de nouvelles techniques à explorer (mime, marionnettes...)
- découvrir des spectacles et se confronter aux différents modes d’expression théâtrale à travers l’espace et le temps (enrichissement culturel).
 
Le théâtre :
l’équilibration du groupe
Le groupe-classe, à l’exemple de tout groupe social, a besoin de temps de respiration : moment de désacralisation de (ou des) autorité(s), moment de rire… on préférera ce temps placé sous le signe de la re-construction symbolique plutôt qu’à celui du carnaval-défouloir ou encore de l’Halloween commercial. Lorsqu’on introduit un moment théâtre dans la classe, passé les premiers instants de l’incompréhension, les enfants ont vite fait de s’accaparer cet espace d’expression.
Dossier coordonné par Patrick Pierron
 
avec la participation de Martine Boncourt, Jean-Marie Boutinot, Marisa Celestino, François Le Menahèze, Catherine Ouvrard, Monique Ribis, Marie Van Der Linden.
 
 
Le théâtre est le propre de l’homme
A travers le temps et l’espace, les traces du simulacre dramatique sont présentes dans toutes les civilisations humaines. Du jeu symbolique, représentation ritualisée des relations humaines ou de l’expression du lien au sacré, l’homme, à travers l’élaboration d’un univers scénique, ne copie pas la réalité mais en donne un équivalent plus puissant, porteur de son expression et de ses représentation les plus intimes.
Le théâtre est l’affirmation de l’humanité, par opposition au rituel religieux ou magique.
Comment, l’éducateur peut-il prendre en compte cette dimension dans le cadre scolaire ?
Le théâtre, des formes multiples liées aux Cultures humaines :
Chanson de geste
Théâtre Nô
L’Epopée
Le spectacle Kathàkali
Théâtre de Java
Théâtre d’ombre
Le théâtre de marionnettes
Le clown
Le Kabuki
Le mime
La tragédie
La comédie
La satire
Le théâtre invisible
L’agit-prop
Le théâtre de rue
Commedia dell’arte
Les mystères
La farce
Les happenings
Les tropes
L’opéra
L’opérette
à explorer et à faire découvrir aux enfants...
 
 
Nos textes libres, nous les mettons en scène
Quel théâtre à l’école ? Pour Patrick Pierron*, il s’agit d’abord d’épurer l’expression d’un maximum de contraintes afin d’aller à l’essentiel : l’expression de soi, par le corps, la voix, le chant, confortée, valorisée par le regard d’un groupe-classe accueillant.
 
Patrick Pierron est membre de l’Icem 62, La pratique de classe présentée s’est déroulée dans une classe de Mat-Grand - CP - CE1 à l’école publique de Dohem (Pas-de-Calais). 
 
Sous dictée à l’adulte, puis seuls, les enfants de la classe ont pris l’habitude d’écrire des textes personnels. Ces écrits, illustrés et recopiés avec application dans le cahier de textes personnels, sont le plus souvent destinés aux correspondants, au journal de la classe ou à l’album de vie de la classe. Chaque semaine les enfants les présentent à la classe.
Je ne peux plus dire précisément comment cette nouvelle habitude s’est mise en place dans la classe : ai-je lancé l’idée ?... Un enfant a-t-il lu son texte avec une gestuelle particulière ? Toujours est-il que, dès le début d’année, les enfants se sont mis à rejouer, à « théâtraliser » leurs textes pendant la récréation. A la fin de la journée, durant le temps de présentation des travaux personnels, ils peuvent « représenter » leur texte à la classe.
 
Voici quelques exemples qui ont marqué la vie de la classe :
J’aime bien aller
avec maman
en voiture
chez pépé et même.
Hier, j’y suis allée.
Mélanie (5ans)
 
Le texte lu à haute voix par son auteur, c’est ensuite le moment de mise en scène : On se rejoue et on se réinvente l’histoire. Le jeu scénique nous révèle tout ce que le texte ne nous a pas confié...La ceinture à accrocher,... le bruit du moteur,... surveiller la route,... passer ses vitesses, le tressautement de la route, les virages trop serrés... se blottir dans les bras de mémé...
 
Dans ce moment de plaisir, Frédéric et Annabelle sont devenus nos spécialistes du rire. Christophe, notre doux rêveur, est toujours aussi silencieux face au groupe, mais quelle présence sur scène !
C’est notre « petit théâtre à nous », un théâtre sans représentation avec un grand « R ».
 
Puis le théâtre s’est plus institutionnalisé : avec mon aide, les enfants se sont organisés avec plus d’efficacité, en prévoyant leur matériel, etc. Le moment s’est ritualisé. C’est à cette époque qu’Arnaud s’est mis à explorer le mode d’écriture dialoguée : il est devenu notre scénariste de référence !
 
Je vends des jouets.
Mon père est marchand, je l’aide.
Je crie :
- Venez acheter mes jouets !
Venez acheter mes jouets !
Venez acheter mes jouets !
Les enfants disent :
- Papa ! je veux une voiture !
- Papa ! Tu peux m’acheter une poupée ?
Arnaud (7 ans)
 
 
 
 
Ce texte de Cindy a lancé la classe vers de nouvelles découvertes :
 
J’aimerais bien aller
 à la piscine.
J’aime bien l’eau
et aussi nager.
J’aime sauter et nager
avec des bouchons.
Cindy (6 ans
)
Pour cette occasion, c’est la classe entière qui s’est mise à mimer : la nage, le plongeon, le « sous l’eau », le corps qui flotte... La musique du « grand bleu » nous a bien aidés à mieux nous imprégner des sensations de légèreté, mieux ralentir et poser nos gestes.
Le texte libre peut être mis en scène, en chant, en musique. Dans cette démarche, c’est toute l’expression de l’enfant qui s’en trouve transcendée. L’écrit prend vie. Assurément, l’expression écrite s’enrichit de cette mise en mouvement.
Patrick Pierron
p.pierron[arobase]wanadoo.fr
 
Théâtre, gerbe de pratiques
 
Vous allez faire un arbre !
J'avais quatorze ans. Le professeur nous dit un jour :
« Vous allez faire un arbre. »
J'en avais très envie ; je me sentais toute petite, une petite graine, je me concentrais pour faire vraiment naître les branches, les yeux fermés... quand tout d'un coup cette bonne femme vient derrière moi, me touche brusquement et dit :
« Ce n'est pas comme ça un arbre ! Il faut que tu ouvres plus les doigts et que tu tournes ton corps vers la droite... »
Ah !... je ne voulais plus jamais entendre parler de théâtre ! Heureusement, j'ai eu par la suite un autre professeur qui me disait :
« C'est celui-là ton arbre, il n'est pareil à aucun autre, il est très joli parce que c'est le tien et chaque arbre est très joli parce qu'il est réellement l'arbre de quelqu'un, et c'est ça le théâtre. On va faire une forêt qui sera très jolie à voir parce que chacun de nous va montrer son propre arbre. »
Et je pense que c'est cela, le groupe et l'individu : chacun est, chacun a quelque chose à exprimer, chacun a sa place et tout ça dans un groupe va faire une image très belle. [...]
Marisa Celestino. Extrait de la revue « Création », Avril 1994.
 
Stop aux grandes messes théâtrales solennelles !
 
Lors de la kermesse d’école, Marcelle Fontaine et ses élèves de CM1* invitent les parents à découvrir la pièce de théâtre qu’ils ont inventée, dans la petite salle de classe aménagée pour l’occasion qui n’accueille pas plus de 25 spectateurs, et ceci à raison de 3 séances de 20 mn durant l’après-midi.
Cette technique a l’avantage de faire plus jouer ses élèves, mais aussi cela confère un caractère beaucoup plus intime à la communication. Autres avantages : moins de trac, pas de problème de voix, bref, des enfants plus disponibles et détendus dans leur représentation, et un public plus attentif !
P. P.
École P. Brossolette de Esquerdes (62)
 
 
Du texte au jeu.
Du jeu au texte
La guerre de cent ans sans Shakespeare.
Au cours d'un stage des instits tirèrent comme sujet de création une phrase extraite d’une BT: "En Auvergne, les paysans excédés tendent des embuscades aux Anglais." Il sembla d'abord impossible de tenir 10 minutes avec un sujet aussi mince. Puis sur décision syndicale sans doute, on représenta :
- des paysans et des paysannes ; ces dernières jouèrent le ras le bol de la soldatesque anglaise - et de leurs hommes s’entraînant à taper..., le carton. Passa le seigneur, beau parleur (on eut dit le conseiller général).
- des anglais ; dont la maigre troupe fut comiquement rossée avec prime de horions pour l'adjudant ; passèrent des images de rugby.
Dans l'enthousiasme deux paysans se prirent à parler patois (applaudissements).
Le re-travail permit de forcer les caractères (râleur, timorés,...) les aspects physiques, le bègue, la pin-up... de préciser le scénario et de resserrer les dialogues.
On convint que l'imagination historique se nourrit du vécu : modèles physiques et moraux, tours de langue.
Jean-Marie Boutinot
 
Des pistes... des idées en vrac...
- la malle à déguisement (habits et accessoires) ;
- un espace scénique délimité, éclairé (projo sur pied), décoré (grand fil tendu pour accrochage, papier blanc, gros pinceaux) ;
- rejouer un événement raconté à l’entretien ;
- rejouer une situation vécue (à l’école, à l’extérieur,...) ;
- mettre en scène des phrases poétiques ou un écrit marquant (événement historique ou d’actualité ;
- se mettre à la place de... (animal, objet,...)
- lire un poème, un texte, en se roulant par terre, par deux, en mimant une action ;
- un outil : de grands tissus... pour se rouler, l’envelopper, bouger dessous,...
- le défilé de mode : avec des tissus et en musique ;
- des masques... ça aide à mieux s’exprimer par le corps ;
- des marionnettes... à doigt ou géantes ;
 
Marcelle Fontaine
 
Improviser, cheminer vers une expression personnelle :
le rôle du groupe.
La plupart du temps, les premiers essais d’improvisation sont un peu décevants. On se trouve en présence de situations très stéréotypées. Les enfants reproduisent les scènes de la vie de tous les jours ou s’inspirent de ce qu’ils voient à la télévision. Ils livrent des sentiments assez superficiels. Ils doivent sentir qu’il est risqué de révéler leur monde intérieur. Le stéréotype les protège.
Toutefois, il s’agit d’un passage obligé qu’il serait dommage de court-circuiter.
Ce n’est que dans un milieu sécurisant, où l’on ne juge pas, où l’on ne critique que pour construire, que les enfants tentent de dire ce qu’ils ressentent profondément. Ensuite c’est au groupe à soutenir cette expression, à l’aider, à lui apporter les moyens d’être la plus fidèle possible, en posant des questions, en montrant des exemples, en échangent avec celui qui parle pour l’amener à expliciter ses dires.
A l’écrit, on appelle cela le maillage du texte que l’on tend à rendre, ensemble, dense, serré comme la texture d’un tissu. A l’oral le travail est semblable.
C’est à ces seules conditions que l’expression prend de la valeur, ne reste pas en surface, s’étoffe et, ce faisant, libère l’enfant.
Monique Ribis Extrait de la revue « Création », Avril 1994.
 
Légende photo : c’est au groupe à soutenir cette expression, à l’aider, en échangeant avec celui qui parle pour l’amener à expliciter ses dires. M.R.
 
 
 
Côté cour, côté jardin... Multiplier les entrées
Le théâtre comme outil de libération globale de l’expression, n’exclut pas la recherche de techniques théâtrales, la découverte de l’écriture théatrale. Sur cette question, l’école Ange Guépin de Nantes* a dépassé la contradiction entre liberté d’expression et volonté de proposer un spectacle de qualité.
 
L'École Ouverte Ange Guépin est une école primaire à 5 classes. L'école n'est pas soumise à la carte scolaire, elle est classée "école à favoriser" compte-tenu du nombre croissant d'enfants en difficulté qu'elle accueille. Depuis trois ans, le théâtre y a pris une place plus importante à la suite d'un stage école animé par le Centre de Ressources Ville avec la comédienne et auteur Catherine Zambon.
 
 Nous avons implicitement adopté deux démarches :
- les sketches, qui sont l'expression spontanée des enfants, parfois peu mis en scène et en mots et présentés à la classe une fois par semaine après un travail quasi quotidien en temps de projet individuel ou en temps de récréation.
Les sketches ne sont en général pas écrits, mais la plupart du temps, réinventés à chaque répétition et enrichis par l'improvisation. L'expression du corps a une très grande place : l'enfant utilise son corps comme un outil au même titre que le verbe, l'onomatopée ou le cri. On ne lui impose pas la prédominance du texte, le carcan des mots choisis, appris, qui paralysent le corps et bien souvent la voix. On voit ainsi des enfants s’étonner de ce qu'ils s'autorisent à utiliser d'eux-mêmes et on sait alors qu'ils ont ajouté une pierre à leur construction personnelle.
 
- les saynètes, les jeux théâtraux à partir de textes écrits par les enfants, ici, les textes oralisés sont retravaillés avec des adultes professionnels de théâtre ou les enseignants. Ils peuvent être écrits intégralement, par les enfants ou des auteurs, ou servir d'argument à un travail d'improvisation. Dans la logique de notre démarche, ce travail s'inscrit dans un second temps, après que enfants et adultes aient cassé les représentations qu'ils avaient du théâtre et se soient réappropriés ce mode d'expression par la création personnelle et la mise en scène de leur vécu. Alors seulement l'identité de chacun est suffisamment reconnue pour qu'il puisse composer avec elle un autre que lui-même. Autant dire que si cet objectif devient essentielle pour certains enfants au cours du travail, pour beaucoup d’autres il reste très lointain.
Les sketches peuvent être présentés au "Super c'est Samedi", moment de spectacle hebdomadaire qui réunit les 110 enfants de l'école, et à la fête de fin d’année.
Une estrade confère au théâtre son espace propre et institue sa place dans l’école.
Je suis persuadée que pour les enfants les plus en difficulté avec la parole, la relation au groupe, la coopération en général, l'expression théâtrale et la conscience de soi libératrice qu'elle procure, aboutissent à ce réinvestissement dans d'autres domaines de la vie de la classe, particulièrement le conseil, les moments de parole institués mais aussi l'EPS, les arts plastiques... La construction de la personnalité est un tout.
Catherine Ouvrard
catouvrard[arobase]calva.net
Ecole Ouverte A-Guépin de Nantes (44)
 
Note : un prochain article portera sur l’écriture théâtrale à l’école A. Guépin, un projet animé par la comédienne Catherine Zambon
 
 
Théâtre à l’école ? Parle-t-on tous de la même chose ?
Le théâtre libre apparaît parfois pauvre à certains observateurs, les thèmes abordés sont cycliques... et puis, tout à coup, une claque : un moment d’expression authentique, riche, admirable.
Nous, enseignants professionnels, n’avons pas l’habitude de ces évolutions en dents de scie, où l’on ne sait pas où on va.
La progression bien rythmée pour laquelle nous avons été « conditionnés » n’est plus là. D’où déroute... et bien souvent abandon.
Mais nous nous savons bien, quand nous avons été quelque peu « déconditionnés » et que nous sommes redevenus « sujets-enseignants » que cette expression est essentielle... et la communication qui s’ensuit ne l’est pas moins.
On peut se poser la question de la place de cette expression à l’école. Elle n’est pas courante en effet, elle dépend encore trop souvent de techniques de recherches de l’enseignant... plutôt qu’une véritable pratique coopérative dans laquelle chacun sera respecté dans son expression, chacun contribuera à la recherche collective du groupe, vers une amélioration de cette expression.
L’apport des comédiens à l’école n’a sa place que dans un cheminement déjà emprunté. Ils apporteront alors leur expérience, leurs outils et leurs pratiques au sein d’un processus de création déjà présent.
 
François Le Menahèze.
 lemena[arobase]wanadoo.fr
 École Ouverte A-Guépin de nantes (44)
 
Vers la représentation Théâtrale : conseils techniques
Jean-Marie Boutinot, fort de sa longue expérience dans le domaine de l’expression théâtrale avec les enfants et les adolescents, nous apporte quelques conseils techniques judicieux : ne pas se lâcher les mains avant d’avoir poser les pieds...
 
Jean-Marie Boutinot, membre du groupe Freinet 16,
 
La mise en route d'un projet de représentation théâtrale se heurte à des difficultés connues qu'il faut vaincre et des difficultés insoupçonnées qu'il faut mettre à jour sous peine de voir la représentation se diluer dans l'indifférence magnétoscopeuse des parents.
 
Chez les enfants c'est d'abord la faiblesse des moyens physiques : voix et toutes les difficultés à occuper l'espace. C'est aussi la force de certaine représentations mentales : l'absence de modèles théâtraux mais l’omniprésence de modèles cinématographiques. Les enfants vont vouloir reproduire sans humour le jeu d'acteurs à la mode. De Funès, les Deschiens, Jamel,...) ceci sans la conscience des moyens complexes utilisés pour obtenir un rire adulte.
Ils vont considérer la scène comme un espace fermé, la transmission de leur jeu n'étant pas leur responsabilité (cf, la télé). Habitués au plan américain, à mi-corps, ils vont faire une confiance excessive à des mimes réduits et ne mobiliseront pas TOUT leur corps (ou, sur des incitations maladroites, par des agitations brouillonnes). Le résultat : placé à 20-30 m le spectateur ne verra rien.
 
Enfin, ils demanderont un néo-réalisme qui trahit l'intention : un gamin coiffé d'un melon trop grand n'aura rien d'un inspecteur sévère, une collégienne dans son quotidien uniforme "grunge" n'attirera pas les regards sur son personnage inquiet.
Les adultes laissent souvent les enfants en proie à ces seuls modèles au nom de la liberté. Ils ont vraiment eu à choisir ?
"Ils" préparent un théâtre, me dit-on en désignant une bibliothèque d'où le son monte, monte... « Je les laisse libres...», comme si faire du théâtre engageait moins la personne que la dictée. Mais peut être que ces enfants étaient libres de ne point respecter les règles de l'orthographe ?
A l'inverse du "tout liberté" d'autres s'infligent un texte d'auteur dont les limites ne sont pas toujours perçues : qualité littéraire douteuse, inadaptation aux jeunes, nombre réduit de personnages sur le modèle la mari, la femme et l'âne. On le garde tel quel car "on ne touche pas à l'auteur"...
 
Le répertoire nouveau est arrivé
Inutile de chercher : il n'y pas de pièce pour 20,25 acteurs. Il faut donc créer son répertoire - Prendre un sujet porteur : nouvelle extrait de roman, page d'histoire, fable, conte, texte libre riche d'ouvertures, pièce de théâtre même et le mettre à la disposition des enfants, créer, improviser à partir de la structure forte du texte ; des personnages de rêve.
Mais la parole de l'enfant ? Elle va jaillir de la rencontre, plus forte, plus neuve, plus durable, mieux entendue.
 
Tous en scène
Les propositions pour un répertoire nouveau aident à envisager autrement la question de la distribution. Fil rouge (si on le croit nécessaire), tenu par un choeur et non par un conteur - qui boufferait à lui tout seul 10% du temps de représentation - , éclatement des rôles, partage des rôles importants, création de rôles nouveaux, création de métiers du théâtre.
Ressource que l'intellectualisme néglige... les talents des enfants : tour de magie, flip flap , musique, etc. Les bruiteurs, créateurs de l'espace sonore seront sur scène, l'éclairagiste et le passeur de diapos mis en lumière. Les machinistes dotés d'un costume et applaudis sur un gag. Les marionnettistes qui viendront jouer aussi DEVANT le castelet (Id les montreurs d'ombres)... Tous sur scène, tous sur le programme.
 
Attribution des rôles
Eclatement des rôles : Au lieu d'une seule femme, la belle Aude, imaginer des femmes de chevaliers, de paysans qui renforcent son dire ou la contredisent.
Création des rôles :
- donner la parole à ceux qui ne l'ont pas - ou rarement - : les femmes de sarrazins, les paysans ,..
- à partir de choses vues en cours de répète : Elsa suit "Dieu" pour enregistrer son impro. C'est trop! On en fait un personnage qui propose à Dieu de danser...
Dédoublement :
Charlemagne ostensiblement passe son rôle à un autre Charlemagne (qui en fait autant), ça évite les extinctions de voix et le vedettariat.
 
J-Marie Boutinot (16)
 
 
 
Faites-nous rire, M. Leuf !
Peut-on demander à des Educateurs de contribuer à dissiper le malentendu qui veut que l'on va au théâtre pour rire, en tout cas "pas pour se prendre la tête" ? Impossible d'ailleurs de ne pas se prendre la tête pour faire vraiment rire, du personnage et non des maladresses du gamin abandonné sur scène.
Se demander aussi : DE QUI rit-on ? Ces enfants avaient fait une très drôle imitation de "saoulot". Très drôle. Jusqu'à ce que Charline glisse : on dirait mon père... Depuis au dodo les saoulos et les clodos.
De même, pour les inconditionnels du théâtre de boulevard, se demander QUI dans leur classe sera bientôt, en vrai, la petite bonne niaise mais niaise...
Contradiction secondaire : on fait étudier Racine et Molière, mais on fait jouer "Lagrive et Petofesse en vadrouille", fou rire et tout public. Soyons cohérents !
J.-M. B.
 
 
 
 
La classe en Re-présentation : des garde-fous
« Voici 15 ans que nous sommes à l’école de l’Hautil, Jean-Luc et moi, et cet article pour le Nouvel Éducateur est l’occasion de faire un bilan de l’expérience que nous avons eue les enfants et nous, en théâtre, depuis tout ce temps ». Marie Van Der Linden*.
 
Marie Van Der Linden est membre du groupe Ecole moderne des Yvelines (GEMY). Depuis plus de 15 ans elle travaille à l’école Freinet de Triel sur Seine (78).
 
Premiers spectacles
Lorsque nous sommes arrivés, l’école fonctionnait déjà en pédagogie Freinet depuis une dizaine d’années avec Michel et Danièle Cadiou. La mise en place d’un spectacle n’a suscité aucune difficulté, les enfants étant habitués à s’organiser eux-mêmes. Le premier spectacle eut lieu à Noël, composé de saynètes et de chants, dans une des deux classes avec juste un drap tendu dans un coin pour servir de coulisses et les parents installés dans le restant de la classe. Il est clair que l’espace était nettement insuffisant et pour les acteurs (rices) et pour les parents.
 
Du théâtre dans deux classes
Les années suivantes, nous sommes passés à une dimension un peu plus intéressante : les deux classes n’étant séparées que par une cloison de bois, il a été décidé de demander à la mairie de monter une estrade dans une des deux classes et d’installer le public dans l’autre, le couloir devenant les coulisses où les enfants se bousculaient entre deux saynètes pour le changement de costumes et d’accessoires. C’était un peu plus confortable mais il faut bien dire que les coulisses, après le spectacle, ressemblaient à un champ de bataille et que parfois les enfants ne retrouvaient pas un accessoire, même en ayant pris soin auparavant de s’organiser. Et la salle où se trouvaient les parents devint vite trop petite et trop étouffante, les parents en sortaient ravis mais… en nage.
 
Travail, enthousiasme et stress...
Plusieurs années durant le spectacle avait lieu à Noël. Dès le retour des vacances de la Toussaint, on s’y mettait. Les enfants préparaient leurs saynètes chez eux, chez les nourrices (n’ayant pas de cantine, ils mangent chez des nourrices), à la récré ou pendant l’atelier théâtre du samedi matin, animé par moi-même au début puis par des parents. Les saynètes étaient présentées au groupe école un jour par semaine, commentées, critiquées par tous et toutes et les acteurs et actrices, forts des conseils des autres, n’avaient plus qu’à retravailler leur saynète pour la représenter à nouveau, améliorée, devant le groupe. Le contenu de ces saynètes était très varié, les enfants ne manquant pas de prendre souvent les adultes pour cibles avec un humour et une justesse d’observation particulièrement fins. Saynètes, danses, chants, venue du Père Noël se succédaient durant une bonne heure et demie au grand plaisir de tous, enfants et parents. L’envers du décor maintenant : pendant le mois de décembre, l’école ressemblait à une ruche, plus de place pour d’autres projets, les apprentissages scolaires considérablement ralentis, une tension qui montait et quelques séances où il faut l’avouer, Jean-Luc et moi, stressés et crevés, nous les incendions copieusement parce que ce spectacle était et est toujours, une vitrine et que nous étions jugés aussi sur la réussite ou non de cette représentation. Inutile de dire que décors, accessoires et costumes étaient réalisés à l’école, le déménagement et la réinstallation des deux classes en plus et nous en sortions, les enfants et nous, épuisés, avec heureusement les vacances pour nous en remettre. 
 
Dans un vrai théâtre !
La construction d’une mezzanine dans la classe des plus petits a tout remis en cause et nous avons alors pris la décision de présenter notre spectacle à la salle de théâtre municipal. Changement important, nous allions jouer dans une vraie salle de théâtre, les coulisses seraient de vraies coulisses, les parents seraient bien installés, la scène plus grande, il y aurait des éclairages et à l’époque, nous avions un père d’élèves travaillant dans la sonorisation qui amenait une sono. Un vrai travail de pros ! Nous y avons gagné en qualité et en confort mais le stress était toujours là, sans doute même plus du fait du lieu. Les anciens partis au collège ont participé au spectacle, ne manquant pas de critiquer vivement ce qu’ils y vivaient. Lors d’un échange correspondance avec Alain et Françoise Bar, deux collègues Freinet, nous avons pu constater que, chez eux, les parents montaient sur scène et, au Noël suivant, les parents fortement sollicités par leurs enfants, ont eux aussi monté des saynètes, très drôles, sur le petit déjeuner avant l’école, les leçons, la sortie de l’école mais aussi des contes,… Et elles (eh oui, rien que des mamans) y ont pris un grand plaisir et ont montré de réels talents d’actrices.
Mais même si ce spectacle était un vrai plaisir et une réussite, les enfants et nous, nous nous essoufflions un peu. Besoin de renouveau, lassitude, envie de chasser le stress …
 
Une collaboration extérieure
Un jour, je rencontrai au théâtre un des intervenants théâtre de la commune et nous sympathisâmes. Lors d’une semaine contre le racisme, nous avons vu un de ses spectacles et emballés, nous avons demandé à la mairie de pouvoir travailler avec lui. Accordé ! Nouveau virage.
Plus de spectacle à Noël mais un travail théâtral construit tout au long de l’année scolaire avec l’aide d’un professionnel et au mois de juin, la représentation. Hugues intervenait sur les deux classes dont bénévolement sur une, enthousiasmé par notre façon de fonctionner. Les spectacles ont acquis une qualité que nous n’aurions pu atteindre mais je pense néanmoins que certains parents, même satisfaits de cette nouvelle mouture, gardaient une nostalgie pour les saynètes d’antan. Nous avons pu multiplier les modes d’expression, nous avons créé des marionnettes, des masques, le tout tranquillement sur une année scolaire sans stress et au bout du compte des spectacles de qualité. Un spectacle a notamment recueilli un franc succès : le rinquinquin, théâtre à la Deschiens qui nous a tous fait pleurer de rire !
 
Quand l’expression est libre... un peu trop libre
Jusqu’à il y a 2 ans où ce fut le clash. Les enfants de cycle 3 avaient préparé un spectacle basé sur l’histoire d’une ville où les rapports enfants/parents étaient inversés. Sujet sensible, faut bien le dire. Ils avaient eux-mêmes inventé l’histoire, travaillé en improvisation, en plusieurs tableaux, en expression libre. Un peu trop libre sans doute, vu ce groupe difficile. Nous avions bien vu que le résultat final ne serait pas aussi bon que les années précédentes mais nous ne nous attendions pas à ce qui se produisit : un spectacle pas terrible, ils en faisaient trois tonnes, quelques loulous se sont lâchés et des « gros mots » ont heurté les oreilles des adultes. Un père d’élève est parti en cours de représentation en agressant verbalement Hugues. Un bide, un flop, un spectacle raté. Rien de dramatique ? Oh que si ! Quand je parlais de vitrine de l’école, en début de cet article, je mesurais bien mes mots. Le spectacle était raté (enfin celui des cycles 3), les parents déçus, ne parlons pas des grands-parents, amis, voisins ne nous connaissant pas et pensant « Ah, c’est ça la pédagogie Freinet, eh bien je suis content de ne pas y avoir mis mes enfants ! ». Certains parents n’ont pas pris de recul, ne sont pas venus en discuter avec nous. Ils se sont réunis entre eux, l’affaire a gonflé et à la rentrée, nous avions trois familles de moins et des attaques virulentes contre Hugues et Jean-Luc.
 
Une confiance retrouvée
 Heureusement, la majorité des parents a accepté ce ratage, depuis le temps que nous revendiquons pour leurs enfants le droit à l’erreur ! Ils ont su relativiser et se rappeler les excellents spectacles précédents. Ils nous ont réitéré leur confiance.
Hugues a continué à travailler avec nous. Ce fut un vrai bonheur tout au long de l’année. Nous avons travaillé sur les insectes, en biologie, en arts plastiques. Nous avons chanté et dansé les punaises des bois, le gros bourdon, le bombyle,... créé des saynètes mettant en scène les revendications des doryphores qui en ont ras le bol des insecticides. Nous savons tout sur les petites bêtes. Les enfants et moi-même, nous nous sommes littéralement éclatés. Le spectacle était très réussi.   Les parents nous ont félicités. Le succès de ce spectacle était très important, suite à l’échec du précédent. On se doutait qu’on nous attendait au tournant.
 
L’apprentissage par l’expérience
Nous en avons longuement discuté avec les enfants en réunion de coop et il est clairement apparu que l’espace de liberté, d’expression libre qu’ils trouvent à l’école est limité à ce lieu, qu’il leur faudra être vigilants lors des spectacles à venir, qu’ils ne pourront pas se lâcher (notamment au niveau des « gros mots » qui ne sont d’ailleurs pas si gros que ça !) et que tout n’est pas montrable.
Fort heureusement, l’enthousiasme est toujours là. A aucun moment il n’a été question d’arrêter les spectacles. Mais quand l’expression libre est vraiment libre, des dérapages sont possibles.
Cette année, les cycles 3 travaillent sur un spectacle basé sur l’animation de poupées (en bois, en tissu, en boîtes de conserve….). Le plaisir qu’ils y prennent, la conduite coopérative de ce projet tout au long de l’année sont pour nous plus importants que le final. Mais l’apothéose, ce sera bien quand les trois coups symboliques retentiront. Défiant le trac, nos jeunes acteurs et actrices donneront le meilleur d’eux-mêmes, forts des expériences passées. Que le spectacle continue ! 
Marie Van Der Linden
Jean.Luc.Vanderlinden[arobase]ac-versailles.fr
 
 
 



 



Histoire d’une histoire...

... qui se passe en l'an mille, racontée, écrite, mise en scène, jouée par les enfants de la classe de C.M.I /C.M.2 de l’école de Lutzelhouse, Bas-Rhin, entre mars et juin de l'an 2000.

 

 

Martine Boncourt, militante de l’ICEM 67 travaille à l’école de Lutzelhouse, Bas-Rhin, dans une classe de C.M.I /C.M.2. de 26 élèves.

Un travail en équipe.

Dans un premier temps, consigne est donnée de tracer l'intrigue dans ses grandes lignes. Choix de « texte » suivi d'une mise au point collective. Voici l'histoire retenue :

« Deux pèlerins arrivent dans un château en bois aux alentours de l'an 1000. Ils sont invités par Bertrand, le seigneur, à participer à la soirée, où l'on danse et où s'exécutent jongleurs, conteur, poète, et acrobates. Par ailleurs, le moine Jean-Baptiste, seul lettré de l'assemblée, est convié à lire les plans du futur château en pierre que Bertrand est en train de se faire construire. Pendant la fête, on apprend que le cuisinier a disparu, de même, au petit matin, Dame Guenièvre, la châtelaine. Les pèlerins mènent l'enquête et découvrent un passage secret qui conduit au château voisin, celui de Philippe, le frère du seigneur. Il finit par avouer que ce château en pierre a suscité en lui des "sentiments peu vertueux", de la convoitise, de la jalousie, mais que pour se repentir, il envisage de se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle pour faire pénitence. Le fauconnier arrive avec les villageois pour se réjouir, en dansant, de cet heureux dénouement».

 

Ecriture, chorégraphie et recherche historique

Dans un second temps, et toujours en équipes, mais tournantes cette fois-ci, les enfants auront à écrire les dialogues de la pièce découpée en séquences, à trouver une chorégraphie sur les deux danses, celle des nobles (musique de Josquin des Prés, on n'est plus tout à fait au onzième siècle, mais qui saurait chicaner à trois cents ans près ?), celle des paysans (chanson "Tous les oiseaux du genre humain" qu'on situe au 19ème siècle mais qui s'origine sans doute dans la nuit des temps ; ils auront, en outre, à réduire la farce "Renart et les anguilles" en ne gardant que l'essentiel à la compréhension de l'histoire, ceci pour faciliter le travail de mémorisation du conteur (le texte final aura quand même deux pages) ; il leur faudra choisir, dans un corpus composé d'une vingtaine de poèmes de l'époque (ou à peu près) un texte qu'il s'agira de déchiffrer, puis d'apprendre par cœur. Enfin, on nommera acrobates ceux qui sauront le mieux exécuter la roulade et le poirier, et jongleur, celui qui parviendra à lancer et à rattraper ! - trois balles.

 

Au delà des champs disciplinaires

Voilà de quoi remplir deux semaines, à peu près dans toutes les matières, y compris en mathématique, puisque le plan du château, reproduit à l'échelle, a nécessité la maîtrise de la notion. J'ajoute que les enfants ont pris énormément de plaisir à fouiller dans divers documents pour trouver des mots et des expressions de l'époque : « Que me baillez-vous là, gente dame ». L'apprentissage par cœur a posé moins de problèmes que je ne le redoutais, sans doute étaient-ils plus motivés que pour les tables de multiplication ! De la même manière, tous les enfants ont accepté de bonne grâce un travail long et fastidieux sur la diction, que même Grégoire, enfant quasi bègue mais nonobstant premier rôle, a fini par améliorer de façon si sensible que personne, parmi les spectateurs, n'aurait pu deviner que...

Autre source d'étonnement (et de plaisir), Julia, une petite si timide que je ne reconnaissais pas le son de sa voix, se révéla dans un jeu étonnant de meneuse... d'enquête.

Pour les costumes, nous avons fait appel aux parents qui ont dévalisé leurs greniers et fait des recherches sur les vêtements de l'époque, ceux des nobles, ceux des paysans, ce qui a débouché sur la confection d'accessoires comme chapeau, ceinture...

 

La pièce sera jouée trois fois, une première au cours d'une matinée réunissant des "élèves-acteurs" de plusieurs écoles de la circonscription, une autre en classe transplantée devant les correspondants, une troisième (c'est la loi du genre, mais je ne trouve pas que ce soit un "mauvais genre") en fête de fin d'année devant les parents. A chaque fois, ils se sont surpassés.

 

L'an prochain, j'aimerais "investir" la Renaissance.

Martine Boncourt

 

Au départ, un échec. Dans le cadre d'une étude portant sur le Moyen-Âge et pour laquelle les enfants choisissaient d'exposer un des différents faits marquants de l'époque (Féodalité, Charlemagne, croisades... ), Grégoire et Caroline avaient pour objectif de faire une mini-conférence sur les châteaux forts. Mais ils se sont vus renvoyés à leur place par Arnaud, alors président de séance, parce qu'incapables d'exposer quoi que ce soit de cohérent sur le thème. (Précisons que la technique de l'exposé est travaillée depuis le début de l'année, qu'ils ne sont pas bombadés sur la scène sans préparation, mais qu'en dernière instance, ce qui est déterminant et va servir de test d'évaluation, c'est l'intérêt de l'auditoire, mesurable à son niveau sonore, bâillements ou bavardages.)

La semaine suivante, Grégoire et Caroline ont retenu la leçon et abordé la chose... déguisés en pèlerins arrivant devant un château imaginaire mais dont on pourra cependant visualiser le schéma commenté de la façon vivante : "Oh ! Regarde tous ces gueux assis dans la basse-cour, allons nous joindre à eux". Franc succès. L'assemblée applaudit. Au conseil, Grégoire et Caroline seront félicités et il sera proposé et décidé de continuer ensemble cette ébauche d’histoire.

 

 

Extrait de l'exposé de Grégoire et de Caroline

(il sera ensuite légèrement modifié pour servir de première scène à la pièce. )

Grégoire : Nous sommes des voyageurs du Moyen-Age appelés pèlerins, et nous allons vous parler des châteaux forts.

Hum... ! Je suis fatigué, nous avons trop marché aujourd'hui.

Caroline : Oh ! Regarde, un Château fort ! Allons-y !

Grégoire : Tu sais les châteaux servent à protéger le seigneur et les villageois, mais aussi à accueillir les voyageurs.

Caroline : Oh ! Regarde, le pont-levis est baissé.

Grégoire : Levez la herse ! Nous voici dans la basse-cour, allons nous désaltérer au puits que voilà.

Caroline : Comme les douves de ce château sont profondes ! Et le donjon ! D'ici on peut voir la salle de réception. Le seigneur est en train de festoyer avec ses gens.

Grégoire : Oh ! Un serviteur passe avec un cochon rôti, et en voici un autre avec un faisan... Et vois tous ces jongleurs qui sont venus distraire le seigneur ! c'est ça la vie de château ! (... )

 

Extraits des dialogues écrits par les enfants : la construction du nouveau château

Moine Jean-Baptiste : Voilà donc les plans de votre futur château, monseigneur, tels que l'architecte vient de me les apporter... Un château tout en pierre ! Au rez-de-chaussée, la salle des gardes, les cuisines et les écuries, au premier, la grande salle de réception, avec deux cheminées. Dans chacune des chambres il y aura aussi une cheminée.

Dame Genièvre : Epoustouflant. Peut-être y aurons-nous un peu plus chaud !

Le moine : Mais avant d'entrer, voyez-là, dans ce magnifique jardin sera construite une petite chapelle. A l'avant du château, bien sûr, la barbacane pour assurer une première protection contre l'ennemi, avant de franchir le pont-levis. Comme vous le voyez, les douves sont inchangées, mais le donjon sera plus spacieux, pour accueillir votre logis, seigneur. Les murailles seront bien plus solides, avec des meurtrières moins larges qui ne laisseront plus passer les flèches de nos adversaires. Ici, nous avons gardé le chemin de ronde et les différentes tours de guet garnies de créneaux et de mâchicoulis...

Bertrand : Fort bien, frère moine. Je vous remercie de votre précieuse contribution. Vous seul sachant lire, pouviez nous aider à comprendre ces plans. Mais passons maintenant aux réjouissances. A vous troubadours ! Commençons par le conteur.

 

Extrait du dialogue : la disparition du forgeron

Guillaume, un serviteur : Ah ! J'ai bien dormi. Mais j'ai un peu mal au dos, ma paillasse n'est pas très confortable. .Je vais préparer de quoi se sustenter... Bonjour seigneur Bertrand.

Bertrand : Guillaume, as-tu vu dame Guenièvre? Je la cherche partout, en vain. Elle n'est ni dans le donjon ni dans la basse-cour ni dans la chapelle ni sur le chemin de ronde.

Guillaume : Peut-être est-elle dans la cuisine pour donner ses ordres. J'y vais de ce pas.

Catherine : Bonjour messire.

Bertrand : Bonjour darne Catherine.Vous avez bien l'air agitée ce matin.

Catherine : J'apprends que le forgeron Léonard a disparu lui aussi.

Bertrand : Que me baillez-vous là, gente dame ?

Catherine : C'est une poulaine à tresse d'or que je viens de trouver par terre. Appartient-elle à Dame Guenièvre ?

Guillaume : Messire, votre dame n'est pas dans la cuisine ! Nul ne sait où elle se trouve.

Grégoire : Que de mystère ! J'ai tout entendu. Laissez-nous enquêter, Messire, nous