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Une classe de 2nde T organise son travail en chimie

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Octobre 1978

 


UNE CLASSE DE SECONDE T ORGANISE SON TRAVAIL EN CHIMIE

 

 
 

Les élèves sont souvent indifférents, passifs, dépendants : une attitude non directive a été adoptée pour susciter de leur part un maximum d'initiatives. Après trois semailles d'indécision, ils se sont organisés pour "faire" leur programme de chimie.
 

 

 
FAUT UN DÉBUT À TOUT
Mardi 20 septembre 1977
Des élèves - pas tous - s'installent autour des tables disposées en cercle ; machinalement, demi-feuilles de papier, noms et prénoms en haut et à gauche ...
Le professeur : "mais qu'est-ce que vous faites-là ? ,
- Ben, on remplit les fiches
- Pour quoi faire ?
- Ben, d'habitude, le prof y nous dit de remplir une fiche !
- E t si chacun se présentait à tous ?
Un silence, puis chacun se présente - y compris le professeur :
- "Je m'appelle Monique R., je viens du CES Basly à Loos-en-Goelle ; je m'intéresse à tout et voudrais être laborantine.
- Moi, c'est Marc S. J'étais déjà au lycée l'an passé ... "
Après ce tour de table, rappel de l'horaire, règles de sécurité élémentaires, distribution du programme de chimie. Puis le professeur se tait. Long silence.
Sourires. Le professeur : "Vous faites plaisir à voir ! "
- C'est parce que personne ne parle !
- Mais qui vous empêche de parler ?
Peu après, Nicole demande :"La chimie, qu'est-ce que c'est ? " Plusieurs élèves énumèrent des applications de la chimie. Le professeur écrit leurs réponses au tableau ; puis c'est sa propre réponse à la question de Nicole - il enflamme un morceau de soufre, fait observer les transformations produites, l'apparition d'un corps nouveau. Débat ensuite à propos des différents aspects du soufre. Nouveau silence. Une" ancienne" propose de visiter les laboratoires; tout le monde est d'accord : on visite donc les labos.
Ensuite, questionnaire d'opinion sur la chimie et l'enseignement de la chimie. Dépouillement collectif ; résumé au tableau. On est plutôt contrela pollution et pour l'ouverture de la classe à la vie et à l'expérimentation. Fin de la séance
(4 heures consécutives en salle 307 : les élèves se familiarisent avec divers documents de travail : fichiers de recherche, livres, revues, cours programmés.... )
 
ORGANISER SON TRAVAIL
 
Voir le programme - et dans l'ordre des notions qui y sont inscrites - telle a été, après maint débat, la première décision prise par la classe.
Nous avons, dans la foulée, rédiun premier plan de travail à partir des notions extraites du programme, y ajoutant les exemples destinés à concrétiser ces notions.
Nous étions fréquemment en assemblées générales - 35 personnes - et cela n'allait pas sans poser quelques petits problèmes de prise de parole !
Mais Catherine se souvient que des conseils dlèves se tenaient régulièrement l'an passé dans chaque groupe de T.P. Elle explique a lors aux autres comment ce conseil était anipar un président élu qui lit l'ordre du jour et donne la parole à chacun à tour de rôle et quelles étaient ses prérogatives : organisation du travail, des voyages, règlement des conflits à l'intérieur du groupe, etc.
Le conseil fonctionnera dès le lendemain sur un ordre du jour improvi(ensuite, dans les semaines précédant chaque conseil, chacun inscrira sur une feuille la ou les questions qu'il veut soumettre au groupe).
Le premier groupe de T.P a choisi de tenir un conseil le premier mardi de chaque mois ; l'autre groupe a décidé qu'un conseil aurait lieu tous les quinze jours. Un secrétaire, à tour de rôle,note dans un cahier les décisions prises.
Avant les vacances de la Toussaint, la classe aura pris, dans le cadre des conseils le plus souvent, des décisions importantes, se sera donné les structures lui permettant de fonctionner ; statuts du conseil, règlement ·pour l'utilisation de la salle de chimie, rédaction d'une fiche de recherche à chaque séance (groupes de quatre élèves tirés au sort), évaluation des connaissances et savoir-faire tous les quinze jours, rédaction de résumés (tantôt polycopié par les élèves, tantôt dicté par le professeur), organisation d'un voyage chaque trimestre, etc ...
Ces décisions ne peuvent être modifiées que par un nouveau conseil ; ainsi, récemment, la classe a décidé que les évaluations auraient lieu en groupes de quatre, chaque élève rédigeant son propre travail ("alors, on peut copier sur son voisin ? – On peut aussi comprendre ce qu'on écrit, ce qui n'est pas plus mal ! ).
D'ailleurs, au début, les résultats ont été moins bons qu'ils ne l'étaient pour l'évaluation individuelle ; il a bien fallu alors que chacun apprenne à se servir de l'outil et apporte sa contributioncessaire au travail commun : ce travail est bien entendu trop long pour être réali par un seul élève.
Parmi les tâches qui me reviennent, rappeler chaque fois qu'il est nécessaire, les décisions votées et adoptées par le groupe ; ces décisions sont souveraines - même si elles me déplaisent : j'ai, par exemple, éplutôt déçu quand on m'a demandé de dicter un résumé - court il est vrai ; c'était pourtant le désir de toute la classe.
L'abandon du cours magistral a, entre autres conséquences, entraîné la prise de conscience active de questions dé passant le cadre de la classe ;ainsi le trop petit nombre de places offertes en 1° F7 à Liévin a suscité plusieurs initiatives de la part des élèves : rédaction d'une pétition signée ensuite par les parents des deux classes de II T3,délégation chez le proviseur pour obtenir le dédoublement de la première F7, lettre aux anciens élèves de T F5 pour connaître leur situation du point de vue de l'emploi, interventions aux conseils de classe, élaboration en commun de critères de niveau en chimie etc ...
 
 

LES ÉLÈVES ET L'AUTONOMIE

Quarante élèves de me T3 ont répondu, l'an passé, à la question : "Quelle autonomie pensez-vous que le professeur puisse accorder à un élève de seconde ? "
 Les 2/3 des élèves ont affirmé être assez favorables ou très favorables â l'autonomie.
 Pour plusieurs d'entre eux, l'autonomie, c'est la liberté de faire ce qu'on veut :
 "Que le prof nous laisse pleine liberté d'agir; on fait bien ce que l'on aime faire".
 Certains élèves parlent de leur responsabilité personnelle dans la réussite ou l'échec de leurs études : "Celui qui n'apprend pas, c'est parce qu'il le veut bien, et qu'il se fiche carrément de son avenir".
 Mais la question n'est pas aussi simple et, sans doute, l'autonomie n'est-elle pas également profitable à tous. "On peut lui laisser l'entière liberté seulement s'il

(l'élève) est conscient de ce qu'il fait".

 Un certain nombre dlèves sont partisans d'une relative autonomie :
 "Il faut nous laisser une certaine liberté sans que nous en abusions; une trop grande liberté ne nous serait pas profitable".
 Quelques uns sont contre l'autonomie parce que : "La plupart des élèves ne travaillent pas lorsqu 'ils n 'y sont pas obligés".
 Une solution conciliante enfin :
 "Le prof doit tout de même s'occuper de l'élève, uniquement quand celui-ci ne porte pas l'intérêt suffisant "(mais qu'est-ce ce que l'intérêt suffisant ?).
 
PRATIQUEMENT COMMENT ÇA SE PASSE TOUT AU LONG DE LA SEMAINE ?
 
Voici en détails, une semaine parmi d'autres.
Le mardi matin ou (le vendredi matin) : 4 h avec l/2 classe. A 8 h quand j'arrive les élèves sont en train de corriger une série d'exercices(le corridétaillé est "punaisé" sur deux tables latérales ; une correction collective est prévue pour certaines questions difficiles).
J'inscris au tableau vert : "LES MÉLANGES (deuxième partie : LES EAUX NATURELLES)"
C'est le thème du travail de la semaine; il est extrait du plan de travail élaboré chaque trimestre par six élèves élus (le bureau), quelques redoublants et le professeur.
La plupart des élèves consultent les documents disponibles concernant les eaux naturelles; ces documents ont éétalés au fond de la salle par un élève charde les ranger et de les distribuer : il y a là, en plusieurs exemplaires une fiche de recherche sur l'eau de mer, une autre sur la distillation de l'eau de Vichy, une troisième proposant de comparer quant à leur pureté, différentes eaux naturelles, des travaux d'élèves sur la pollution, des articles de revues etc. J'ai quant à moi, apporté un bidon d'eau de mer et plusieurs bouteilles d'eau minérale.
A 8 h 15, les travaux collectifs sont planifiés pour la séance (le plan est inscrit au tableau).
 
De 8 h 15 à 1 0 h 15 : recherche sur fiche (analyse de l'eau de mer).
De 10h15 à 11 h 15 : rédaction du T.P. collectif pour quatre élèves (les groupes sont formés par tirage au sort) : travaux personnels pour les autres (distillation de l'eau de Vichy, libre recherche, exercices, lecture, etc ... )
De 11 h 15 à 11 h 40, un film : les eaux souterraines.
De 11 h 40 à 11 h 45 : plan de la séance suivante (celle du jeudi pour le groupe 1, celle du samedi pour l'autre groupe).
De 11 h 45 à 11 h 55 ; rangement des paillasses individuelles et de la salle de chimie (chaque groupe a choisi une che précise : bibliothèque, réserve de matériel , affichage, etc .. )
Le jeudi (ou le samedi) : 1 h toute la classe.
Le plan de la séance a été préparé par le groupe du mardi.
De 16 h 10 à 16 h 25 : lecture, assortie d'exemples, des objectifs comportementaux pour la prochaine évaluation (exemple: RECONNAÎTRE dans une liste de dix mélanges, les mélanges hétérogènes ; DÉCANTER 100 cm3 d'eau de mer).
De 16 h 25 à 16 h 40 : mise au point collective du dernier T.P. Chacun peut répondre aux questions posées par tel ou tel élève.
De 16 h 40 à 16 h 50 résumé dicté (les mélanges).
De 16 h 50 à 16 h 55 deux élèves viennent faire le point à propos du prochain voyage à Arques (il manque trois autorisations, lecture de la lettre envoyée au Syndicat d'initiatives d'Aire sur la Lys pour l'envoi de prospectus).
Il y a encore les deux heures hebdomadaires de travail du verre : on y fabrique la plupart des objets courants nécessaires à la réalisation des expériences de chimie.
 
PREMIER BILAN
 
Pour ceux qui pensent, avec NEILL (ou avec FREINET), que "ce n'est pas l'éducateur qui éduque mais le milieu", n'est-il pas naturel de s'attacher à favoriser ce milieu (à prendre dans les deux sens du terme) plutôt qu'à agir de manière autoritaire sur les élèves ? On proposera alors des médiations (c'est-dire des outils de travail : fiches de recherche,listes d'objectifs précis, tests de connaissances et aussi de savoir faire : - pas systématiquement nos ! - et des institutions : le conseil, l'évaluation, des produres de vote, etc ...) plutôt qu'on ne donnera des ordres.
Et l'on ne sera pas étonné d'obtenir des résultats au moins aussi bons (1) dans le domaine des connaissances, pour ne parler que du domaine qu'on sait plus ou moins bien évaluer actuellement.
Pourtant la position n'est pas toujours confortable lorsqu'on ne centre plus la relation "éducative" sur ses problèmes (la conformité à ce qui se fait) et ses désirs de prof (moi, à leur place, je fais comme ça, alors tout le monde doit faire comme ça !) mais sur ceux des élèves, sur ceux du groupe.
Enfin, on reste agréablement surpris du rieux de ces adolescents, de leur capacité à trouver des solutions viables, parfois originales, et dans lesquelles ils s'impliquent fortement parce qu'elles deviennent alors leur affaire, leur norme à eux (les conseils, le T.P. collectif, les voyages etc ..). Et il est rassurant de constater que toutes les décisions que j'ai voulu plus ou moins imposer (on ne perd pas ses anciennes habitudes du jour au lendemain !), et don tla nécessité n'a pas été ressentie par le groupe(dans le cadre il fonctionne actuellement)sont rapidement tombées en désuétude (le plan de travail individuel par exemple).
Est-ce significatif ? La majorité des élèves ne souhaite pas revenir aux leçons de chimie traditionnelles, et ce malgré la part d'insécurité liée à l'initiative personnelle.
Ne pas éluder, avant de conclure, quelques questions délicates. Les résultats (mais de quels résultats s'agit-il ?) ne sont-ils pas minimes compte tenu de lnergie dépensée (les premières années du moins, et ce, malgré le travail d'équipe - avec Robert DECAT – pour la mise au point de documents de travail ?)
Faut-il enseigner plutôt des connaissances ou plutôt des méthodes de travail ? Est-il réaliste de dérouter les élèves dans une seule discipline et pour une seule année ? Et clans une classe dédoublée quatre heures d'affilée en plus ? (facile non ?).
Bernard DENIS
 
(1) La comparaison des résultats au test de fin d'année pour les années 76 et 77 (pas de révisions préalables) montre que si les moyennes sont à peu près identiques les écarts par rapport à la moyenne sont plus faibles en 77 (pas de queue de classe ; et les connaissances sont mieux appliquées). Cette année les élèves ont choisi de fractionner ce test en trois épreuves (après révisions) réparties tout au long du troisième trimestre, épreuves incluant aussi les savoir-faire.
 
 

LES FICHES DE RECHERCHE

 

Les fiches de recherche, élaborées petit à petit par les professeurs, permettent aux élèves d'édifier leur propre cours ;chaque fiche comporte :

 - un certain nombre de questions ;
 - la description plus ou moins détaillée de manipulations à réaliser (dans le cas présent : décantation. filtration. Distillation de l'eau de mer) ;
 Chaque groupe peul disposer de plusieurs manuels scolaires, de documents divers et de tout le matériel dont il a besoin (deux responsables sont en outre chargés de réunir les listes de matériel non prévu, destiné aux libres recherches; ces listes sont ensuite remises aux préparateurs).
 Le professeur est à l'entière disposition des élèves, mais il n'intervient qu'à leur demande ; parfois il est complètement débordé, assailli de questions ; les préparateurs viennent volontiers conseiller les élèves sur tel ou tel aspect technique d'un montage, et leur aide est fort appréciée ; mais la plupart apprennent à se servir des documents et à échanger entre eux des informations, des explications (cette communication horizontale, souvent plus efficace que l'explication magistrale, est souvent bloquée par notre propre discours).
 Contre-publicité gratuite : Avec ses 6 g/l de sels minéraux, cette eau  'est pas potable au sens de la réglementation française.
 De temps en temps, j'inscris sur un tableau latéral des compléments que chacun pourra exploiter à son gré: ou bien je prépare une expérience ; des élèves viennent voir, terminent eux-mêmes le montage, en dessinent le schéma au tableau ; l'explication que j'ai pu donner à ceux-là circulera ensuite dans le groupe.