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Grands pédagoques : Adolphe Ferrière

Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d'éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d'éducation), vol. XXIII, n° 1-2, mars-juin 1993, p. 379-406. Il n'engage bien sûr que son auteur.

ADOLPHE FERRIERE
(1879-1960)
Daniel Hameline

Parmi les personnalités qui jouirent entre les deux guerres d'un incontestable rayonnement international, Adolphe Ferrière est sans doute l'une de celles qui a eu le plus à souffrir des "injures du temps". L'oubli dans lequel est tombée son œuvre n'est d'ailleurs pas la pire de ces "injures". Lorsque, au hasard d'une citation ou d'une allusion, le nom de Ferrière est évoqué, on s'aperçoit souvent que ce qui demeure aujourd'hui dans les esprits, de cette "figure", ce sont des traits qui la font ressembler à un portrait-charge.

La première image qui demeure de Ferrière est, à première vue, positive et sympathique : on vante en Ferrière le propagandiste infatigable d'une idée généreuse de l'enfance active. Mais le compliment, sous certaines plumes, a parfois quelque chose d'offensant : c'est le brave militant idéaliste que l'on salue, l'apôtre zélé, plus apte à l'envolée lyrique qu'à la pensée rigoureuse.

La seconde image est plus manifestement négative. Et elle persiste. Ferrière serait, sous les dehors du modernisme, l'exemple même du psychopédagogue "spiritualiste", donc réactionnaire et borné. On sait combien fut vif, dans les années soixante, le réquisitoire, prononcé principalement par des sociologues ou des pédagogues d'inspiration marxiste, à l'égard de la psychologie ou de la psychopédagogie de l'École active. On y dénonçait le camouflage pseudo-scientifique de l'idéologie petite-bourgeoise, élitiste et individualiste. Ferrière est une des cibles préférées de cette critique (cf. par ex. Charlot, 1976 ; Vial, 1992).

Cette double image de l'"apôtre" et du "réactionnaire" ne rend pas justice à ce que fut la vérité de l'œuvre de Ferrière, et moins encore à ce que fut la vérité de l'homme. Or à le fréquenter par la lecture de son Petit Journal (43 volumes, 1918-1960), et par un retour sur son entreprise et sur ses œuvres, on apprend à voir en lui un personnage qui nous parle encore aujourd'hui fortement, par ses contradictions mêmes.

Ferrière apparaît ainsi comme un homme à la fois fragile et sûr de soi, vaniteux à faire sourire et généreux jusqu'à susciter l'admiration. Il se dit lui-même "introverti par nécessité" parce que muré dès l'âge de 20 ans dans une surdité totale, alors qu'"extraverti par tempérament", il se sent une légitime vocation d'homme public. Sincèrement désireux de se consacrer en priorité à la pratique éducative, il doit renoncer à cette "vocation" à cause de son infirmité et, contre son gré, se faire "pédagogue". Homme de conviction désintéressé, le souci du gagne-pain le condamne aux fonctions de plumitif mercenaire de l'Éducation nouvelle. Certes, il épouse bien des préjugés de son milieu social, mais, en même temps, ses écrits politiques révèlent en lui un observateur sagace et objectif de l'entre-deux-guerres. Ce "libéral" élitiste et défenseur des hiérarchies sociales publie une profession de foi "socialiste" en 1919 ; il est partisan du "plan" et plaide pour un redressement économique dirigé par l'État mais qui ne sacrifie pas le pouvoir d'achat des masses. Ce polémiste excessif est un homme du juste milieu, plaidant la réconciliation "de la science et du bon sens". Ce pathétique est un humoriste. Ferrière, à bien y regarder, est véritablement un "inclassable". Et c'est ce qui le rend attachant, bien au-delà de la figure convenue.

Les entreprises d'Adolphe Ferrière

Dans Mon grand journal1, à la date du 23 janvier 1944, Ferrière découpe sa vie intellectuelle en cinq décennies dominées chacune par une discipline différente : "De 1900 à 1910, j'ai vécu dans la métaphysique. De 1910 à 1920, j'ai vécu dans la psychologie. De 1920 à 1930, la pédagogie a tenu le haut du pavé. De 1930 à 1940, la sociologie. Et me voici, depuis 1940, jusqu'au cou, jusqu'à l'âme, jusqu'à l'esprit, plongé dans la philosophie." Il n'y a pas lieu d'insister sur le caractère évidemment arbitraire d'un pareil découpage décennal. La comparaison entre cette reconstitution et la chronologie établie par Gerber (1989) permet cependant de tirer un enseignement immédiat.

Cet enseignement modifie l'idée que l'on se fait communément du rapport de ce "grand pédagogue" à la pédagogie. S'il reconnaît que cette dernière a tenu dans sa vie de "le haut du pavé", ce n'aura été que pour une période brève et circonstanciée : 1920-1930. Dès 1930, ses intérêts seraient ailleurs. Cette assertion, qui brutalise la figure habituellement reçue, correspond bien à l'image que Ferrière se fait de lui-même. Et elle ne paraît pas si éloignée de la réalité.

Penseur et homme d'action, Ferrière a toujours répugné à cette appellation de "pédagogue" qu'il trouve étriquée et boutiquière. Il a ombrageusement revendiqué en 1924 (La Pratique de l'école active, p. 39) de n'avoir pas "lu un seul ouvrage théorique de pédagogie", et en 1931 (L'École sur mesure à la mesure du maître, p. 155), d'être un "ignorant en matière de théories pédagogiques"2 .

En réalité, Ferrière répugne à se voir taxé de "pédagogue" pour deux raisons. La première est que, dès sa jeunesse, il conçoit que sa place est d'abord au sein du débat politique, économique et social européen. Il y prend part effectivement très tôt. Il assume, de 1918 à 1923, la direction du journal chrétien-social l'Essor, et il continue, jusqu'à son retrait du débat public en 1953, son œuvre d'éditorialiste politique dont il faut souligner qu'elle est, par la quantité des publications, aussi importante que son œuvre pédagogique. S'intéresser à l'éducation, pour Ferrière, n'est qu'un volet de son action de libre citoyen.

Par ailleurs, - et c'est là que son "profil d'éducateur" prend son originalité non sans pathétique -, Ferrière a toujours fait l'éloge de l'intuition de l'homme d'action et il a toujours revendiqué d'avoir été un praticien (cf. Hameline, 1982). Lorsque son infirmité physique le contraindra à renoncer aux responsabilités de la pratique directe avec les enfants, il inscrira ses activités de publiciste dans le prolongement de sa "vocation" d'éducateur. Il ne sera "pédagogue" que par impossibilité de rien faire d'autre. On ne peut comprendre Ferrière sans avoir constamment à l'esprit le terrible handicap que constitue sa surdité précoce. Et qu'il ait pu mener, dans ces conditions, une vie sociale aussi intense tient d'un tour de force confondant.

L'homme qui aurait tant voulu être éducateur

Il n'est pas douteux que, si sa "dureté d'ouïe" ne l'avait pas tenu à l'écart, la première entreprise de Ferrière eût été de réaliser le Projet d'école nouvelle dont il publie la brochure- programme en 1909.

Gerber (1982) a fait le point sur l'émergence de cette "vocation" éducative. La lecture du Journal reconstitué3 et de la correspondance de jeunesse de Ferrière avec ses parents, la meilleure connaissance du milieu familial et social permettent de confirmer trois données : Ferrière a prolongé adulte une activité précoce de "meneur" ; il présente le profil "individualiste" typique du novateur pédagogique ; il a vécu sa jeunesse dans une famille de la haute bourgeoisie philanthropique de Genève, dont les Écoles nouvelles étaient comme un horizon "naturel".

ÉLOGE DU MENEUR

Tout d'abord, le Journal reconstitué situe en 1893 les débuts du rôle de moniteur que Ferrière adolescent joue dans la "tribu" familiale puis, jeune homme, dans la société juvénile qu'il fréquente à Genève.

Il faut s'arrêter un peu sur ce point. Ferrière a toujours souligné la composante "psychologique" de son penchant à s'occuper des enfants et des adolescents. En même temps qu'il se dit "éducateur de profession", il se présente comme "psychologue de l'enfance" (L'Éducation dans la famille, 1921 ; cf. 1935, p. 3). Dans son bilan intime de 1953 (Un destin en marge des autres, p. 13), il insiste rétroactivement sur cette "curiosité" de psychologue. Cette curiosité, Ferrière semble l'avoir exercée très tôt à l'égard des phénomènes de groupe. Le "pédagogue" et le "politologue" rejoignent ici le "psychologue" : c'est à ce triple titre que Ferrière s'inscrit dans le sillage de Gustave Le Bon, le premier interprète de la psychologie des foules (1895). C'est ainsi que dans son ouvrage de 1921 l'Autonomie des écoliers, - qu'il présente (p. 68) comme une "étude de psychologie sociale" -, Ferrière termine un chapitre sur les bandes d'enfants "en reproduisant les passages essentiels d'un document que (lui) a remis un éducateur" qui fut, dans son adolescence, le "leader de quelques unes d'entre elles" (p. 57).

Or, à comparer ce récit avec deux notices biographiques consacrées à Ferrière et écrites sous son contrôle (Peeters, 1911 ; Meyhoffer et Gunning, 1929), on se rend compte que ce n'est pas autre chose que sa propre expérience que Ferrière met ainsi en scène sous couvert de l'anonymat : même bande de cousins-cousines, même création d'un "club alpin" puis d'une société littéraire où l'on joue ses pièces de théâtre. Le style lui-même ne peut d'ailleurs tromper.

Modestie? Habileté? Les deux sans doute. Le procédé permet à Ferrière de se raconter à la troisième personne, sans risquer le reproche d'occuper par trop la scène. Mais, c'est qu'en même temps, Ferrière "psychologue social" souhaite dresser un portrait du "leader" que l'éducateur Ferrière ne peut pas totalement recommander. Car de quel type de meneur entreprend-il l'éloge? D'un autocrate, capable d'entretenir la rivalité au sein de sa troupe pour mieux imposer sa loi ; d'un "manipulateur" "qui dispense les autres de l'effort tout en leur laissant l'illusion que le succès est dû à leur effort" et devient ainsi indispensable ; d'un petit Machiavel qui avoue avoir poussé le groupe à élire un autre président pour qu'on désirât son retour à la présidence (p. 61).

Ainsi le jeune meneur mis en scène se révèle être un "psychologue" perspicace qui fait du maniement humain vertu. Ce véritable morceau d'anthologie est une des premières manifestations d'une littérature psycho-managériale sur la psychologie du chef qui fleurira à partir des années vingt. Ferrière éducateur en tirera une psycho-morale de la conduite des groupes d'enfants par les adultes : il faut laisser aller (c'est-à-dire, en réalité, conduire) les enfants de l'anarchie à l'ordre, en leur faisant désirer ce dernier. Les contraintes que son absence impose seront plus déterminantes pour mener à l'autonomie, que l'organisation prématurée et autoritaire du groupe par les éducateurs.

L'importance que l'auteur de L'Autonomie des écoliers accorde à ce récit qui le met lui-même en scène, montre combien Ferrière accordait à cette expérience de jeunesse le rôle d'une première mise à l'épreuve de ses capacités dans l'observation et le maniement de ses semblables. Et cette mise à l'épreuve lui paraissait manifestement convaincante.

UN INDIVIDUEL « NON CONFORMISTE »

Ferrière, en second lieu, confie dès 1911 à son premier biographe E. Peeters, qu'il avait "énormément souffert au collège". Le bilan de 1953 aggrave ce souvenir : "le collège a failli me tuer". L'argument est classique, banal même, de la part d'un tenant de l'Éducation nouvelle. Mais, dans l'évocation intime de ces années de collège, Ferrière ne s'en prend pas avec véhémence aux enseignants et à leur façon de faire les cours, sauf à se plaindre du mur qu'édifie entre eux et lui une surdité qui s'aggrave de manière inexorable. Il est en revanche plus sévère à l'égard de la compagnie de ses camarades. Ce n'est pas sa seule surdité qui l'isole, mais sa volonté, au demeurant assez hautaine, de ne pas sacrifier aux conventions en honneur dans les "familles considérées de la ville" et qu'il retrouve dans les relations entre collégiens : cas-type d'une vocation d'éducateur novateur, Ferrière est, à sa manière, un non- conformiste4. Tout en se montrant "serviable et sociable", ainsi qu'il l'écrit lui-même dans son autobiographie clandestine de 1921, il agit en individualiste, ou, plus exactement, en "individuel" comme on dit dans le langage du sport.

Or c'est bien une caractéristique commune aux fondateurs d'écoles nouvelles à la campagne, quand il sont porteurs d'un projet de rupture avec l'ordre scolaire existant5, d'être des individualités fortes et charismatiques. L'histoire des Écoles nouvelles, même si elle ne s'y réduit pas, est souvent l'histoire de collaborations orageuses et de ruptures entre des personnalités très contrastées. Ferrière, en dépit de sa surdité, a été pour beaucoup un homme de dialogue, foncièrement désireux d'"écouter" et d'aider autrui. Mais cette disponibilité d'âme n'est pas incompatible avec la conscience de sa propre valeur. Ce tour très personnel se manifeste dans le Projet d'école nouvelle de 1909. Ferrière a trente ans et se présente en homme d'initiative, sûr du bien-fondé de son entreprise et des orientations qu'il adopte, désireux d'apporter sa marque dans l'œuvre de l'éducation. Mais en même temps, ce projet est le reflet de son adhésion aux idéaux des Écoles nouvelles à la campagne. Il veut, selon sa formule, se faire reconnaître comme un "pionnier parmi les pionniers" (voir 1924, p. 36-37).

LES ECOLES NOUVELLES A L'HORIZON FAMILIAL

C'est qu'en effet, — et c'est une troisième donnée pour comprendre sa "vocation" —, il a un contact précoce avec les Écoles nouvelles à la campagne, dont les débuts datent de 1889 avec la création de la New School d'Abbotsholme par Cecil Reddie. Or Adolphe n'est pas le premier Ferrière à découvrir les Écoles nouvelles. C'est par sa famille qu'il entre en contact avec elles. Ainsi deux de ses cousins germains sont, dès 1899, l'un au Landerziehungsheim d'Ilsenburg en Allemagne, que dirige Hermann Lietz, et l'autre à la New School de Bedales dont le directeur est J.H. Badley, ancien collaborateur de Cecil Reddie à Abbotsholme, en Grande-Bretagne : deux écoles-phares du mouvement. Ainsi son oncle, le pasteur Louis Ferrière, visite avant lui les Deutschen Landerziehungsheime et publie à leur sujet une étude dès 1901.

C'est de 18996 que Ferrière date la visite qu'il fait, accompagné de son père, à Edmond Demolins à l'École des Roches de Verneuil-sur-Avre, en France. Il a lu le best-seller du sociologue français A quoi tient la supériorité des anglo-saxons (1897) ainsi que L'Éducation nouvelle, son manifeste aux pères de famille (1898). C'est Demolins, - Ferrière l' a rappelé à plusieurs reprises -, qui, compte tenu de la surdité croissante du jeune homme, lui suggère une tâche compatible avec son infirmité : constituer un bureau international des écoles nouvelles. Il pourra effectuer un travail comparatif et évaluatif au service des novateurs, mais aussi, à plus long terme, au service de l'École publique elle-même. Pourtant Ferrière n'a pas renoncé à ce moment à son projet d'éduquer et c'est avec ses parents, auxquels il porte une grande vénération7, qu'il en débat longuement8.

LA PRATIQUE EDUCATIVE DE FERRIERE

Mais l'événement principal demeure son séjour de 1900-1902 chez Hermann Lietz auprès duquel il éprouvera une véritable illumination9. Il y part avec le statut de "jeune maître volontaire", consacre beaucoup de temps, si l'on en juge par la correspondance familiale, à organiser et surveiller les études de ses frères cadets qui y sont inscrits comme élèves. Mais il y gagne la confiance de Lietz, se range à ses côtés lors d'une fronde des enseignants, et devient pendant quelques mois le collaborateur direct, assidu et fasciné de cette personnalité charismatique.

Grunder (1987), à partir de documents inédits, a tenté de reconstituer l'activité effective de Ferrière au cours de cette expérience que celui-ci a toujours évoquée comme "exaltante", parlant de "la grande vie d'Haubinda". Ferrière surévalue-t-il après coup la portée de ce bref exercice de la fonction enseignante? Les programmes et horaires de l'école analysés par Grunder semblent, au demeurant, bien classiques. Pourtant, Ferrière situe là ses premières tentatives d'enseignement occasionnel à partir des "intérêts spontanés" des élèves (cf. 1931, p. 73), ce qui lui permet de revendiquer la priorité sur "les deux essais qui ont suivi, en 1907 et 1908, ceux de Mme Montessori et du Dr Decroly" et qui, eux, "ont eu une diffusion mondiale".

Cette insistance de Ferrière à se poser comme le devancier des plus grands s'explique par le choix "stratégique" qu'il devra faire, quand il "entre en pédagogie" en 1921 : se présenter comme un praticien de l'éducation et manifester par là sa différence avec ceux qui n'ont été les pionniers de l'Éducation nouvelle que dans leurs livres. En 1936 (p. 219), il se démarque ainsi des autres professeurs de l'Institut Jean-Jacques Rousseau (Claparède, Bovet, Piaget) : tous ont écrit abondamment, dit-il non sans un brin d'acidité, "le soussigné seul a pratiqué".

Outre le séjour fondateur de 1900-1902 chez Hermann Lietz, Ferrière évoque son passage à Glarisseg en 1902, où il prête effectivement son concours pendant trois mois à W. Frei et W. Zuberbuhler, deux collaborateurs suisses de Lietz qui fondent le premier Landerziehungsheim helvétique. Il mentionne aussi ses six années de collaboration intermittente avec l'École-foyer des Pléiades (1914-1920) (cf. Hameline, 1982 ; Gerber et al. 1993).

L'ECOLE NOUVELLE DE BEX (1920-1921) : LA TECHNIQUE DE L'ECOLE ACTIVE

Surtout il érige son année scolaire à l'École nouvelle de Bex (1920-1921) en véritable laboratoire de la "pratique de l'école active": titre qu'il donnera à son livre de 1924. Cet ouvrage est élaboré à partir du Journal de notre petite classe dont il reproduit de larges extraits. Le manuscrit de ce Journal a été retrouvé. Une étude de Hameline et Gerber (1986¬1989) pour le Fonds national suisse de la recherche scientifique a permis une confrontation synoptique des extraits publiés et du document resté inédit.

Cette comparaison confirme et amplifie le caractère précaire, sinon tout à fait médiocre, de l'expérience elle-même. Cette précarité, Ferrière a l'honnêteté d'en faire état, de son propre mouvement, dans son ouvrage. Il y reproduit une page du Journal : "Je commence à comprendre beaucoup de choses. Elles se résument toutes en une phrase : on ne fait pas ce que l'on veut" (1924, p. 61). Et il commente plus loin : "J'étais venu à Bex chercher cette technique de l'École active et chercher cette confirmation de mes convictions. Je n'ai pu qu'ébaucher la technique, mais l'expérience, toute incomplète qu'elle fût, n'a pu que renforcer mes convictions" (p. 82). On reviendra sur ce dernier propos.

La lecture du Journal de notre petite classe révèle cependant plusieurs données que Ferrière n'a pas rendues publiques. C'est ainsi, par exemple, qu'il ne sélectionne que ses propres notes alors que le journal était un journal à trois voix, la sienne, celle de son épouse Isabelle Ferrière et celle de leur collaboratrice et amie Elisabeth Huguenin10. Le débat des ces trois "plumes" tout au long du Journal est instructif au plus haut point. Les deux interlocutrices de Ferrière émettent avec franchise leurs doutes à l'égard des convictions qui animent l'action éducative entreprise : non, écrivent-elles, ces élèves n'apprennent pas de leur propre mouvement ; oui, elles aiment les exercices "scolaires" qui semblent ne répondre à aucun intérêt "spontané" ; si ces enfants sont passives ou perdues, c'est, bien sûr, qu'elles ont été déformées par leur scolarité antérieure, mais c'est aussi que ce programme de classe active est trop ambitieux et compliqué, qu'elles n'en saisissent pas les intentions. Sans doute est-ce l'idéalisme du militant qui empêche Ferrière de faire état des réserves de ses deux collaboratrices, moins convaincues que lui.

UN CONSEILLER PEU ECOUTE

La dernière tentative de Ferrière pour "pratiquer" se soldera par une déception. En 1924, on le sollicite pour participer à la conception et à la création d'une École internationale à Genève. Passant rapidement de l'expectative réticente à l'initiative presque impatiente, il se lance dans l'aventure, imposant ses vues au directeur pressenti, Paul Meyhoffer, qui lui est particulièrement attaché, offrant même d'héberger l'école à ses débuts dans un chalet de la propriété familiale. Le voici promu "directeur général" avec mandat de rédiger la charte pédagogique de l'école : il entrevoit dans cette entreprise l'ultime chance qui s'offre à lui de mettre en œuvre ses idées. Mais le comité fondateur ne partage pas vraiment ses ambitions novatrices. Ce que l'on veut, c'est une école moderne qui donne confiance aux fonctionnaires internationaux et s'assure un renom de bon aloi, mais pas un laboratoire de pédagogie.

Ferrière pressent sans doute les résistances et les restrictions mentales de ses interlocuteurs. Il s'engage néanmoins sans assurer ses arrières et prend sur lui tous les risques. Les débuts sont laborieux : Ferrière souhaite rompre avec les programmes scolaires imposés, il table sur l'ingéniosité des enseignants pour susciter l'activité spontanée des élèves et les amener, comme il a tenté lui-même de le faire à Bex, à construire leur propre programme de travail. Mais ni les uns ni les autres - et les parents encore moins - ne sont prêts à une pareille aventure qui, de plus, fait désordre. Ferrière, dès les premières semaines, confie ses inquiétudes à son Journal. En 1925, il essaie de faire pratiquer le self-government : même déconvenue. Dès 1926, il considère que cette École ne sera pas le laboratoire dont il escompte le renouveau du système éducatif. Même s'il garde, à l'École internationale, une fonction de conseiller jusque vers 1929, il s'en éloigne psychologiquement dès la fin de 1926.

LE HOME "CHEZ NOUS"

Mais Ferrière trouvera en 1929 la compensation qu'il cherche à ses rêves frustrés d'éducateur. Il reste nostalgique de l'école-modèle qu'il n'a pu lui-même réaliser et dont il attendait la confirmation de ses vues. Par ailleurs, il se console très difficilement de l'impossibilité où se trouve son épouse de lui donner une famille nombreuse qu'il se faisait une joie d'élever. Son Journal dit sa douleur de père aux prises avec un enfant unique, attachant, à la personnalité affirmée mais difficile. Le havre pédagogique qu'il cherche, ce sera le Home "Chez nous". Il écrit dans le bilan de l'année 1929 : J'ai besoin d'enfants autour de moi. Or, au Home "Chez nous", j'ai trouvé des enfants affamés de tendresse, une atmosphère de fraîcheur, de sincérité, d'entraide, des directrices qui disent avoir besoin de mon appui, qui suivent mes conseils en matière d'enseignement et les suivaient en matière d'éducation, dès avant que je les leur eusse donnés. Je m'y sens at home..." 11

En échange de cet accueil, Ferrière se fera le propagandiste attitré du Home, érigeant en école active idéale cette modeste institution pour enfants hors famille. Il en devient le conseiller, exerçant son influence sur les directrices, s'instituant auprès des enfants dans une sorte de fonction "paternelle" (il est "oncle Adolphe") dont il règle le cours selon son coeur, intervenant avec sollicitude dans la conduite de leur éducation. Il se dépense inlassablement au service du Home dont les difficultés financières sont endémiques. Les circonstances le font habiter dans les proches parages en 1933, et il accède à la présidence de l'Association de tutelle. Il assumera cette fonction jusqu'en 1947 (cf. Coquoz, 1989).

Le promoteur d'idées

Ainsi, Ferrière a tenté de donner de lui-même l'image d'un praticien-expert. En réalité, il a assumé les responsabilités directes de l'éducation de façon sporadique et peu satisfaisante pour lui-même. Ce qui lui a manqué, ce n'est pas l'intuition, c'est la durée. La première lui permettait de saisir de manière aiguë ce qui faisait défaut au système éducatif. La seconde, seule, lui aurait permis de mettre ses propres convictions à l'épreuve. Mais était-il en mesure de remettre ces dernières en cause? On peut en douter si l'on en juge par l'affirmation évoquée plus haut : à Bex, en 1920-1921, l'homme de conviction, qui "croit" à l'école active, s'affronte au "technicien" de cette même école active, qui, lui, tente d'élaborer des procédures. Le technicien a beau ne pas pouvoir aller jusqu'au bout de sa tentative, le militant se voit confirmé dans le bien-fondé de son combat. C'est que Ferrière tenait à ses convictions par une double démarche : il pensait les avoir étayées sur une argumentation "scientifique" ; il les jugeait susceptibles de provoquer une véritable transformation des mentalités, voire une "ère nouvelle".

Le penseur Ferrière se présentait comme "praticien" par stratégie : il avait perçu que l'audience d'un "théoricien" est d'emblée contestée dans les milieux éducatifs où l'on supporte mal d'autres leçons que celles de la pratique. Mais il accorde, en définitive, à la promotion militante des idées un rôle déterminant. Il se fera donc propagandiste. C'est la seule alternative que lui laisse sa surdité.

Le "praticien" de Bex, c'est, dans le même temps, le pamphlétaire de Transformons l'école (1920) un ouvrage dont l'introduction "diabolise", au sens littéral, le système éducatif traditionnel au travers d'un apologue mordant12 . C'est aussi l'orateur du Congrès de Calais de 1921, qui se retrouve élu vice-président de la toute nouvelle Ligue internationale pour l'Éducation nouvelle, The New Education Fellowship, et rédacteur de Pour l'ère nouvelle (janvier 1922), la version française de la revue de la Ligue. Cette fonction militante passionne Ferrière. Ce sont des milliers de pages qu'il publie dans cette décennie 1920-1930 où, comme il l'écrit, la "pédagogie" "tient dans sa vie le haut du pavé". Sa correspondance est immense et confirme le prestige dont il jouit. Il en relève les "quantités" dans son journal avec une fierté mêlée d'accablement. C'est qu'il est effectivement devenu un homme public.

CONDAMNE A LA NOTORIETE

L'année 1921 est l'année cruciale où Ferrière se voit, en quelque sorte, contraint de se faire connaître pour simplement survivre. Car Ferrière, à ce moment-là, n'est plus le rentier qu'il était et qui pouvait se consacrer à l'éducation comme on choisit d'occuper utilement ses loisirs. Ferrière est devenu un gagne-petit. Marié en 1910, père d'un enfant en 1916, Ferrière, en 1921, est un homme dans la gêne : l'incendie de son chalet en 1918, provoquant la destruction de vingt ans de travail, l'a ébranlé moralement13. Et en 1919, l'effondrement des monnaies allemande et autrichienne entraîne la ruine de la fortune qu'il tient de sa mère. Ferrière se trouve dans l'obligation de gagner sa vie, au moment même où il se rend compte que ses projets de fonder sa propre institution ne sont pas réalisables. L'expérience médiocre qu'il vient de mener avec les fillettes de sa "petite classe" à l'École nouvelle de Bex, cette même année 1921, lui a confirmé que sa surdité le rend désormais inapte à une tâche éducative au contact direct et permanent avec des enfants.

Certes, il est ambivalent à l'égard de la renommée : il la cherche, avec une insistance parfois ombrageuse, à travers une activité fébrile de publiciste qu'il compare lui-même à la superficialité du "papillon" ; il est sincère, pourtant, quand il écrit dans son Journal de 1922, que son rêve aurait été de "faire son trou", comme le "grillon", et de mener discrètement une activité d'éducateur dans le face-à-face avec un groupe d'enfants qu'il conduirait selon sa conception de l'École nouvelle. Y renoncer est pour lui un véritable drame intérieur qui le laisse souvent prostré et dépressif.

Et le voilà donnant courageusement le change, se laissant prendre dans un véritable tourbillon de relations publiques, alors qu'il déclare, dans une lettre de 9 décembre 1925, que sa surdité rend les rapports personnels "tout-à-fait incommodes, fatigants, assommants même", et qu'il cherche en vain à tirer de tout cet engagement quelques avantages lucratifs modestes. La plainte est continuelle sous sa plume : "avec ma surdité le souci pécuniaire est particulièrement tenaillant", écrit-il, encore en 1925.

Dès 1921, il prend une part très active à la conception et à la mise sur pied laborieuse et progressive du Bureau international d'éducation (BIE), dont il est nommé directeur-adjoint à sa fondation en 1925, fonction confirmée lors de la transformation du BIE en organisme international en 192914. Mais il ne se leurre pas sur cette nomination : il a décliné lui-même la fonction de "secrétaire général" que sa surdité lui interdit. Il a tenté en vain de "trouver une case rémunérée", au sein du BIE, pour son Bureau international des écoles nouvelles dont il était, depuis l'origine, le seul et bénévole employé. Et ce bénévolat lui pèse. S'il trouve quelque compensation dans le prestige dont il jouit, il est trop lucide pour être complètement dupe de ce prestige.

Au cours des années vingt, il prend régulièrement la parole dans les congrès de la Ligue (Montreux en 1923, Heidelberg, 1925, Locarno, 1927, Elseneur, 1929). Pour l'ère nouvelle absorbe une part considérable de son temps. Il en parle comme de sa revue, et en fait une véritable tribune pour ses idées, mais il n'en tire que des avantages pécuniaires fort médiocres.

Sa décennie "pédagogique" est aussi celle de ses voyages à l'étranger au cours desquels il multiplie les conférences qui sont autant de plaidoyers pour l'école active ou la psychologie génétique telle qu'il la conçoit : Belgique et Pays-Bas (1924), France, Grande¬Bretagne, Yougoslavie (1925), Italie (1926), France, Belgique, Allemagne, Italie, Hongrie, Roumanie, Autriche (1928), Allemagne, Tchécoslovaquie, Pologne (1929), Espagne, Venezuela, Equateur, Pérou, Chili, Argentine, Paraguay, Portugal (1930). Et il voit une véritable consécration dans la mission officielle qui lui est confiée d'évaluer le système éducatif du District de Smyrne en Turquie (1928).

LE PUBLICISTE ET LE PENSEUR

Mais il lui faut aussi occuper le terrain par sa propre production intellectuelle. Ferrière a entamé très tôt l'élaboration d'une vaste entreprise de pensée, dont son propos sur l'éducation n'est que l'un des volets. Il date lui-même de 1905, puis de 1909, à l'occasion de son premier cours de privat-docent à l'Université de Genève, ses premières idées d'une "psychologie génétique".

Pourtant l'ardeur militante, jointe à la nécessité à laquelle il est contraint de vivre de sa plume, vont en partie avoir raison de ce projet intellectuel. Ferrière penseur va devoir être relayé par Ferrière publiciste. Mais le penseur et le publiciste vont se parasiter l'un l'autre. Le premier doit prendre son temps et méditer une œuvre. Le second doit aller vite, chercher l'audience...et faire rentrer de médiocres droits d'auteur. Sans compter des centaines d'articles dans des revues et des journaux de toutes sortes, Ferrière va donc écrire des livres qu'il destine au grand public, qui connaissent un grand succès et font l'objet de nombreuses traductions (Transformons l'école, 1920 ; L'éducation dans la famille, 1921 ; L'activité spontanée chez l'enfant, 1922 ; La coéducation des sexes, 1926 ; Le grand cœur maternel de Pestalozzi, 1927 ; Trois pionniers de l'éducation nouvelle, 1928 ; Nos enfants et l'avenir du pays, appel aux parents et aux éducateurs, 1942). Il dispose effectivement d'un réel talent de journaliste, capable d'écrire vite et sans effort. Mais il ne peut s'empêcher d'inclure dans ces œuvres mineures des références à son entreprise magistrale, trop allusives pour ne pas paraître parfois difficiles, malgré son écriture chaleureuse et aisée.

Et quand il entreprend de s'adresser au public "spécialisé" des éducateurs professionnels, sa préoccupation est autant de prendre date que de fournir des ouvrages achevés. Ainsi en dépit de l' épaisseur de ses deux volumes, L'École active (1922) est un livre vite fait, bâclé même, que Ferrière doit d'abord à ses facilités de plume, à une documentation hâtivement reconstituée et à son art de réutiliser ses écrits plus anciens. Il en commence la rédaction le 18 septembre 1921 ; le 23 octobre, à midi et demie, il boucle la quatre cent vingt cinquième page du manuscrit.

Cette hâte ne peut manquer de fournir à ses détracteurs les arguments qu'ils attendent. Une attaque viendra peu après la parution du livre et dont Ferrière sera particulièrement affecté. Sans lui en toucher un mot, son "cher ami et collègue" genevois Edouard Claparède, en février 1923, publie une analyse du livre où il ridiculise l'auteur, lui reprochant d'avoir proposé là un fourre-tout au sein duquel la notion d'école active, à ses yeux si simple, est noyée dans un fatras philosophique doctrinal insupportable. Certes ce compte-rendu assassin n'est pas dénué d'arrière-pensées politiques : Claparède est agacé par la tendance de Ferrière à jouer son propre jeu et à s'approprier l'idée d'"école active". Cette réserve posée, il faut convenir que Claparède n'a pas, intellectuellement, tout-à-fait tort. Si Ferrière avait pris son temps, il aurait, sans nul doute, complètement recadré son livre. D'ailleurs, l'ouvrage de 1946 qui porte le même titre, L'École active, mais dans des dimensions beaucoup plus réduites, est en réalité un montage de quelques chapitres extraits à la fois de L'autonomie des écoliers (1921), de La Pratique de l'école active (1924) et de L'École active (1922) : il reste en définitive peu de chose de l'ouvrage de 1922. On dirait aujourd'hui de ce livre que, malgré son caractère d'opération à la fois publicitaire et militante, (il manque la fin de la phrase)

UNE ŒUVRE INACHEVEE

Un public, Ferrière a cru pourtant en avoir un pour son grand œuvre intellectuel. Quand, en 1927, il fait paraître Le Progrès spirituel, ce gros livre de 364 pages devait ouvrir une série ambitieuse sous le titre général "L'éducation constructive". Ferrière y aurait présenté les attendus pédagogiques de ses analyses des décennies précédentes. Mais l'ouvrage est un échec éditorial, et la suite ne sera jamais publiée. Là encore, Ferrière ne parvient pas à cerner un public capable de le lire sans se décourager : "L'éducation constructive" est présentée comme une série de "causeries de psychologie génétique aux parents et aux maîtres", mais Le Progrès spirituel, qui cite plus de trois cents auteurs, est, en réalité, une somme doctrinale plutôt destinée aux intellectuels. Cependant, dans cet ouvrage de synthèse, Ferrière aborde trop de sujets désormais revendiqués par des disciplines cloisonnées entre elles et dont il n'est pas reconnu comme un spécialiste par les milieux universitaires. Ses perspectives demeurent trop centrées sur l'éducation. Soucieux de présenter une pensée à la fois globale et axée sur l'essentiel, Ferrière propose un discours "décalé" qui prend le risque de n'être pas entendu.

La désertion du public tient cependant à d'autres raisons. La fin des années vingt voit le désenchantement des militants idéalistes ou psychologistes15. Elle voit la pédagogie expérimentale s'ériger en discipline scientifique face à la pédagogie "expériencée" des "intuitifs purs" telle que la conçoit Ferrière16. Elle voit les "praticiens" réduire l'"école active", — cette utopie porteuse —, au statut de "méthodes actives", - simple recueil de procédures utiles. Elle confirme la montée, dans les rangs du Groupe français d'Éducation nouvelle (GFEN) fondé par Ferrière, des tendances socialistes et communistes qui, au Congrès de la Ligue internationale, à Nice en 1932, contribueront à substituer aux principes "spiritualistes" inspirés en 1921 par Ferrière17, des principes plus orientés par les préoccupations d'égalité sociale et de démocratisation.

A la fin de la décennie, malgré le grand nombre de traductions dont ses livres bénéficient, Ferrière constate, non sans amertume, son isolement intellectuel. Sous-estimant l'influence qu'il exerce sur beaucoup par ses ouvrages de vulgarisation, il écrit dans son Journal, à la date du 16 février 1929 : "Mes déceptions (souligné dans le texte). Je constate avec quelque amertume que j'ai consacré ma vie, apparemment, aux écoles nouvelles et qu'elles ignorent mes efforts et mes écrits... Beaucoup de directeurs à qui j'ai pourtant écrit ont oublié que j'existe. La plupart de leurs collaborateurs n'ont jamais su que j'existais. Les livres que j'ai écrits pour eux sont lettre morte (...) Pas d'éditeurs à mes livres : ou si l'en trouve, ils réussissent à accaparer tout le bénéfice ; pas d'argent, donc pas de secrétaire, donc pas de moyen d'écrire mes livres. J'ai, je le crois, quelques qualités de fond, et j'éparpille ma vie en menus services dont nul ne me sait gré..."

Ferrière n'aura pas de disciples18. Il n'existera pas de "mouvement" Ferrière comme on parle d'un "mouvement" Montessori ou d'un "mouvement" Freinet (cf. Hameline, 1992)19. A Genève, aussi bien au sein de l'Institut Jean-Jacques Rousseau qu'au BIE, Ferrière demeurera un isolé. Parmi les rares fidélités dont il pourra faire état, il faut citer celle de Célestin Freinet qui, au risque même de transformer un peu l'histoire (cf. Hameline, 1991) -, fera de sa lecture de L'École active et de la rencontre de Ferrière au Congrès de la Ligue à Territet-Montreux (1923) l'étincelle de sa vocation de novateur.

La pensée de Ferrière

Il n'est pas possible de comprendre la pensée éducative d'Adolphe Ferrière sans avoir présent à l'esprit que son œuvre intellectuelle n'est pas, d'abord, pédagogique. Elle est, en quelque sorte, une anthropologie, doublée d'une philosophie sociale, dont le propos sur l'éducation est l'une des composantes logiques. Entendons ici que ce qui préoccupe Ferrière, dès sa jeunesse, au cours de la période qu'il qualifie lui -même de "métaphysique" (1900-1910), c'est de situer le phénomène humain dans le contexte où il prend sa signification, et ce contexte est reconstitué à la fois par l'apport des sciences biologiques et celui des sciences sociales, sur fond d'évolutionnisme.

UN ECLECTISME APPARENT

Ses études, à l'Université de Genève, le conduisent d'abord à entamer de front (1898-1900) des cours de zoologie et d'anatomie comparée à la Faculté des sciences et le cours d' "Economie sociale et systèmes politiques" à la Faculté des lettres. Puis en 1902, il suit les enseignements de philosophie, des cours d'histoire, de psychologie et d'histoire des religions. Il obtient, en 1905, une licence de sciences sociales.

Tout Ferrière est dans cet apparent éclectisme. Cet étudiant est habité par le dessein de construire une vaste synthèse. Il s'y sent intellectuellement capable et socialement autorisé : il est issu d'un milieu où il va de soi qu'un jeune intellectuel "distingué", ayant les facilités qui sont les siennes, peut très vite et comme spontanément s'ériger en interlocuteur des gens qui comptent. Et il fréquente ces derniers tout "naturellement" : ce sont des "relations", autant que des maîtres. Adolphe Ferrière acquiert donc très tôt le ton de l'assurance, avec la certitude de sa propre valeur et la conscience d'une ambition légitime. Mais c'est, en même temps, un grand travailleur. Il organise méthodiquement sa documentation. Il lit beaucoup et vite. Il écrit de même. Sa thèse de 1915, couronnée par l'Université de Genève, est le fruit de dix ans de labeur. Mais déjà deux opuscules de 1910 La loi biogénétique et l'éducation et La science et la foi annoncent bien ce que sera sa pensée. La première paraît dans les Archives de psychologie, la revue "scientifique" que dirige Claparède. Elle témoigne de l'aspiration du "généraliste" à choisir l'un des collèges de "spécialistes" où réaliser son œuvre et asseoir sa notoriété dans le monde étroit des "savants": ce sera la psychologie. La seconde étude est une réponse à un concours international organisé par Coenobium, dont il fut l'un des lauréats, heureux d'être apprécié d'Henri Bergson qui siégeait au jury et de Théodore Flournoy qui assure la préface de la publication.. C'est dans la ligne de ces deux penseurs que Ferrière inscrit sa double démarche, mais il se veut tout autant le débiteur de "son vieux et regretté maître de philosophie" (1922, p. 104), Jean-Jacques Gourd.

L'ELEVE DE JEAN-JACQUES GOURD

La pensée de Ferrière, telle qu'elle se présente dans les deux opuscules. de 1910, peut être interprétée comme une tension impossible. Trois donnes en effet sont à faire tenir dans la même construction. L'univers humain que Ferrière inventorie est d'abord un univers de la nécessité (les "lois"), soumis à la détermination, voire la pré-détermination "naturelles" de l'ordre des choses,- ce que son maître Jean-Jacques Gourd appelle le "coordonnable matériel". Mais c'est aussi l'univers de l'obligation ("la" loi), là où s'effectue, selon ses termes, le jaillissement tout aussi naturel de la "spontanéité créatrice" au service du "progrès de l'esprit" et de la libération du higher self sous le signe de l'acceptation autonome de l'ordre des choses, - ce que J.-J. Gourd appelle le "coordonnable pratique". Mais il reste une troisième dimension de l'univers humain, que Ferrière emprunte aussi à Gourd, la dimension sacrée du "hors la loi," de l'"incoordonnable" où gît la mystérieuse éventualité que les choses humaines se passent effectivement bien ou mal. Comment parler tout ensemble de science, c'est-à-dire de soumission à la "coordination" des faits, et de foi, c'est-à-dire de l'appel à la croyance en une "incoordination" fondamentale que ne peuvent éviter ceux qui veulent légitimer une entreprise vraiment humaine et donc, à ses yeux, vraiment divine?

Ferrière est, d'une certaine manière, de conviction "scientiste". Il pense pouvoir trouver dans les sciences les ressources pour construire une connaissance rationnelle du phénomène humain et en tirer deux lignes d'action : d'une part, proposer une conception raisonnée de l'éducation de l'avenir ; d'autre part, fournir une lecture "moderne" et "progressiste" de l'héritage des religions20.
Cette perspective "biogénétique" s'inscrit dans la mouvance intellectuelle de l'Evolutionnisme qui, au début du siècle, est devenu le lieu commun de l'approche scientifique du vivant. Ferrière l'applique au développement de l'être humain. Ses premières tentatives pour élaborer sa conception de la psychologie génétique et des types psychologiques21, il les reconduira à travers toute son œuvre, jusqu'à son livre inachevé L'Orthogénèse humaine ou l'ascension vers l'Esprit, 1959. Il en donne un résumé déjà quasi-définitif dans sa Notice sur les problèmes de la psychologie génétique et sur les applications de cette science à l'éducation et à l'économie sociale, qu'il présente en 1923 comme une contribution à la conception d'un Institut de génétique à Genève.

UN BIOGENETICIEN

Certes, il refuse avec véhémence qu'on qualifie sa méthode de "philosophique déductive" (1930, p. 10). Et sur ce point, - à l'instar de Jean-Marie Guyau (cf. Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, 1903 ; L'irréligion de l'avenir, 1909), un penseur dont il est aussi très proche -, Ferrière serait offusqué d'être tenu pour un métaphysicien scolastique et dogmatique. En quoi sa démarche est-elle à finalité métaphysicienne? C'est qu'il s'agit, en dernier ressort, de rendre raison d'un "pourquoi" : "pour quoi" cet "énergétisme" propre à tout vivant devient chez l'homme un accroissement de la puissance de l'esprit22? Pourquoi déjà la vie, chez tout vivant, constitue-t-elle "un effort spontané d'auto-création" (1930, p. 11)?

La notion centrale est bien celle de biogenèse. Aux yeux de Ferrière, elle ne fait qu'expliciter les données de l'expérience la plus positive. Un dynamisme universel est à l'œuvre où le psychisme des humains trouve à la fois son moteur et ses voies. "Favoriser ce passage et cet aboutissement à l'harmonie entre le microcosme humain et le macrocosme, voilà l'œuvre de l'éducation" (id., p. 10). Les images, à ses yeux puériles, que véhiculent les religions établies, Ferrière propose de les réinterpréter de manière toute symbolique. Dieu est d'abord pour lui cette immanence au travail qui provoque l'ascendance intérieure vers le plus vrai, le plus beau, le meilleur, et la fait coïncider, à son point d'achèvement, avec l'ordre même du monde : "Ma croyance et ma science sont un. Car je n'ai pas de croyance métaphysique et ma science s'élève au dessus de la matière. La biologie m'enseigne la vie ascendante dans le germe et dans l'esprit. C'est là ma croyance. Le reste est hypothèse et espérance". (Réponse au questionnaire de Coenobium, voir la IIe éd. de La science et la foi, 1912, p. 58.)

Sa thèse est une thèse de sociologie. Mais c'est qu'il pense retrouver, dans l'organisation des sociétés, les mêmes "lois" au travail, notamment celle du progrès, que dans l'organisation du vivant, du vivant humain en particulier. Dans une notice biographique anonyme de 1940, dont on peut penser que Ferrière est lui-même l'auteur, il est précisé :"Il choisit la sociologie dont il fit le doctorat, réservant à ses études personnelles - beaucoup plus poussées - la psychologie, en particulier celle de l'inconscient".

L'INCONSCIENT

Ce dernier terme a pour Ferrière une signification peu freudienne. Ferrière a, comme beaucoup d'autres, rencontré la psychanalyse et observé l'extraordinaire effervescence que provoquent, dans le milieu intellectuel qui est le sien, les débats au sujet de l'inconscient. Son Journal reconstitué situe en novembre-décembre 1911 une cure psychanalytique avec le Dr de Montet. Courte expérience : mais cette brièveté est la règle à l'époque. Ce qui se passe là, sous couvert de psychanalyse, en a-t-il pour autant le label freudien? Ferrière fait montre à l'égard du freudisme d'une très grande réserve. Le "pansexualisme" de la théorie de la libido le heurte. Est-ce "résistance"? Jusqu'où Ferrière a-t-il "analysé" ses propres affects? Dans un article de 1926 consacré aux "types psychologiques révélés par les rêves", il parle effectivement de "notre action de psychanalystes". Mais il cite le propos de Jean-Marie Guyau : "l'analyse tue le sentiment". Et il dit son appréhension de voir la démarche analytique déstabiliser les "sentiments bons". C'est aux seuls "sentiments mauvais" qu'elle doit s'en prendre.

Ces catégories morales du "bon" et du "mauvais" témoignent, chez Ferrière, de la présence attentive de l'éducateur sous le psychologue. C'est au titre de la supériorité du conscient sur l'inconscient, de la primauté de l'esprit sur les mécanismes élémentaires de la conduite, que l'action éducative, comme thérapeutique, doit être menée. Ferrière est peu tenté de confondre psychanalyse et exaltation des pulsions. Il ne partage pas le messianisme libertaire de certains de ses contemporains, comme un Reich ou un Neill23 . Ferrière se veut un modéré, et Neill trouvait qu'il était demeuré bien "puritain".

L'ANTHROPOLOGIE FERRIERIENNE

Ferrière fait découler son investigation "psychologique" de quatre grands axes que la perspective biogénétique lui a permis de dégager dès 1910 (cf. 1922, p. 215 ; 1923, p. 8 ; 1931, p. 9) : 1) l'énergétisme : comme tout vivant, l'être humain est animé du dedans par un "élan vital" (l'expression est reprise explicitement à Bergson) qui le pousse à se conserver et à s'accroître ; 2) la loi du progrès (objet de la thèse soutenue en 1915) : cet accroissement s'opère au travers de deux phénomènes complémentaires qui s'"équilibrent", la "différenciation et la concentration fonctionnelles". 3) l'hérédité : l'espèce se conserve par neutralisation des traits divergents et elle varie par le legs démultiplié des divergences ; 4) la récapitulation (que Ferrière nomme loi biogénétique) : le développement de l'individu passe par des stades qui reproduisent celui de l'espèce.

Sur ces quatre axes "théoriques" se greffent quatre problèmes qui appellent des recherches "pratiques" auxquelles la psychologie, selon Ferrière, doit se consacrer. Ainsi apparaîtront, fondés en nature et en raison, de nouveaux principes éducatifs, qui ne sont pas autres que ceux de l'Éducation nouvelle et de l'École active :

1) à la loi de récapitulation biogénétique doit effectivement correspondre une nouvelle éducation basée sur l'intérêt vital et qui respectera, chez les enfants, le passage du "primitif' au "civilisé"24. Ce passage s'effectue à travers des stades dont la description et le nombre varient au cours de l'œuvre de Ferrière. Douze périodes sont distinguées dans le tableau publié en 1922 et repris en 1946. Elles y sont regroupées par trois, ce qui donne quatre âges : sensorialité (1ère enfance), imitation (seconde enfance), intuition (adolescence), raison (jeunesse et maturité) ;

2) le fait de l'hérédité doit conduire à entamer un inventaire des types psychologiques dont les phases mêmes de la loi biogénétique fournissent déjà les désignations : types sensoriel, conventionnel, intuitif, rationnel, dont les combinaisons reconstituent les douze périodes (on aura ainsi un conventionnel sensoriel, un conventionnel pur, un conventionnel intuitif, etc.) ;

3) combiné avec cet inventaire, et lié aux capacités de progrès de chacun, le psychologue fournira le diagnostic individuel qui sera en même temps pronostic et orientation ;

4) enfin, l'énergie du vivant chez l'humain étant, pour la plus grand part, de l'ordre de l'inconscient et de ses virtualités, l'aide au passage de l'inconscient à la conscience constitue l'une des tâches de la psychologie, si l'on veut qu'elle soit vraiment "génétique".25

En 1930, Ferrière résume de nouveau ses thèses dans une brochure à compte d'auteur L'avenir de la psychologie génétique et l'éducation. Or, deux choses peuvent frapper au vu de cette date : plus de vingt ans après ses premières ébauches, le mot "avenir" est encore employé dans le titre, comme si Ferrière exposait toujours un programme à réaliser ; et, effectivement, l'opuscule de 1930 ne fait que réitérer, à quelques détails près, les assertions proposées dans le cours de 1909. Entre les deux dates, Ferrière a écrit, sur ces quatre composantes de la psychologie génétique, plusieurs milliers de pages. En revanche, il n'a mené que de façon très velléitaire et infructueuse les tentatives empiriques de vérification, a fortiori de falsification, qu'appelaient ses hypothèses. Il en a lui-même conscience et, en 1922, quand il fait de cette quadruple construction les "fondements psychologiques" de son École active, il avertit ses lecteurs, "comptant sur leur intuition" pour se faire entendre : "Les vérités fondamentales exposées dans ce chapitre sont mêlées et comme enveloppées d'hypothèses. Mais si ces hypothèses sont moins fondées que des données de la science expérimentale, si elles ne sont pas encore [c'est lui qui souligne] toutes appuyées par des statistiques ou par tout autre moyen de contrôle objectif et exprimable en chiffres, elles sont certainement plus et autre chose que des suppositions en l'air. Elles reposent, en réalité, sur l'expérience, sur la vie, et sont édifiées sur elles avec la prudence et l'objectivité d'une méthode scientifique consciente à la fois de sa puissance et de ses limites" (1922, p. 215).

Or, en 1946, quand il compose la nouvelle version de l'École active, il reproduit mot pour mot cet avertissement (p. 29) et la même formule ("pas encore"...) est soulignée. La confirmation empirique demeure annoncée. Reste au lecteur à faire confiance à la méthode de l'auteur, quand celui-ci ne renonce pas à la présenter comme "scientifique" 26

TYPOCOSMIE

Paradoxalement, l'entreprise de vérification-falsification que cette typologie exigeait, c'est du côté de l'astrologie, que dès 1923 et surtout 1924 à l'occasion de sa rencontre avec K.E. Kraft, qu'il va tenter de la mener. "Il y a là, écrit-il dans son bilan de l'année 1923, une piste que je veux poursuivre : l'échec ou le succès m'attirent autant l'un et l'autre ; c'est la recherche et le contrôle qui m'amusent..." Cette ambivalence de sentiment, dont il faut reconnaître qu'elle préjuge assez bien de ce qu'est une attitude scientifique, sera présente tout au long d'une investigation particulièrement obstinée qui durera trente ans, s'apparentant à une véritable routine. Ce sont des milliers de "ciels de naissance" qu'il a collationnés et comparés à l'aide d'une instrumentation statistique complexe élaborée dans sa collaboration parfois orageuse avec Kraft. Des pages entières de son Journal et de son Grand Journal sont couvertes de ces symboles graphiques qui lui permettaient de répertorier chez ses interlocuteurs ou chez les auteurs dont il lisait les ouvrages, des attitudes, des conduites, des tendances dont il alimentait sa typologie.

Au demeurant l'œuvre est importante : Caractérologie typocosmique, 1932 ; Symboles graphiques de la typocosmie, 1940 ; Vers une classification naturelle des types psychologiques, 1943 ; et surtout Typocosmie (4 volumes), 1946-1955. Elle a toujours fait l'objet soit d'une grande discrétion, soit de mentions fugitives, moqueuses, scandalisées ou, à tout le moins, perplexes. On peut effectivement s'interroger sur le choix, apparemment sans espoir pour sa crédibilité dans l'intelligentsia, que fait Ferrière de mener dans cette voie l'enquête que l'on attend de lui. Mais il croit en la récapitulation de l'histoire de l'espèce en chaque histoire individuelle. Il croit aussi en la correspondance des événements humains avec l'ordre cosmique des choses. Et, par ailleurs, il ne déteste pas de se singulariser là encore, au risque d'accroître son isolement.

L'EDUCATION SELON FERRIERE

Par contraste, les idées éducatives de Ferrière ne sont pas d'un isolé. Ce sourd est à l'écoute de l'enfance, et s'en fait le porte-parole. Son œuvre en direction du "grand public" demeure l'un des grands véhicules des thèmes fondamentaux de l'Éducation nouvelle. Elle a contribué très certainement à faire aller de soi ce rapport quotidien aux enfants qui, pour n'avoir rien de commun avec le "laisser-faire" permissif, tente de s'instaurer dans la confiance et l'authenticité.

Le film qu'il consacre en 1929 au Home "Chez nous"27 constitue un bon récapitulatif de cette conception d'une éducation de l'enfance heureuse et responsable. Son scénario met en scène un groupe d'enfants qui se prend totalement en charge, du lever au coucher. Le point d'honneur des petites est de "faire tout seul". La sollicitude des plus grandes est d'aider les plus jeunes sans se substituer à elles. La concorde règne dans cette petite république. Le plein air est sa règle d'hygiène. On va chercher du bois dans la forêt voisine. On jardine. On grimpe aux arbres. On se baigne nu sans fausse pudeur. On y apprend en mobilisant les centres d'intérêt empruntés à la vie courante, elle-même lieu privilégié de la "vie" tout court : les mots que l'on apprend à lire désignent les objets de l'environnement quotidien, la plante que l'on dessine et que l'on découpe, on l'a d'abord cueillie dans le pré voisin, si l'on calcule, c'est en jouant à la marchande ou en enfilant des perles pour s'en faire des colliers. Et les plus grandes tiennent leur "livre de vie" : catalogue amoureusement confectionné et décoré, sous les yeux du spectateur, avec des matériaux des plus simples, et où l'on range selon un classement raisonné les documents divers que l'occasion aura fait trouver. Bien sûr, cette occasion, l'enseignante peut évidemment la provoquer ou la solliciter un peu... . Mais l'initiative revient aux enfants. Le travail individuel alterne avec les mises en commun et les explications collectives. Il n'y a pas de classe, il n'y a pas de "leçons". Tout se passe au bonheur d'apprendre, au bonheur de s'auto-discipliner et de se manifester solidaire. L'énergie pour le bien, latente chez tout enfant "sain", peut se donner libre cours. Chacun éprouve ses dons particuliers et les épanouit à sa mesure, en les mettant sans contention au service de la communauté. Ni violence, ni culpabilité, ni sanction. Mais, pour autant, ce n'est pas l'anarchie. Et tout demeure "propre en ordre", selon l'adage vaudois.

UNE LECTURE DOCTRINALE

Faut-il reprocher à Ferrière d'avoir fait défiler en cette journée idyllique et forcément fictive, les Trente points de son inventaire d'évaluation des écoles nouvelles, publiés pour la première fois en 1915 et utilisés par lui au cours des années ultérieures pour en établir le palmarès? Le Home "Chez nous", à partir de 1929, va tenir la tête de ce hit-parade. Mais, en même temps, parce que cet inventaire est une charte, et que cette charte repose sur la conception biogénétique de l'enfance active, Ferrière s'interroge en 1933 (p. 79) sur la "joie contagieuse" et la "spontanéité rayonnante" des enfants du Home : "Faut-il faire remonter à la pratique de l'École active leur entrain au travail, c'est-à-dire, somme toute, au respect, par les adultes, de la personnalité de chacun, de ses intérêts vivants et sa puissance d'autoformation (prolongement de l'énergie spécifique auto-formative de la morphologie, en biologie et en physiologie)?"

Il conclut son éloge du Home de 1933 par le rappel de ses propres thèses, au risque de la redondance : "la vie est un élan vital. La vie de l'esprit est un élan vital spirituel". Et il poursuit avec une formule qui revient sans cesse sous sa plume28 : "l'énergie créatrice se manifeste du dedans au dehors". Toute la "pédagogie" de Ferrière trouve là son résumé. Si le "dedans" prime le "dehors", l'éducation négative que préconisait Jean-Jacques Rousseau demeure d'actualité : ne pas intervenir prématurément. Et la métaphore horticole s'impose, aux dépens de celle du potier : l'éducation, c'est laisser croître une plante et non façonner un grès (cf. Hameline, 1986 ; Charbonnel, 1991). Mais ce respect de la "puissance d'autoformation" n'entraîne pas l'abdication de l'éducateur, car la liberté de l'esprit est une "liberté de libération" (1928). L'enfant, que ses tendances "naturelles"29 poussent vers le bien, a besoin d'être aidé, ne serait-ce que pour acquérir des habitudes bonnes. "Une habitude, pour mériter de s'appeler bonne, doit avoir pour effet de libérer l'esprit. Mécaniser l'inférieur, afin de libérer le supérieur, voilà la formule" (1921 ; cf. 1935, p. 20) 30

L'ECOLE ACTIVE, ECOLE DU RENDEMENT

Cette dernière notion de mécanisation révèle un Ferrière préoccupé par la notion moderne du rendement. Il ne sera pas le dernier à reprendre la célèbre formule de Washburne, l'un des promoteurs américains du travail individualisé :" il faut tayloriser l'instruction pour valoriser l'éducation". Il n'est paradoxal qu'en apparence que le chantre de l'enfance heureuse et spontanée soit en même temps un partisan explicite de l'organisation scientifique du travail.

L'admiration de Ferrière pour Taylor n'est pas feinte. Et il n'en fait pas mystère. Il partage avec lui trois principes. Le premier, Ferrière l'exprime sous forme d'un slogan de la rationalisation des coûts dont il fait une des règles d'or de l'école active :"le plus d'effets utiles pour le moins d'efforts inutiles" (cf. 1922, p. 286. et Hameline, 1987 ). Le second tient à la conception que Ferrière comme Taylor se fait de l'organisation scientifique du travail : seul un "expert" peut, du dehors, grâce à l'observation méthodique des activités du travailleur et à leur interprétation, prescrire les manières de faire les plus rentables. Cependant, pour Ferrière, cet expert n'est pas un technocrate du bureau des méthodes : il cumule l'intuition et le raisonnement, "la science et le bon sens". Ferrière ne doute pas, alors, que cette observation "du dehors" coïncidera avec les tendances naturelles qui "du dedans" poussent à la rentabilité de l'effort. Car celle-ci ne peut être contraire à l'harmonie et à l'épanouissement. Taylor déclarait vouloir faire le bien de l'ouvrier, et, s'il le fallait, contre les routines de l'ouvrier pour leur en substituer d'autres, plus rationnelles. De même, Ferrière veut ardemment le bien de l'élève, et, s'il le faut, en luttant contre les habitudes reçues de l'ancienne école, mais non sans les remplacer par d'autres, plus aptes à "libérer" l'esprit pour sa vocation supérieure.

Enfin, autre point de rencontre avec Taylor, Ferrière pense que chacun ne peut prétendre à occuper n'importe quelle place. La mobilité, pas plus que l'éducabilité ne suppriment les hiérarchies "naturelles" entres les individus. La culture des aptitudes de l'élève doit permettre de "trouver la solution d'un problème d'économie politique (...) : placer toujours les hommes dans la sphère dans laquelle ils peuvent être le plus utiles" (cf. 1922, p. 285). Cette dernière phrase est une citation que Ferrière emprunte à Marc-Antoine Jullien quand en 1812 ce dernier présente l'Esprit de la méthode d'éducation de Pestalozzi. Ainsi le même Ferrière qui célèbre en 1927 le "grand cœur maternel de Pestalozzi", est celui qui fait référence à la figure emblématique de la pédagogie active pour légitimer son souci de placer "the right man in the right place" (1922, p. 285).

UNE THEORIE COHERENTE DE L'ORGANISATION SOCIALE

Et qu'il y en ait qui soient faits pour commander et d'autres pour obéir, le "leader" précoce de groupes qu'a décrit Ferrière dans son auto-portrait inavoué ne peut manquer de souscrire à cette conception des rapports économiques et sociaux. Le démocrate est aussi un élitiste. Mais l'élitiste est sincèrement démocrate. Les travaux de Ferrière sur la planification économique (cf. Pour un plan suisse du travail au-dessus des partis, 1935) sont à mettre en rapport avec ses conceptions de l'éducation. Ils recommandent d'éviter aussi bien l'Étatisme que le capitalisme sauvage. Pour faire échec à la loi du plus fort qui est la règle de ce dernier, Ferrière préconise le contre-pouvoir des coopératives de producteurs et de consommateurs dont il fut un fervent avocat. Mais, précise-t-il, s'il convient désormais d'"agir par et pour les masses", il faut "non pas les exaspérer, mais les éclairer et les satisfaire" (1935, p. 225). Et seule une "sociologie scientifique", placée entre les mains d'hommes qualifiés et préparés, permettra de faire coïncider la volonté propre de l'État et la réalisation de la volonté populaire (1935, p. 144), par un dirigisme où se retrouve ce mixte de "science et de bon sens" que Ferrière préconise en éducation.

Bilan : l'héritage d'Adolphe Ferrière

Science et bon sens : cette dernière formule est la marque d'un esprit modéré. Ferrière, en politique, serait aujourd'hui considéré comme un homme du centre, centre-droit selon les uns, centre-gauche selon les autres. Sa pensée éducative n'est pas davantage marquée par l'extrémisme. S'il est virulent contre l'"école traditionnelle", c'est que les esprits "conventionnels", prompts à se soumettre aux normes du groupe et à adopter ses préjugés, lui paraissent aussi dangereux que les révoltés. Ni les uns ni les autres ne sont les vrais acteurs du progrès.

Or le progressisme est la marque de la pensée de Ferrière. La "loi du progrès" demeure, tout au long de son entreprise intellectuelle, une référence constante. On la retrouve dans les derniers ouvrages de Ferrière, par exemple L'Essentiel, publié en 1952. La pensée de Ferrière n'est pas conservatrice. Il est remarquable que le passé intéresse peu cet homme. C'est le mot "avenir" qui vient comme un leitmotiv sous sa plume militante. Si un penchant intellectuel lui fait "penser" le devenir historique, il le fait en philosophe du phénomène humain, peu porté à en examiner les déroulements effectifs, avec leurs séries propres et, surtout, leur caractère conjectural et aléatoire.

En dotant le progrès d'une loi, Ferrière inscrit ce phénomène dans la nature des choses. Il le métaphorise en une marche d'autant plus harmonieuse qu'elle est implacable. Il fait de la finalité nécessité. C'est que sa pensée, en même temps qu'elle est un cosmisme, demeure fondamentalement un naturalisme.

SUIVRE LA NATURE

Or, deux notions de la nature humaine se superposent dans la pensée de Ferrière. La première n'est pas sans rapport avec l'image de la "statique" telle qu'il l'oppose à celle de la "dynamique". Elle inclut les individus humains dans l'"organisation" d'un Tout (1952, p. 215), non seulement social mais cosmique, où chacun "reçoit" sa place plus qu'il ne la "prend". Chacun appartient à un type. Et c'est en assumant ce type qui le différencie que chacun apporte sa contribution à l'édification du Tout. Mais cette différence amène les uns à occuper un niveau supérieur, les autres un niveau inférieur dans l'échelle, elle-même "progressive", c'est-à-dire ici hiérarchique, des types: tous les types ne sont pas égaux. Et cette hiérarchie psychologique est en définitive le décalque d'une hiérarchie anthropologique et sociale.

Les étapes du progrès que décrit Ferrière sont aussi les points de fixation où certains s'arrêtent par nature. L'éducabilité des humains n'est pas indéfinie. L'enfant "conventionnel" est appelé à demeurer "conventionnel". Et il développera les virtualités de son type, heureux et valeureux dans sa catégorie.

Ce naturalisme des types et sa lecture biogénétique représentent sans doute l'héritage le plus discutable de la pensée de Ferrière. Non qu'il n'y ait pas de régularités dans les différences, mais telles qu'il en construit le faisceau, ces régularités, en dépit des nuances que Ferrière apporte, risquent bien de donner l'impression d'emprisonner les singularités dans une espèce de fixisme paradoxal. Dans une lettre du 24 février 1902, son père le mettait en garde : "Tu es abstrait, imaginatif, forgeur d'idées, avec le danger de devenir songe-creux dans le domaine de l'insondable". Peut-être est-ce la plus grande erreur de Ferrière d'avoir maintenu, dans l' édition condensée de 1946 de L'École active, le tableau comparatif des "fonctions prépondérantes aux différents âges de l'enfance et de l'humanité", préparé pour l'édition de 1922. Se laissant aller aux facilités de son talent de classificateur, il y schématise sa propre pensée au point de l'offrir à la caricature.

La seconde notion de "nature" présente chez Ferrière correspond, dans sa pensée, à l'image de la "dynamique". Tout vivant peut aller jusqu'au bout de son propre progrès, c'est- à-dire accomplir sa nature et, dès lors, coïncider avec l'universel. L'un de ses adages est la maxime pindarique chère au stoïcisme ancien : "Deviens ce que tu es". Dans son exemplaire personnel de La liberté de l'enfant à l'école active (1928), Ferrière corrige de sa main la formule : "Deviens celui que tu es". La loi-biogénétique, qui fait récapituler au développement individuel les étapes du développement de l'espèce, explique aussi bien l'un que l'autre en les inscrivant dans l'ordre des choses naturelles. La liberté est ainsi le couronnement du progrès d'une évolution. Elle est essentiellement "libération" : un individu libre est quelqu'un qui est parvenu, dynamiquement, à se délivrer de ce qui l'empêche de coïncider avec ce qu'il a de meilleur en lui, tel que la nature l'a fait, puisqu'elle ne peut, sauf accident, l'avoir mal fait31 .

A partir "des instincts qui, à leur base, sont normaux et sains" (1953), l'esprit doit accroître sa puissance. Et c'est là le progrès. Mais quand il aura accru sa puissance, on constatera qu'il n'a rien fait là que de naturel. Et pourtant, rien n'est fatal puisque l'esprit peut ne pas accroître sa puissance.

UN NEO-STOÏCISME MODERNE

Il y a une incontestable grandeur dans ce néo-stoïcisme moderne où l'énigme de la liberté humaine se trouve posée en termes à la fois rigoureux et généreux. Le "spiritualisme" de Ferrière est un plaidoyer pour l'énergie (cf. Cultiver l'énergie, 1933) loin de toute mièvrerie bigote. Ferrière bâtit une synthèse anthropologique certes hâtive et plus imaginée que mise à l'épreuve des faits. Mais il saisit le phénomène humain comme une progression forte et exaltante. La métaphore de la "montée" vers un surcroît de puissance de l'esprit retrouve aujourd'hui, à l'heure de la défaillance du matérialisme historique et du triomphe du matérialisme tout court au quotidien, une grande capacité de stimulation, en dépit des cynismes qu'alimentent les défaillances de l'image trop naïve du progrès.

Ferrière certes n'est pas cynique. Mais il n'est pas non plus naïf : s'il maintient, après deux guerres mondiales, sa foi intacte dans le triomphe possible de l'énergie spirituelle sur l'entropie ou les forces de dissociation, c'est sans aveuglement. Ferrière est un homme qui espère. Et s'il espère, c'est d'espérance, et non pas simplement d'espoir. Il irait même, s'il le fallait, jusqu'à "espérer contre toute espérance", car il a posé qu'espérer est bien le moteur de toute éducation. Il écrit les dernières lignes de L'Essentiel le 15 mai 1951. Le même jour il est frappé d'un attaque cérébrale qui compromet la poursuite de son grand œuvre intellectuel. Ce sont donc en quelque sorte des ultima verba que Ferrière nous livre dans la conclusion de cet ouvrage : Il ne s'agit pas d'être optimiste, il faut voir clair et agir. A l'échelle des millénaires, l'humanité consciente de la puissance de l'Esprit n'en est qu'à ses débuts" (1952, p. 241).

Notes
1. Mon Grand Journal (1930-1960) est une chronique de ses réflexions et de ses lectures. Il comporte quatorze volumes d'environ trois à quatre cents pages chacun.

2. La lecture de son Petit Journal aux dates où il rédige L'École active (1921) montre qu'à l'âge de quarante ans Ferrière n'avait encore lu systématiquement ni Rousseau ni Pestalozzi. Et il n'éprouve aucun remords à avouer ces lacunes. Il s'en vanterait plutôt. Au cours de sa formation universitaire, Ferrière n'accorde qu'une place extrêmement restreinte à la pédagogie, entendue ici comme le savoir dispensé par l'Académie sur l'éducation. Il a, certes, suivi le cours de Paul Duproix à la Faculté des lettres au semestre d'été 1902. Mais il ne s'agit que de quelques semaines, et cet enseignement ne semble pas l'avoir particulièrement marqué.

3. Adolphe Ferrière a entrepris très jeune de tenir la chronique quotidienne de son existence. L'incendie de son chalet en 1918 provoque la destruction de tous les carnets antérieurs à cette date. Ferrière tient tellement à cette chronique qu'avec l'aide de la correspondance et des témoignages de sa famille, il reconstituera autant qu'il lui fut possible les carnets perdus de son enfance et de sa jeunesse.

4. Un détail qui peut faire sourire aujourd'hui : sur les photos officielles des congrès de la Ligue, Ferrière apparaît souvent le col de chemise largement ouvert, alors que tous les autres messieurs, officiels comme participants, sont en cravate.

5. Grunder (1992 ; à paraître 1993) a consacré une étude aux chefs d'écoles nouvelles en Suisse et montré que, dans leur ensemble, il s'agissait de chefs d'institutions, bons gestionnaires aux idées ouvertes, mais qui étaient loin de partager les ardeurs militantes des gens de la Ligue.

6. Gerber (1982) relève dans le Journal reconstitué que Ferrière évoque la probabilité que la visite à Demolins se situerait en janvier 1900. Mais, par la suite, Ferrière a toujours accrédité 1899 comme date de fondation de son Bureau international des écoles nouvelles.

7. Dans un recueil de sonnets publiés sous le pseudonyme de Dr Frédéric Emmanuel en 1926, Ferrière s'adresse à sa mère et à son père, Parentibus meis : "Mère, tu m'as donné ma muse poétique,/ L'imagination qui peut tout animer ;/ Tu m'as donné l'amour et le rêve enflammé,/ Les larges visions et le don prophétique./ Père, tu m'as donné l'esprit scientifique,/ Le caractère droit qui sait se réprimer./ Père, c'est toi qui m'as appris à me former :/ De toi je tiens ce que mon âme a de stoïque".

8. Le Dr Frédéric Ferrière, son père, une grande figure de la Croix-Rouge internationale, va jusqu'à envisager de le voir prendre la tête d'un établissement pour enfants à la santé fragile sur le site climatique de Leysin. Mais Adolphe Ferrière n'est pas enthousiaste.

9. A 2 heures et demie du matin dans la nuit du 23 au 24 mars 1902, il écrit à ses parents : "je viens de passer une des plus belles heures de ma vie. De 10 heures et demie à maintenant j'ai tout le temps causé avec le directeur (...) J'ai entrevu réellement ce soir l'immensité de son génie, et j'en suis comme écrasé. Je vous en parlerai. C'est comme si un voile s'était déchiré au ciel et que je vois un second ciel derrière ; j'ai l'impression qu'un prophète est descendu du ciel et m'a parlé..."

10. Isabelle Bugnon, professeur de sciences naturelles, nièce du grand naturaliste et penseur Auguste Forel, rencontre Adolphe Ferrière en 1908. Fiancés en 1909, ils se marient en 1910. Isabelle Ferrière sera la collaboratrice infatigable de son mari et son interprète attitrée, du fait de sa "dureté d'ouïe". Elisabeth Huguenin (1885-1963), originaire du Locle, collaboratrice de Paul Geheeb à l'École d'Humanité, fait un court passage (1919-1920) peu concluant à la tête de l'École Vinet à Lausanne et, sans emploi, accepte l'offre d'Adolphe Ferrière de participer à l'expérience de Bex. Elle sera ensuite enseignante à l'École des Roches, en France, et consacrera sa plume à écrire de nombreux ouvrages sur l'éducation des femmes (cf. Kâppeli, 1992 ; Chaponnière, 1992).

11. Plusieurs poèmes de ses deux recueils (Dieu dans l'homme, 1926 ; La Forge de l'Esprit, 1936) disent son désir quasi charnel d'être entouré d'enfants : "Tout mon bonheur tient en une formule/ Je ne vis vraiment que de vos baisers,/ Frais enfantelets au sourire aisé,/ Et du chant léger que vos voix modules..." "Tout mon malheur tient en ce fait unique :/ Je n'entendrai plus vos chants et vos ris... / Le coup le plus dur de ce sort inique,/ C'est que vos baisers aussi me sont pris." Ferrière évoque, en 1936, dans un tryptique poétique, de manière déchirante et pudique, l'accident survenu à sa femme et qui le prive de la fillette dont il rêvait. Il évoque l'"autre amour" qu'il portera à l'une des orphelines du Home : "La serrer dans tes bras dissipe ta misère,/ Tu renais aux petits baisers qu'elle te rend..."

12. Cette critique vive et ironique de l'école publique a contribué, dans maints esprits, à faire de Ferrière un détracteur des enseignants. Dans la nouvelle édition de son ouvrage en 1947, il se croira obligé de protester de son estime pour la corporation.

13. Ferrière fut si impressionné par cet incendie, dans lequel périt une employée de la maison et où disparaît toute son œuvre intellectuelle, qu'il en fit un récit qu'il lui arriva de lire plus de dix ans après aux enfants du Home "Chez nous". Dans son recueil de poèmes de 1926, Ferrière ne consacre pas moins de six sonnets à cet événement. Le 26 septembre 1946, il écrit à Roger Cousinet :"30.000 fiches documentaires et observations, une immense bibliothèque d'ouvrages, minutieusement annotés par moi : plus de vingt ans de travail acharné, tout cela volatilisé en une nuit (avec quatre manuscrits prêts pour l'impression" (cf. Cousinet, 1960). On lira le "profil" de Roger Cousinet dans Perspectives, 1987, XVII (4), repris dans le présent ouvrage.

14. Sur le rôle de Ferrière dans la naissance du BIE, cf. Stovoick, 1979.

15. J. Moll (1989) a retracé l'histoire du courant psychanalytique dans les années vingt et son reflux après une période de forte effervescence.

16. Raymond Buyse, fondateur du Laboratoire de pédagogie expérimentale de Louvain, écrit dans L'Expérimentation en pédagogie (1935, p. 49) :"Nous avons proposé de désigner par l'épithète "expériencée" cette tendance, si à la mode dans les milieux avancés, à vivre intensément, généreusement l'œuvre d'éducation considérée comme la grande "aventure sociale" (...) Dans sa partie théorique, ce mouvement se prétend, sans modestie, scientifique ; mais il faut entendre par là qu'il s'inspire surtout des conclusions osées ou des hypothèses hasardeuses des sciences connexes de la pédagogie : la biologie (loi de récapitulation abrégée), la psychologie infantile (lois de l'intérêt), la sociologie (interprétation de l'âme enfantine en comparaison de la mentalité primitive). (...) Il ne s'agit en fin de compte que d'analogies plutôt vagues ou d'à-peu-près inconsistants. Ce que, le plus souvent, nous y percevons, c'est une redoutable confusion entre la science expérimentale et une sorte de philosophie, dite scientifique, qui n'est en rien de la science". Ferrière est manifestement la cible de cette sévère mise en garde.

17. Les Archives Institut Jean-Jacques Rousseau détiennent un document émouvant : une note manuscrite de Ferrière à Béatrice Ensor, présidente de la Ligue, lors de la réunion où, au Congrès de Nice en 1932, l'on révise les principes de ralliement :"sauvons au moins l'article 1er". C'est précisément l'article "spiritualiste" rédigé par Ferrière à Calais en 1921, et qui assigne à l'éducation le rôle d'"accroître en chacun la suprématie de l'esprit".

18. En 1929, un groupe d'amis décide de constituer une "fonds Adolphe Ferrière" pour financer la publication de ses livres. Mais cette initiative ne reçoit qu'un très modeste écho. En 1959, une Association des amis d'Adolphe Ferrière publie un cahier trimestriel ronéotypé intitulé L'Essentiel. Elle se donne pour but d'étudier et de diffuser l'œuvre d'Adolphe Ferrière, partir de ses données vers de nouvelles recherches. Mais ce "centre de recherches" ne survivra pas à Roger Munsch, son fondateur.

19. On trouvera le "profil" de Maria Montessori dans Perspectives, 1982, XII (4), et celui de Célestin Freinet, 1980, X (3) et dans le présent ouvrage.

20. Cette entreprise correspond à un état d'esprit fort répandu en Suisse romande dans les milieux intellectuels protestants (cf. Berchtold, 1964). Fernando Vidal, dans une thèse récente (1989) a montré combien la jeunesse de Jean Piaget participait, elle aussi, de cette ambiance. Piaget fut, entre 1915 et 1919, un "militant" de cette nouvelle lecture de l'héritage religieux et Ferrière (L'Essor, 1919) voyait déjà en ce tout jeune homme, le réconciliateur prophétique de la science et de la foi qui marquerait le XXe siècle.

21. Il se réfère avec enthousiasme en 1922 (p. 247) à la classification de Jung. Mais, non sans sa pointe habituelle de rivalité, il prend soin de préciser que sa propre typologie est antérieure.

22. La formule figure déjà chez le philosophe Jean-Jacques Gourd (Le Phénomène, 1888) que Ferrière considère comme son maître.

23. On trouvera le "profil" de Alexander Neill dans Perspectives, 1988, XVIII (2).

24. Ferrière aime à reprendre une boutade qu'il attribue à Stanley Hall :"pour devenir un bon civilisé, il faut avoir été préalablement un bon sauvage".

25. Il serait instructif de comparer le sens que Ferrière et Piaget donnent au qualificatif "génétique". A première vue, tout sépare les deux Genevois. Piaget a tenu l'œuvre théorique de Ferrière dans un total mépris. C'est qu'il avait rompu avec les spéculations philosophico-religieuses de sa jeunesse militante, celles qui faisaient l'admiration de Ferrière. Le cosmo-vitalisme et le spiritualisme affiché de ce dernier, le tour oratoire et vibrant de ses écrits, l'absence de mise à l'épreuve factuelle, le mélange constant du constat et de la prescription ne pouvaient qu'agacer Piaget qui, en plus, se voyait rappeler là tout ce dont il avait voulu se séparer. Dans Biologie et connaissance (1967 ; cf. 1992), Piaget montre le peu d'intérêt épistémologique de la notion téléologique de "progrès" surchargée de jugement de valeur. "Ceci dit, ajoute-t-il, le problème est donc de trouver des critères objectifs d'une hiérarchie des types d'organisation, autrement dit d'une vection évolutive" (1992, p. 123). Et voici qu'il emprunte à Rensch la notion d'"ouverture" croissante, "au sens d'un accroissement des possibilités acquises par l'organisme au cours de l'évolution", la connaissance étant érigée en "aboutissement nécessaire" de ce "progrès", "en tant que multipliant le champ des possibilités". Nous sommes là à la fois très loin et très proches de Ferrière, d'autant que Piaget, dans le même ouvrage (p. 92), renvoie aux hypothèses "récapitulatives" de Baldwin auquel Ferrière fait lui-même référence. Piaget évoque ainsi des expériences faites auprès d'écoliers genevois de 7-9 ans dont les interprétations de certains phénomènes physiques "correspondent" à celles du "bon sens" adulte des contemporains d'Aristote. La vection de la connaissance, à l'échelle de l'espèce, passerait donc bien par des étapes dont on retrouve l'équivalent dans le développement cognitif de l'enfant.

26. En 1941, Piaget évoque la tentation de "concevoir la réalité comme un flux irréversible et l'esprit comme un pouvoir de se libérer du temps et de l'espace...". Mais il ajoute, montrant par là combien il se sépare de la position métaphysicienne qui fut la sienne dans sa jeunesse et qui demeure celle de Ferrière : "mais pourquoi improviser individuellement des systèmes subjectifs lorsque l'on peut contribuer si faiblement que ce soit, à l'effort collectif que constitue la recherche scientifique?". Cette citation m'a été fournie par Fernando Vidal que je remercie pour son aide amicale.

27. Avec le laitier, Ferrière est le seul adulte visible à l'écran. On peut voir dans cette mise en scène de soi le souci du propagandiste qui fera projeter le film à des dizaines de milliers de spectateurs (c'est certainement l'un des films pédagogique les plus vus entre 1930 et 1940). On peut y voir aussi une compensation symbolique, - et touchante au demeurant -, quand on sait sa douloureuse frustration de n'avoir pas pu réaliser ce qu'il fixe là sur la pellicule... Mais les directrices, elles, sont restées hors champ.

28. En réalité l'idée est déjà pestalozzienne. Ferrière en fait le fondement même de l'École active.

29. "Ce qu'il y a en l'homme de bon, de sain et d'harmonieux, il l'a hérité de millions d'ancêtres qui ont adapté leur
30. nature intime aux lois immuables de la nature" (1921 ; cf. 1935, p. 26). L'un des sonnets du recueil de poèmes Dieu dans l'homme (1926) est intitulé "L'Enfant naît bon". C'est un dialogue avec Rousseau, et qui donne raison à ce dernier.

31. Ferrière reprend à William James la distinction du higher self opposé au lower self (cf. 1928, p. 24).

32. Dans un article de L'Essor, en juin 1919, "Le problème de la philosophie nouvelle", Ferrière écrit déjà : "En un mot, statiquement, nous sommes ce que nous pouvons être, ce que nous ne pouvons pas ne pas être. Nous sommes déterminés. Dynamiquement, au contraire, nous sommes une force, une énergie cosmique, une étincelle d'esprit, un fragment de cette grande lumière que nous devinons et que nous appelons l'Esprit". Ferrière ajoute qu'une existence peut être statiquement une "non-valeur", mais "au point de vue du dynamisme spirituel", il lui revient de se révéler comme une "force qui peut, par son seul exemple, engendrer d'autres forces". Ainsi le dynamisme de l'esprit vient corriger ce que le statisme de la dotation héréditaire, du placement social ou des accidents de la vie peuvent avoir de fatal. Ferrière sait que, "statiquement", en 1919, il est un être diminué par sa surdité, par l'incendie de 1918, par la ruine financière de 1919. Comment, porteur de ces handicaps, n'être pas une "non-valeur"? Tel est le défi qui lui fait opter pour le "sursaut" dynamique où sa "valeur" se révélera, sans rien changer à sa "non-valeur" statique. Mais il suffit que d'autres fassent dépendre toute valeur de la "statique" des choses et des places, pour stigmatiser en Ferrière le chantre d'un spiritualisme de soumission à l'ordre social érigé en diktat fatal de la "nature". C'est ce que n'ont pas manqué de faire les détracteurs de son spiritualisme.

Ouvrages d'Adolphe Ferrière cités (*)

  • Petit Journal, inédit, 43 volumes, 1918-1960.
  • Journal reconstitué, inédit, 1879-1918.
  • Mon grand Journal, inédit, 14 volumes, 1930-1960.
  • Journal de notre petite classe, inédit, 1921.
  • Un destin en marge des autres, inédit, 1953.
  • Projet d'école nouvelle, Neuchâtel, Foyer solidariste, 1909.
  • La loi biogénétique et l'éducation, Genève, Kundig, 1910.
  • La science et la foi, Lugano, Casa editricie del Coenobium, 1910 ; 2e éd. augmentée, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1912.
  • Biogenetik und Arbeitsschule, Langensalza, Beyer u. Sohne, 1912.
  • Les fondements psychologiques de l'école du travail, Bruxelles, Imprimerie Rossel et fils, 1914. La loi du progrès en biologie et en sociologie et la question de l'organisme social, Paris, Giard et Brière, 1915.
  • Préface à Faria de Vasconcellos (A.) - Une École nouvelle en Belgique, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1915. Transformons l'école, Bâle, Azed, 1920 (trad. en suédois, espagnol, italien, portugais, tchèque, espéranto); 2e
  • éd. revue, Paris, J. Oliven, 1947. L'autonomie des écoliers, l'art de former des citoyens pour la nation et pour l'humanité, Neuchâtel et Paris,
  • Delachaux & Niestlé, 1921 (trad. en italien, espagnol, polonais). L'éducation dans la famille, Neuchâtel et Genève, Editions Forum, 1921 (traduit en espagnol, roumain, allemand, grec, finlandais, turc, hollandais) ; 4e éd. revue, Lausanne Editions du Secrétariat romand d'hygiène sociale et morale, 1935. L'activité spontanée chez l'enfant, Genève, Editions internationales populaires, 1922.
  • L'école active, 2 vol., Neuchâtel et Genève, Editions Forum, 1922 (traduit en roumain, espagnol, italien, allemand, serbe, japonais, portugais, anglais, urdu et hindi) ; nouvelle éd. complètement refondue, 1946.
  • Notice sur les problèmes de la psychologie génétique et sur les applications de cette science à l'éducation et à l'économie sociale, Genève, Imprimerie du Commerce, 1923 ; nouvelle éd. révisée, sous le titre L'avenir de la psychologie génétique et l'éducation, Genève, Société générale d'imprimerie, 1930. La pratique de l'école active, Neuchâtel et Genève, Editions Forum, 1924 (trad. en russe, portugais, italien, espagnol).
  • La coéducation des sexes, Genève, Imprimerie générale, 1926 (traduit en espagnol).
  • Dieu dans l'homme, sonnets, (sous le pseudonyme de Dr Frédéric Emmanuel), Genève, Editions de la Petite fusterie, 1926.
  • Le grand coeur maternel de Pestalozzi, Paris, Groupe français d'éducation nouvelle, 1927 (traduit en
  • espagnol) ; nouvelle éd. Yverdon, Centre de documentation et de recherche Pestalozzi, 1983. Le progrès spirituel, Genève, Editions Forum, 1927 (traduit en espagnol, allemand, portugais). La liberté de l'enfant à l'école active, Bruxelles, Lamertin, 1927 (traduit en espagnol). Trois pionniers de l'éducation nouvelle, Paris, Flammarion, 1928 (traduit en espagnol). L'école sur mesure à la mesure du maître, Genève, Ateliers Atar, 1931 (traduit en serbe, italien, espagnol). Caractérologie typocosmique, Genève et Paris, Atar et Bureau français d'éducation nouvelle, 1932.
  • Cultiver l'énergie, Saint-Paul, Editions de l'Imprimerie à l'école, 1933.
  • Un foyer : "Chez nous", Pour l'ère nouvelle, 1933, XII (86), 76-79.
  • Pour un plan suisse du travail au-dessus des partis: essai de sociologie pure appliquée à l'actualité, Lausanne et Zurich, Guilde du Livre Gutenberg, 1935.
  • La forge de l'esprit, sonnets, Imprimerie de Nessonvaux (Belgique), 1936.
  • Symboles graphiques de la typocosmie, chez l'auteur, 1940.
  • Nos enfants et l'avenir du pays, appel aux parents et aux éducateurs, 1942 (traduit en italien).
  • Vers une classification naturelle des types psychologiques, Nice, Editions des Cahiers astrologiques, 1943.
  • L'essentiel, introduction au symbolisme universel des religions, Lausanne, Held, 1952.
  • Typocosmie, 4 vol., Nice, Cahiers astrologiques, puis Turin, Rigois, 1946-1955.
  • L'orthogénèse humaine ou l'ascension vers l'esprit. Les types psychologiques selon la tradition, la science et la religion, Neuchâtel, H. Messeiller, 1959.

(*) La bibliographie pratiquement exhaustive des quelque 2.000 articles publiés par Ferrière entre 1904 et 1960 a été établie par Eva Stroot-Kiraly en 1982. La bibliographie des ouvrages de Ferrière a été vérifiée et récapitulée par Rémy Gerber en 1988. Ces documents, non publiés, peuvent être consultés aux Archives I, Institut Jean-Jacques Rousseau (Université de Genève).

Autres ouvrages cités

  • Berchtold, A. - La Suisse romande au cap du XXe siècle, Lausanne, Payot, 1964.
  • Buyse, R. L'expérimentation en pédagogie, Bruxelles, Lamertin, 1935.
  • Chaponnière, M. Devenir ou redevenir femme. L'Éducation des femmes et le mouvement féministe en Suisse, du début du siècle à nos jours, Genève, Société d'histoire et d'archéologie, 1992.
  • Charbonnel, N. La tâche aveugle, 2 vol., Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1991.
  • Charlot, B. La mystification pédagogique, Paris, Payot, 1976.
  • Coquoz, J. Le Home "Chez nous" (1919-1989), un modèle d'éducation nouvelle entre célébrité et anonymat, Genève, Archives Institut Jean-Jacques Rousseau, 1989 ; à paraître en 1993.
  • Cousinet, R. "Adolphe Ferrière (1879)", in L'École nouvelle française, s.d. (1960), 84, 2-9.
  • Gerber, R. "Naissance d'une vocation", in (coll.) Autour d'Adolphe Ferrière et de l'Éducation nouvelle, Genève, Cahiers de la Section des sciences de l'éducation de l'Université de Genève, 1982, 39-58.
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