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logo blog Le désir en pédagogie…Une condition nécessaire…mais insuffisante !

La forme scolaire : le déni du désir.


Le sociologue Guy Vincent l’a parfaitement montré (VINCENT, 1994), la forme scolaire en France est marquée par la recherche d’obéissance de soumission et de conformité chez les formés.

Cette forme scolaire, en contradiction flagrante avec ce que proclament les responsables successifs de l’Education Nationale, aurait donc une finalité politique claire : la fabrication de sujets (au sens de l’assujettissement) dociles et somme toute aisément manipulables.


L’expérience des grands conflits mondiaux l’a parfaitement démontré, ce qui constitue la force d’une société, ce n’est pas tant le niveau d’instruction formelle de ses membres (même si cela peut être important), mais plutôt la capacité des femmes et des hommes à émettre par eux-mêmes un jugement « éclairé », à se révolter, c’est somme toute la capacité des êtres humains à Etre Humains. L’abolition du jugement, la soumission aveugle peut se retrouver chez des gens diplômés et mener à ce qu’Hannah Arendt a pu nommer la « banalité du mal » (ARENDT, 1991).


Mettre « l’humanité dans l’homme » pour faire reculer « la banalité du mal »


Cela, Célestin Freinet et ses compagnons l’avaient parfaitement compris : l’école devait changer, révolutionner son fonctionnement et ses finalités, elle ne devait plus servir à fabriquer des sujets de la République mais devait devenir un outil au service de l’émancipation de citoyens, elle devait permettre pour reprendre l’expression de Philippe Meirieu de « construire l’humanité dans l’homme »  (MEIRIEU, 2007).


Il fallait donc passer d’une école niant la personne humaine dans sa singularité, dans ses désirs à une école la prenant en compte.
Ajoutons tout de suite que ce retournement, cette « révolution copernicienne » ne saurait être l’affaire de l’école seule. Elle doit être l’affaire d’une véritable éducation populaire ! Il est à ce titre heureux que la pédagogie Freinet ne soit pas limitée (j’allais dire bornée…dans tous les sens du terme…) au seul champ scolaire et que vive par exemple au sein de l’ICEM un secteur « pédagogie sociale ».


Bref, la question du désir doit dès lors se poser en éducation. Considérer que l’élève est un enfant et que l’enfant est une personne (au sens décrit par Sylvain Connac (CONNAC, 2012)), c’est accepter, intégrer que l’élève, l’enfant, la personne vive de désirs.


S’appuyer sur le désir pour s’en extraire


C’est alors mettre en œuvre une double dynamique : d’une part permettre l’expression du désir en le reconnaissant comme potentiel d’accroissement de sa « puissance de vie » ; mais d’autre part il s’agit aussi de structurer, canaliser, accompagner ce désir pour ne pas le laisser devenir pulsion.
Il s’agit donc d’apprendre à l’identifier pour mieux y surseoir, il s’agit de travailler les conditions individuelles et collectives de sa réalisation, il s’agit de s’appuyer dessus pour mieux s’en extraire, pour augmenter le champ des possibles et refuser l’enfermement et le déterminisme.


De quoi le désir ne doit-il pas être le nom ?


La pédagogie Freinet et peut-être davantage encore la pédagogie Institutionnelle vont donc travailler ce désir. Là est leur force, là réside leur intérêt et finalement leur aspect éminemment politique. Car le désir ne doit pas être la pulsion, le gavage du toujours plus, du toujours plus vite. Le désir ne doit pas être outil au service d’une société de la marchandisation. Le désir ne doit pas être le ressort de l’individualisme érigé en horizon éducatif du « tout, tout de suite, pour moi tout seul ».


Le désir, s’il est un point de départ, ne saurait être un point d’arrivée. S’il est un élément à considérer à faire émerger, à travailler, il ne saurait constituer l’ultime boussole du pédagogue.


Nous, éducateurs, avons donc à travailler ce désir et pour cela la pédagogie Freinet, comme la pédagogie Institutionnelle, nous offrent de nombreuses techniques.


Fais de ton désir un projet et de ton projet une réalité…


Tout d’abord, le traitement du désir doit être socialisé. Désirer n’est pas obtenir, la réalisation du désir se voit encadrer, dans nos pédagogies, par l’existence de règles et de Lois communes assurant l’existence et le fonctionnement de la communauté constituée. Un projet, pour exister, doit être présenté en conseil de coopérative. Cette institution, cet espace de parole, se voit dès lors attribuer un double rôle. Le conseil permet d’une part l’émergence du désir, il est un espace du possible, de l’expression. Mais il est aussi un espace contraignant, il est un espace de construction, les conditions de réalisation des projets sont débattues et finalement définies collectivement, le désir individuel initial pouvant alors devenir projet collectif.


Le traitement du désir doit aussi être « dépulsionnalisé ». Les conditions de sa réalisation nécessitent mise à distance et exigence. Mise à distance d’abord : il faut attendre le conseil de coopérative pour en parler par exemple… Exigence aussi, dans a réalisation par exemple : un planning peut-être établi auquel il faudra tacher de se conformer, s’il s’agit d’une production, celle-ci devra être soignée et aboutie…


Le traitement du désir peut être finalisé. D’une part, si un enfant s’engage dans un projet, il est entendu qu’il doit le mener à son terme, en bénéficiant de toute l’aide qui lui sera alors nécessaire. D’autre part, l’objet du désir peut être destiné à affichage, à envoi, à exposition, renvoyant alors à l’idée d’une pédagogie de la dédicace comme décrite par Jean Vial et finalement à l’inscription des enfants dans un maillage social. Le désir peut alors constituer un moteur pour devenir une personne.


Dès lors, travailler le désir c’est permettre de s’inscrire dans une culture commune, c’est aussi permettre la construction d’une histoire personnelle. A travers donc de sa reconnaissance, sa socialisation, sa mise à distance, sa finalisation exigeante, le désir peut devenir un outil au service d’une pédagogie émancipatrice.


Reconnaitre le désir et s’y arrêter, ce serait prendre le risque de promouvoir l’enfant consommateur. Travailler ce désir dans le sens que nous avons très succinctement et à grands traits, décrits, c’est tendre vers l’émergence de l’enfant citoyen. C’est en définitive passer du sujet à l’auteur.


Cédric Forcadel, GD 76.


Bibliographie

ARENDT, H. (1991). Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Paris: Folio.
CONNAC, S. (2012). La personnalisation des apprentissages:agir face à l'hétérogénéité, à l'école et au collège. Paris: ESF éditeur.
MEIRIEU, P. (2007). Pédagogie, le devoir de résister. Paris: ESF éditeur.
VINCENT, G. (1994). L'éducation prisonnière de la forme scolaire. Lyon: Presses Universitaires de Lyon.


C'est un article prévu dans

Et ce sera dans le Nouvel Éducateur de décembre.