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Edito Créations 84 "Objets transformés"

Novembre 1998

 

 

CréAtions 84 - Objets transformés - publié en novembre 1998 -

Edito - Hervé Nuňez

Avant le dessin

Un objet, c’est "ce" sur quoi mon investissement se porte.

Mais « ce » n’est pas forcément palpable comme "verre" ou "brosse à dents" bien que ces objets là aient pris une telle importance que l’on parle pour le XXe siècle de "société de consommation d’objets".

Et si l’histoire de l’art doit avoir une qualité autre que culturelle dans la formation des enfants au monde qui les fonde, on peut dire qu’elle est déjà un bon terrain pour prendre conscience de la nature de tous ces objets : ainsi la peinture et la sculpture ont tour à tour donné des formes à des objets dits « spirituels » comme Dieu, la laideur ou la vitesse ; pour se hisser à l’égal des dieux, elle sont imité les formes des objets dits "matériels", les objets de la nature. Se faisant, elles se sont employées à inventer des stratagèmes pour "cacher" leurs propres objets, tous les vecteurs de leur langage comme les supports (le mur, la toile, l’écran, etc.), ou les médiums (la pierre, le métal, le pigment, les sels minéraux, l’enchaînement des images, etc.).

C’est à partir de Michel-Ange et de son "non-finito", que les artistes modernes ont commencé à comprendre toute la valeur du message de Platon sur la vanité de "l’imitation" comparable au "misérable miracle" que décrit Michaux à propos de la drogue. C’est vrai que l’imitation elle aussi nous enivre, nous transporte et nous leurre avec ses fantômes fascinants.

Mais beaucoup de gens semblent trouver leur contentement devant l’évidence des photos ou de la télévision. Même la Justice ne recule plus devant l’utilisation de ces "preuves" qu’elle considérait autrefois comme de la "tromperie".

Les systèmes qui produisaient l’illusion du "vrai" sont en train d’arriver à maturité avec l’avènement des mondes dits "virtuels", de l’hologramme et encore plus, sous caution de la science, avec les "clones" qui font de la copie le comble de l’imitation (celle-ci pouvait encore dans le pastiche se larguer d’être "appropriation").

Pour nous sauver de tous ces faux, nous devons penser qu’utiliser des objets réels à la place des artifices n’enlève rien à l’art. Au contraire, cela lui redonne sa place dans l’entreprise de connaissance du monde !

Et quand Annie Duparfait dit "je récupère tout", qu’Annie Crocherie "cueille" ou "collecte", que Fanny Milledrogue "glane", toutes ont intégré le fait que pour faire œuvre, il n’est pas obligatoire de créer des doublures.
Il faut que les enfants puissent dire : "mon art n’est plus dans le "bien faire" mais dans le "bien choisir" ou le "bien organiser"".

Car pour aller vers une école plus populaire, il faut que la création ne prenne pas pour pré-requis la maîtrise de la "réalisation", ou de la "technique" qui sont autant de repères culturels. Nous, pédagogues Freinet, devons affirmer qu’à l’exposition de l’école, l’enfant présentant une "vraie" pissotière sera au moins autant apprécié en tant que créateur que celui présentera le « dessin » de cette pissotière. Dans l’affaire, c’est "l’idée" de l’enfant que les autres doivent percevoir, là est son expression et c’est elle qui devra être prise en compte, surtout si l’enfant l’appelle "fontaine".

Et à leur tour, sous son regard artistique, tous les objets de l’école, ceux de la maison, ses camarades, son maître, etc. deviendront "puissance signifiante", libérant leur potentiel plastique ou métaphorique : la compresse hydrophile devient corps d’oiseau, les escargots deviennent des yeux, etc., les chapeaux des enfants de maternelle d’Eliane Sayou deviennent des aimants à objets…

Alors on pourra revenir au dessin.

Hervé Nuňez

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