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Maisons d'enfants: démarche pédagogique (texte intégral du livre)

Janvier 1999

 

 

►Démarche pédagogique

Texte intégral publié dans le livre Maisons d'enfants
et qui est résumé dans l'article de la revue CréAtions.

 

Nous tenterons à présent de replacer ces réalisations dans leur contexte pédagogique global. Nous prions d'avance le lecteur de bien vouloir nous pardonner la forme parfois très énumérative que nous avons dû adopter, par souci de précision, dans ce chapitre.

Toutefois, ce témoignage ne vise pas l'exhaustivité et il n'est pas non plus un traité de pédagogie. Il se veut seulement un exposé du déroulement d'activités menées sur le thème de la maison, et cela à partir de quelques exemples.

Le thème de l'habitat a ouvert un champ d'étude élargi. L'étude des maison réelles et l'exploration de l'imaginaire de la maison ont été menées parallèlement, dans le respect des programmes officiels de l'Ecole Maternelle, et en s'appuyant aussi bien sur les apports et le vécu de chacun que sur les échanges au sein de la classe. Par ailleurs, si ce thème a constitué un temps fort de l'année, il n'a pas été l'unique préoccupation de la classe et des enfants.

 

ETUDE DES MAISONS REELLES

Lors de notre première sortie dans le village, nous avons photographié tous les détails qui retenaient l'attention des enfants et soulevaient des discussions. Des photos complémentaires ont été prises pour nourrir une comparaison ultérieur. Le premier classement de ces photos nous a permis de sérier des sujets matérialisés par des panneaux (regroupés plus tard dans un album) : toits, fenêtres, portes, balcons, clôtures, maisons, types de murs, cabanons, fermes, cimetière, église, four à pain, routes, etc. Ces panneaux ont été utilisés comme documents de référence et se sont trouvés complétés peu à peu, grâce aux apports de chacun (photos, diapos, livres, outils, matériaux) et grâce aux ressources de la bibliothèque de l'école. Nos sorties en ville et dans le Trièves (villages, Château de Montmeilleur, fermes anciennes et rénovées, expositions locales sur la vie d'autrefois, etc.) nous ont permis de récolter d'autres traces qui alimentèrent ces discussions, tout en donnant lieu à des recherches et des applications didactiques variées.

Divers aspects de l'habitat ont été abordés:
- les types de construction, leurs matériaux, leurs éléments, leurs formes, leurs fonctions,
- les maisons qui se déplacent,
- les métiers du bâtiment,
- l’habitat local et l’habitat actuel,
en les comparant avec les constructions des hommes, ailleurs.

Le rôle de la verbalisation, de l'expression et de la communication a été très important, à tous les niveaux de notre démarche. Les enfants ont été amenés à se poser des questions, à organiser les informations récoltées, à les classer, à formuler des hypothèses, à les vérifier. Ils ont fait des interprétations, confronté leurs avis. Ils ont laissé des traces de ces échanges: légendes de documents, textes collectifs et individuels, dessins pour l'album collectif ou pour le journal de la classe.

TOITS ET CHARPENTES

L'élément déclencheur de notre étude sur les toits a été la présence, dans le village, d'un chantier de toiture. Pour rendre compte, dans le journal de la classe, de ce qu'ils avaient retenu, les enfants ont été amenés à discuter et à échanger autour de certaines questions:

- la pose des tuiles écailles,
- les différents types de couverture,
- les éléments de la toiture,
- les fonctions du toit et de ses différentes parties (passée de toit, croupe, charpente, etc.),
- les formes et les éléments décoratifs (silhouettes, couleurs, motifs, etc.),
- les outils du charpentier et du couvreur, les engins.

Au cours de leurs explications, les enfants ont découvert des relations métaphoriques, comme: "Le toit, c'est le chapeau ou le parapluie de la maison", "Les tuiles sont les écailles de la maison".

Des expériences et applications diverses complétèrent cette première approche descriptive:
- reproduire graphiquement des tuiles,
- coller des tuiles écailles de papier en quinconce, trier des tuiles selon leur forme, des toitures selon leur nature,
- ranger des images séquentielles relatives aux étapes de la construction d'un toit (à partir de photos confiées par des parents),
- associer des images, par exemple les maisons et leur silhouette,
- décrire, expliquer, commenter des photos, des images de toits, des outils, des matériaux,
- analyser une tuile d'un point de vue fonctionnel (faitière, génoise, tuile simple, etc.).

Mais si l'analyse de ces détails a permis aux enfants d'affiner leur perception du réel, elle leur a permis également de développer leur vision esthétique.
Chaque étape ou presque a été l'occasion:

- d'inventer des types de couvertures et de tuiles, des charpentes décorées (rythmes, motifs, etc. Par exemple, voir p. 16 et 17).
- de reproduire les idées des camarades, après un échange au cours duquel chacun présentait aux autres ses trouvailles graphiques.

- de transformer une vraie tuile en tableau,
- de décorer des tuiles miniatures de papier, puis de les coller en quinconce, pour édifier ensemble une maison collective à la toiture bariolée (voir p. 12).

 

En feuilletant des livres sur l'architecture dans le monde, les enfants ont été conduits à porter un autre type de regard sur les maisons, en cherchant spontanément des correspondances: ainsi, la maison chinoise devint " la maison sapin" et la maison africaine "la maison-forêt" ou "la maison-fourmi"... le caractère insolite et inconnu des toits photographiés et leur dé-réalisation par l'utilisation du noir et du blanc * ont amené les enfants a cultiver cette forme de lecture particulière.


* Nous avons dû, pour ce livre, remplacer les documents photographiques par des dessins de Jérôme Guerry.

 

"Lire des images", c'est aussi, comme le définit Bruno Duborgel, "communiquer avec leur proposition de beauté, de jeu, de plaisir visuel, d'analogies, de connotations, d'évasions, de distanciation du réel, de significations, d'onirisme, de détours, de symboles, de points de vue obliques sur le quotidien, la réalité, la vue, d'impressions, d'expressions, de suggestions, d'interrogations"* (voir p.14, 15).

* Bruno Duborgel, Imaginaire et pédagogie, Privat, Toulouse, 1992, p.68.

 

FENETRES, VITRAUX, RIDEAUX
L'auvent, c'est "la visière" de la maison! Pour les enfants, la fenêtre permet avant tout de voir ce qui se passe à l'extérieur. Si, de surcroît, on est derrière un rideau, le spectacle prend encore d'autres saveurs. Dans leurs commentaires et certains de leurs dessins, la fenêtre apparait d'emblée comme un "oeil ouvert" sur le monde. L'accent mis sur l'entourage de la fenêtre vient souligner le regard de la demeure. Un travail de décoration graphique à la craie est venu ajouter de l'éclat à cette parure toute anthropomorphique.
La présentation arbitraire de ces premiers essais sur un fond doré a séduit l'ensemble de la classe. Nous venions d'autre part d'assister à un spectacle de marionnettes où il était question d'une princesse détenue prisonnière par une sorcière, et qui guettait son prince par la fenêtre du château; les enfants ont spontanément émis le souhait de créer le château de la princesse avec le même papier doré et de belles fenêtres.
Ainsi sont nées les maisons dorées (voir p. 33). Ce souci de relier une activité à l'autre, de saisir certaines occasions et de s'inventer de nouvelles règles fait partie de la démarche de l'artiste. Par ce biais, l'activité de graphisme a atteint une finalité plus concrète. La fenêtre maquillée a trouvé, grâce à ces maisons dorées, le visage qui lui manquait. Certaines maisons ont aussi des joues, un ventre, des pieds.

 

D'autre part, nous avons entamé une exploration sensorielle des matériaux et une réflexion sur leur rapport avec la vision et la lumière: matériaux opaques et transparents; ceux qui laissent passer la lumière mais à travers lesquels on ne distingue aucune forme, les matériaux brillants et les matériaux mats. Cette étude comparative a trouvé, entre autres, un prolongement dans la fabrication de vitraux de papier, car parmi nos traces figurait celle du vitrail de l'église du village.

Nos ressources documentaires ont permis aux enfants de décrire la structure des fenêtres, leur forme, leurs matériaux, leurs auxiliaires (volets et rideaux, etc.) et d'enrichir leurs représentations sur les fonctions de la fenêtre (aération, apport de lumière et de couleur, accès pour l'approvisionnement en fourrage, etc.); et cela plus particulièrement à partir d'images:
- des fenêtres du village,
- du petit vitrail de l'église,
- des vitraux contemporains de la gare S.N.C.F. de Grenoble.
- des encadrements en pierre de taille provenant des reste du château brûlé pendant la Révolution française, et intégrés aux habitations du village,
- des vitraux de cathédrales,
- des fenêtres dentelées du Palais de l'Alhambra, en Espagne,
- des vitraux de pierre blanche du Yémen,
- des fenêtres industrielles vendues par catalogue.

Ce foisonnement de formes a déclenché de nouvelles recherches graphiques. Les enfants ont inventé leurs propres fenêtres au crayon pour les présenter à la classe. Cette démarche, appliquée à d'autres domaines (rideaux: voir p.26, portails: voir P. 66, etc.), fait que les enfants intègrent, par l'enrichissement mutuel qu'elle provoque, une diversité croissante et sans cesse renouvelée de combinaisons graphiques. Elle offre également la possibilité de s'imprégner de notions comme les algorithmes, dans un contexte affectif et réel.       

La variété de nos ressources documentaires sur les vitraux nous a entraînés vers d'autres modes d'illustration où les enfants ont réinvesti des savoirs développés dans l'expérience quotidienne de la peinture. Ils ont cherché des équivalents plastiques pour rendre compte de la multiplicité des vitraux et de chercher les outils, les matériaux et techniques qui leur semblaient convenir; voici des solutions retenues par la classe:

Vitraux du Yémen
- drawing gum et encre (voir p. 24, 25).
Vitraux des cathédrales
- collage espacé de morceaux de peier coloré et brillant,
sur fond noir (voir p.23),
- drawing gum et encre d'une seule couleur, puis
décoration de la trace blanche résultante (voir p.24, 25).
Vitraux de la gare de Grenoble
- lignes croisées à la craie grasse et encre (VOIR P. 28, 29).

Tout en cherchant l'"effet vitrail", chacun a choisi son format, les techniques qu'il souhaitait mettre en oeuvre et son sujet. Ainsi des décors floraux côtoient un roi et son épée, des collages "abstraits" et un camion sous la neige!

BARRIERES ET FACADES

La barrière, c'est l'image de l'enceinte. Ronde, elle garantit la quiétude intérieure, elle embrasse et protège. Carrée, rectiligne, elle se fait défensive et "repousse les méchants comme les épées des rois" (voir Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Ed. Dunod, 1992). Bien que représentées de façon linéaire, les barrières des enfants nous rappellent ces fonctions symboliques de l'enceinte. Certaines, aux allures héroïques, pointent vers l'ennemi leurs pointes acérées; d'autres, par leurs motifs et leurs dorures, rappellent la grande pompe des palais. Parmi elles, une frêle clôture dessine la douce courbure d'une bulle. Pour nous faire goûter à cette diversité, les enfants cherchent des matériaux susceptibles de traduire leurs créations graphiques et capables de rendre compte, par leur agencement et leur association, soit de la sobriété de la forme dessinée au départ, soit au contraire de sa complexité géométrique. Cette transposition d'un mode d'expression à un autre, en passant du registre linéaire de dessin au registre tactile du collage, permet en particulier une confrontation fructueuse avec les matériaux (découverte, manipulation, combinaison, sélection, etc. (voir p. 68, 69).

Une autre occasion s'est présentée, après avoir lu le livre bien connu de l'Ecole Maternelle Petit Bleu et Petit Jaune ou les aventures colorées de deux tâches de peinture (L. Léoni, Ed. L'Ecole des loisirs). Les enfants ont décidé de choisir et d'isoler une couleur pour peindre une maison. Ils ont ensuite cherché à associer des matériaux de couleurs proches afin de compléter la façade peinte. Les enfants se laissèrent parfois guider par le matériau lui-même, par exemple quand les motifs carrés et piquetés d'un tissu se transformaient en ardoises de toiture, ou encore en utilisant du carton ondulé pour représenter la tôle, etc. Evidemment, certains ont, en chemin, oublié quelque peu la consigne de la couleur de base. Mais la règle ne doit-elle pas s'effacer en fin de compte au profit de contraintes plus personnelles que l'enfant apprend peu à peu à justifier? (voir p. 36, 37, 39, 95).

 

COIN QUE J'AIME, BOITE A SECRET, COIN QUI FAIT PEUR

Dans un autre livre intitulé "Puni Cagibi" (A. Serre et GK. Dubois, Ed. Ecole des loisirs), un petit garçon se voit puni par ses parents et enfermé dans un débarras abritant tout un bric-à-brac d´objets au rebut. A l'insu de ses parents, c´est finalement avec délice qu’il se réfugie là pour s'inventer des vies multiples. Nous avons demandé aux enfants s´ils avaient, quant à eux, un lieu de prédilection semblable. Pour la plupart, ce lieu élu est clos, soustrait aux regards et à la mesure de leur intimité profonde : placard, baignoire, débarras, toilettes, table, lit, canapé, couverture, bras de maman, etc. (voir p. 70 et suivantes).

Ces refuges, plus ou moins apparentés au nid, à la coquille, au berceau, au giron maternel, traduisent bien ce besoin fondamental de protection *. Le calme, la profondeur, la chaleur et le secret y dominent. On s´y blottit, on s´y recroqueville, parfois pour trouver une consolation : mais aussi et surtout pour goûter au repos de l'être qui peut ainsi se consacrer tout entier au jeu et à la rêverie.

* cf. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, José Corti, Paris,m 1992, p.123, 124 : " (...) l'onirisme de la maison a besoin d'une petite maison dans la grande pour que nous retrouvions les sécurités premières de la vie sans problèmes."

D'autres liens avec le monde peuvent alors se nouer ou se renouer: les trous du canapé d'où «je peux voir des choses», le compagnon de cache-cache, la souris tant attendue, la présence du magicien ou de la mère, la porte que l'on peut à tout moment rouvrir, les jouets sont autant de médiateurs symboliques qui garantissent la possibilité de conserver, dans cet isolement tout choisi, le droit de libre participation au monde. Les enfants ont dessiné leur chambre.

 

Dans ces représentations de l'espace, certains ont abandonné toute prétention au réalisme intellectuel naissant. L´accent est alors porté sur les objets (le beau tapis, l'oreiller ou la couverture douillette, la boite à jouets) qui les touchent au plus profond d´eux–mêmes et les font rêver; tandis que les autres objets réellement présents et constitutifs de leur environnement sont relégués dans l'ombre. Dans ces croquis de l'intimité retrouvée se profile non plus seulement la rêverie du constructeur ni celle du décorateur, mais bien celle du jeune «rêveur de demeure», qui garde, dans le cœur du foyer, la clef de ses trésors intérieurs. Comme le souligne Gaston Bachelard, «(…) on peut donner comme loi générale le fait que tout enfant qui s´enferme désire la vie imaginaire : les rêves, semblent-ils, sont d´autant plus grands que le rêveur se tient dans un plus petit réduit.» (La Terre ou les rêveries du repos, Ed. Jose Corti, Paris, 1992, p. 110 et 11.)

 

Cet espace rêve s'est matérialisé sous la forme d´une «boite à secret»: chaque enfant a récolté ses trésors dans la salle de classe, la cour, le jardin, les champs ou chez lui. Cette sollicitation de notre part s´appuyait bien sûr sur ce penchant naturel qu´il a de s'approprier, d'amasser des petits objets de toutes sortes, petites miettes d'univers, dans son casier de rangement, pour les emporter ensuite chez lui, c’est-à-dire dans un lieu plus intime que l’école.

Une fois leur collection complétée, nous leur avons proposé d'abriter ce trésor dans une boite, de façon à ce qu'ils aient du plaisir à en compulser le contenu et, pourquoi pas, à nous la montrer, s'ils le souhaitaient. L'idée d'une mise en scène et d'un cache cache au niveau de l'objet les séduit. Ils ont aussitôt proposé de peindre leur boite, d'en aménager l'intérieur, avant de lui confier tous les trésors. Parfois, ils ajoutèrent des accessoires (un petit lit de carton, un coussin, un biberon, etc.). Certains se sont entraidés pour cela et l'amitié a joué son rôle. «Les objets de rebut font rêver, peut-être parce qu'ils sont les fragments (des rébus) d'ensembles organisés que l'imagination cherche à reconstituer(D. Lagoutte, Enseigner les arts plastiques, Ed. Hachette, 1994).

 

 

Les enfants ont pris du plaisir à présenter leur boite à la classe : «les choses toutes douces que j´aime toucher», «mon lit au milieu des fleurs et des feuilles », « la forêt que j´aime et le bûcheron », « ma clef », etc. Ces petits autoportraits ont déclenché un jeu de devinettes où les enfants cherchaient spontanément à reconnaître «l'habitant» de chaque boite! (voir p.83, 84, 85).

Les images de l'angoisse et de la peur, rançon de la liberté qui «germine» en ces lieux, révèlent une autre face du monde imaginaire de la maison (Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l´imaginaire, Ed. Dunod, 1992, en particulier : p. 76, 77, et de la page 97 à la page 100; se reporter également à l'index des thèmes symboliques, archétypaux et mythiques, p. 523.). Ces images sont le royaume des ombres énigmatiques et terrifiantes, des monstres gémissants, des bêtes grouillantes et répugnantes dont les yeux brillent dans le noir. Elles hantent la sombre cave, les trous béants et menaçants de l'escalier ou de la cheminée cassée, et même certains recoins de la chambre pourtant si paisible. Le noir est apparu comme: ce qui provoque une peur intense et insupportable, la nuit et la cécité qui l'accompagne, le froid, l'ombre trompeuse, l'animalité repoussante, l'impur et l'insaisissable, le gouffre insondable, etc. Saisi dans cet ensemble phénoménologique et investi de ces significations affectives profondes, le noir a guidé les enfants dans leur exploration plastique pour représenter le coin qui fait peur.
Ils cherchèrent les outils susceptibles de produire du noir (craie, fusain, crayon, encre, etc.) et croquèrent leur sujet selon des modes d´expression suffisamment variés pour entraîner une mise en commun fructueuse. Les enfants ont présenté leurs dessins et tentèrent de dégager, dans chaque réalisation, les éléments plastiques traduisant le caractère effrayant de ces demeures ou recoins: pas d'aplat, couleurs sombres et froides, fonds tourmentés, contours imprécis, lignes troublées et mouvantes, etc. Ces premiers constats ont été utilisés par chacun pour poursuivre ce travail et s'appliquèrent aussi en peinture. (voir p.76 et suivantes)


PEINDRE A PARTIR DE PAUL KLEE

Par ailleurs, nous avions sélectionné quelques reproductions de tableaux de ce peintre, parce qu'ils étaient reliés d'une part au thème de l'habitat, et d'autre part parce qu'ils nous semblaient offrir des pistes de recherche intéressantes.
Parmi eux :
- Ville d’eau – 1927 ;
- Ad Parnassum- 1932,
- Milbersthofen – 1913,
- Coupoles rouges et blanches – 1914,
- Quartiers de villas florentines – 1926.
Les enfants ont
d'abord exprimé ce qu'ils percevaient et ressentaient devant ces œuvres :"C'est la nuit", "C'est beau", "On dirait des maisons de briques", " On dirait des maisons dans le brouillard", "les maisons sont toutes entassées", etc. 
Les enfants ont ensuite essayé de déterminer comment ces tableaux avaient été réalisés et ils ont, pour chacun d'eux, isolé une technique. 
Ainsi, pour le tableau Ad Parnassum, à la place de touches juxtaposées et rapportées sur un fond pastel de même tonalité, les enfants ont pensé que le peintre avait gratté, au moyen d'une spatule, le fond fraîchement peint, provoquant ainsi des graduations de tonalités. Toutefois, le but n'étant pas de copier les œuvres du peintre, leur examen visait plutôt l'élargissement du champ des expérimentations plastiques par la découverte d'autres modèles d'action que ceux employés habituellement par les enfants ; il s'agissait donc d'enrichir la production personnelle d'une manière ni servile, ni systématique. Chacun a agi et fait ses choix selon sa propre personnalité et son propre parcours expérimental. Certains sont restés attachés aux techniques imaginées lors de l'observation de ces œuvres. D'autres les ont intériorisées pour mieux s´en affranchir. (voir p.40 et suivantes).

 

MAISONS IMAGINAIRES

De fait, la construction des maquettes a constitué l'aboutissement de notre exploration sur le thème des maisons. Nous avions proposé aux enfants de revenir à ce projet initial de bâtir quelque chose. L'idée de bâtir sa propre maison imaginaire s'est imposée à tous. Les enfants, aidés de leurs parents, ont apporté à l'école toutes sortes d'emballages et d'objets inutilisés. Ils ont commencé par "faire leurs courses" sous le préau, lieu de stockage, rapportant dans la salle de classe boites, bouteilles, tuyaux, bobines, couvercles, cageots, cartons, poêle à frire, chutes de bois, etc.

Sur le socle de bois qui leur était proposé, ils entreprirent de construire un édifice qui se voulait stable. Cette étape s'est appuyée sur une confrontation directe avec les objets et les matériaux. Au début, quelques enfants, hésitants, ne faisaient que déposer en désordre leurs matériaux, tandis que les autres tendaient déjà de créer des volumes cohérents. Chacun a évolué selon son propre rythme, selon ses choix personnels et selon les contraintes particulières qu'il rencontrait et auxquelles il se heurtait parfois. Pour trouver le "volume définitif", le nombre de séances a varié de un à trois environ. Sans projet plus explicite que celui de bâtir, les enfants sont entrés littéralement en dialogue avec les objets: les cavités d'un rouleau ou d'un pot sont très vite devenues des niches et des fenêtres, le tuyau de plastique une cheminée, la bouteille une colonne, le chapeau de lampe une toiture.
La forme et la taille semblaient guider ces premiers choix. Dans certains cas, l'objet ne fut pas totalement détourné de son usage réel pour se voir intégré à la construction. Le robinet de plomb devint celui d'une fontaine; parfois cet objet venait même en quelque sorte corriger l'image du réel: la toue de brouette devint une roue à eau perchée sur le toit d'une fonderie d'or (et pour cause, la vraie fonderie de Saint-Maurice-en-Trièves a perdu une partie  de la sienne). Au-delà de l'objet, c´est le rêve entretenu par l'objet qui devient la matière première de cette opération d'association et de transformation. Ici, le constructeur se soumet le plus souvent au rêveur, comme si les murs se construisaient autour des niches, des recoins, des cours intérieures, des fenêtres, des portes ; comme si pour élever, il fallait tout en même temps creuser (voir Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l´imaginaire, Ed. Dunod, 1992, p. 280: "Donc, de la cave au grenier, ce sont toujours les schèmes de la descente, du creusement, de l'involution et les archétypes de l'intimité qui dominent les images de la maison. La maison, pour la rêverie n'est jamais muraille, façade ou pinacle, encore moins building, elle est demeure, ce n'est que pour l'esthétique architecturale qu'elle se pervertit en alignements de murs et tour de Babel.").

Les enfants ont tenté des combinaisons, fait des choix, tout en se heurtant aux problèmes liés à l´ajustement des matériaux entre eux et à la recherche de leur stabilité.
• Fixer
un morceau de bois perpendiculairement au support vertical en polystyrène,
- maintenir verticalement des tuyaux (cheminée, escalier) ou une poêle à frire (auvent),
- faire tenir des bouteilles à l'envers,l'une contre l'autre et en appui sur leur goulot(porte), ou encore des rouleaux en pyramide (toit), etc.

Les recherches de solutions se multiplièrent. Armés de ruban adhésif, de colle et de l'agrafeuse, nous avons tenté ensemble de fixer tous ces assemblages de manière à obtenir une base suffisamment solide pour permettre le recouvrement des volumes par des bandes de draps plâtrés. Au cours de cette phase de plâtrage, nous avons du, contre nos attentes, intervenir pour des raisons purement techniques. Le durcissement rapide du plâtre, incompatible avec les opérations de recouvrement, nécessitait de l'adresse et des délais très courts.

Les phases suivantes se sont déroulées progressivement, de façon structurée et délibérée. Les enfants avaient unanimement décidé de peindre et de décorer leur maison ( d'ou l'usage du plâtre). Nous avons reproduit sur une grande feuille les façades de la maison de chaque enfant (silhouettes, angles, ouvertures) de manière à ce qu'il puisse commencer à la décorer sur papier et se faire une idée préalable du chantier qui l'attendait. Les enfants ont réinvesti leur travail graphique présenté plus haut, non sans oublier d'ajouter de la fumée à la cheminée, le soleil, etc.

Cette prise de recul a été complétée par une observation des couleurs employées dans l'architecture. Là aussi, nous souhaitions que les enfants affinent leur regard, opèrent des choix et que leur action soit le fruit d'une réflexion. Pour nourrir celle-ci, nous avions affiché une multitude de photos de constructions d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui (en couleurs et en noir et blanc). Une règle commune a surgi des remarques des enfants: deux ou trois couleurs dominantes (une couleur par façade, une couleur plus clair pour le bord des ouvertures, et parfois une couleur supplémentaires pour décorer les façades). Au moment de choisir les teintes de leur maison, les enfants ont adopté cette règles ainsi que les teintes de ces constructions. Dès lors, le travail à la peinture a débuté: peinture des façades, du toit, des ouvertures, peinture des décors ou d'éléments particuliers comme une toile d'araignée, des échelles, des colombages, un tapis sur le rebord de la fenêtre, etc.

Cette décoration des façades (et des toitures) a été exécutée sur la base du projet décoratif élaboré préalablement par chaque enfant. Les enfants ont du adapter leurs motifs en fonction des outils disponibles et de la taille de la surface à peindre. Mais dans l'ensemble, ils sont restés fidèles au projet initial. Ils ont été également tentés de marier les procédés décoratifs (dessin, collage) pour rendre compte, tout en conservant les deux ou trois couleurs dominantes, de la multiplicité des couleurs et des motifs présents dans leur dessin.

 

Le choix du type de couverture a été, de la même façon, le fruit d'un échange d'idées sur les matériaux possibles et disponibles à l'école: foin,  paille, bois, carton ondulé, coquillages, aluminium, nouilles,  cabochons, paillettes, pommes de pin, feuilles, mousse,  paillasson,  papier, graines, corde et ficelle, etc. De cette manière, certains enfants qui, au début, manquaient quelque peu d'inspiration, ont pu puiser des idées dans la liste établie collectivement. Certains ont poussé le raffinement jusqu'à trouver des matériaux proches des teintes de base de leur maison. Pour ces phases de finition, notre intervention se bornait à faire trouver des réponses aux problèmes d'ordre technique très différents qu'ils rencontraient:

- comment coller des coquillages sur un plan ,
- comment fixer du foin en tas sur une surface étroite,
- comment découper des tuiles écailles en aluminium ou en cuir ,
- comment peindre des motifs sur un plan vertical en évitant de faire couler la peinture d'une façon indésirable,
- comment coller des matériaux sur un plan vertical quand la colle coule d'emblée,
- comment maintenir une corde entortillée en spirale,
- comment fabriquer et ranger des fagots de bois pour qu'ils soient fixes,
- comment fixer un balcon sur un plan horizontal.

Lorsqu'un enfant, confronté à ce genre de question, ne trouvait pas de solution appropriée, nous faisons appel au groupe qui, en général, venait volontiers et efficacement à sa rescousse. Les autres enfants venaient aussi parfois apporter leur aide concrète, par exemple pour achever la pose fastidieuse de tuiles écailles sur la maquette d'un enfant épuisé. Parfois, lorsque le geste de l'adulte s'imposait, nous sommes intervenus, mais toujours sous les directives de l'enfant.

Peu à peu, les enfants se sont pris au jeu de raconter à la classe, tout en «œuvrant», l´histoire de leur château, de leur église, de leur maison ou de leur fonderie d´or revue et corrigée. Par exemple, l'un d'eux nous a expliqué le réseau complexe des escaliers qui permettait de relier entre elles toutes les parties de son château (escalier de profil sur la tour, barreaux dorés pour escalader la voûte du toit, petites échelles de bois partant du pied de la maison). Un autre avait garni le fenil de sa ferme, les autres avaient prévu Soit une fontaine aux reflets scintillants, soit une boite aux lettres ou encore des barreaux de papier pour repousser les méchants. Si l´histoire de ces maisons n'a pas toujours complètement franchi le seuil de la parole, et si celles-ci demeurent enveloppées de mystère, elles n´en sont pas pour autant privées de sens et de vie. La concentration, la patience et l'engouement dont ont fait preuve ces petits bâtisseurs durant deux mois et demi le garantissent; la présence et l´aspect de ces maisons aussi : affublées d´un chapeau, d'une chevelure bleutée, rouge ou verte, souriantes ou encore fardées comme le sont les habitations du Yémen peintes à l'image des femmes, ces maisons nous parlent. Par le jeu de l'imagination créatrice qui les a fait naître et par leur forme finale, elles revendiquent des racines profondément humaines. (voir p.48 et suivantes)

La perspective d´exposer a joué un rôle très dynamisant pour la classe. Le désir de faire partager ces réalisations a prolongé cette dialectique entre expression et communication que l'Ecole Maternelle se doit de développer au quotidien. Les enfants ont trouvé là un élan formidable pour mener ces travaux à leur terme; et parce ce travail revêtait aussi une dimension collective très marquée, il était important de s'adresser à des personnes extérieures à l'école.  Les enfants ont donc fait visiter l'exposition à leur famille, à l'école élémentaire de Monestier-du-Percy et aux habitants du Trièves. Pour cette exposition, la contribution des mairies et des parents d'élèves a été décisive (locaux, installation, permanences, transports, financement du projet en lui-même tout au long de l'année). L´objectif que l´on s´est fixé a finalement été largement dépassé. Depuis 1997, l'exposition circule dans la ville de Grenoble. Elle donne lieu à des échanges de courrier avec des écoles grenobloises et trouve aujourd'hui, dans ce livre, un nouvel aboutissement.

Pour en savoir plus sur le livre

 
                                            

Début de l'article illustré
"Maisons d'enfants"
pour la revue CréAtions