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Les "trois minutes" par Catherine Mazurie

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Les « trois minutes »

témoignage de pratique de Catherine Mazurie


« J'enseigne le français dans une classe de 3° d'une vingtaine d'élèves, dont j'ai eu une partie les années précédentes (neuf filles en latin depuis trois ans). Le collège est situé dans une ZEP de la banlieue bordelaise.


I Principes des Trois Minutes

Chaque élève, quand il le veut, présente un sujet d'argumentation de son choix à la classe. La présentation ne doit pas durer plus de trois minutes. Des critères d'évaluation sont cherchés avec la classe, et deux observateurs de la prestation doivent faire le bilan à la fin, en reprenant ces critères. Cette évaluation et la discussion qu'elle entraîne amène la classe à ajouter peu à peu d'autres critères, de plus en plus élaborés. La grille est donc évolutive, et chaque année différente.

Ce travail n'est pas noté.


II Déroulement

- Présentation par l'élève (ou les élèves : il y a eu des présentations à deux) : trois minutes

- Questions de la classe (pour faire préciser, expliquer, et amener l'autre à clarifier) : cinq minutes

- Evaluation : cinq à dix minutes


III Pourquoi faire cela ?

C'est un travail-gigogne : il permet à la fois de travailler une compétence (l'argu-mentation), et de consolider le groupe-classe.

Les élèves de 3° ont du mal à passer au stade de l'argumentation, et confondent longtemps les textes informatifs et les textes argumentatifs. Ce processus des « Trois Minutes » s'inscrit sur toute une année : la classe prend peu à peu conscience des éléments nécessaires pour construire une argumentation. Ces interventions, parce qu'elles sont systématiques et répétées un grand nombre de fois, aident à la construction d'une parole maîtrisée, à la fois pour ceux qui présentent les « Trois Minutes » et pour les observateurs qui font les évaluations. Le travail d'évaluation est très important : les observateurs sont obligés d'appuyer leurs remarques par des arguments, et prennent ainsi l'habitude de les repérer, puis d'en élaborer eux-mêmes : « Je pense que son sujet est argumenté, parce que j'ai entendu trois « preuves », et je les cite. »

Un autre intérêt de ce travail est la construction progressive, par le groupe, de la compétence. Ainsi, à la fin de cette année, la classe a pris conscience qu'un sujet argumentatif, c'est :

- un sujet qui leur tient à cour (« un sujet intéressant »)

- des idées en ordre (« ne pas mélanger les idées »)

- une démonstration cohérente (« cohérence entre le titre et le plan »)

Mais cette découverte se fait très progressivement, et avec des régressions, que l'on observe dans les interventions : il y avait encore beaucoup de sujets de type documentaires, au bout de six mois de pratique, que la classe ne repérait pas forcément.

Lorsque l'observateur vérifie l'un après l'autre toutes les conditions repérées par la classe pour que le sujet soit un sujet « argumentatif », la discussion autour des critères d'évaluation donne l'occasion d'élaborer des hypothèses et de les vérifier. Le savoir provisoire construit par la classe est remis en jeu à chaque prestation :

« Il a donné un argument, le voilà.

- Mais je crois que ce n'est pas un argument, mais un exemple.

- Qu'est-ce qu'un argument ?. »

C'est ce moment de recherche collective qui constitue le tâtonnement expérimental de la classe.

Un tel travail ne peut se faire que dans une atmosphère sereine, et en même temps, c'est ce travail même qui aide à construire cette atmosphère pacifiée. Mais pour obtenir ce résultat, il est nécessaire de mettre en place d'autres techniques qui construisent la coopération : le conseil, notamment. Au Conseil du mois de novembre, par exemple, des élèves ont demandé que les « Trois Minutes » soient notés « pour être récompensés de nos efforts ». Dans la discussion qui a suivi, j'ai donné les raisons pour lesquelles j'ai des réticences à noter (difficulté de l'exercice, difficulté de la notation de l'oral, volonté de faire de cette technique quelque chose qui ne soit pas scolaire) ; la classe, pas très bavarde au début de l'année, a cette fois commencé à parler sans laisser la parole aux ténors habituels. Les opinions se sont exprimées et les avis étaient très partagés. Voici la décision prise : « L'auteur des « Trois Minutes » choisit d'être noté ou non. L'exercice ne sera noté que lorsque ce sera réussi. » Dans la suite de l'année, aucun n'a demandé de note, et les volontaires pour les « Trois Minutes » ont été assez nombreux. La classe, rassurée d'avoir pu intégrer cet exercice inhabituel et vaguement effrayant dans ses schémas scolaires de pensée, a pu dépasser le stade de la comptabilité tatillonne (une bonne note pour un effort) pour aller vers un véritable apprentissage, gratuit et ne valant que pour lui-même.


IV La part du maître

Elle est fondamentale pour permettre aux adolescents de se « découvrir » devant leurs pairs, pas toujours tendres. Pour cela, il est nécessaire que la règle « On ne se moque pas », ne soit pas transgressée. Et l'équipe qui évalue n'a pas le droit d'employer des mots comme « bien, mal ». Chaque remarque doit être appuyée sur une preuve objective.

Le maître aide et soutient les individus qui « flanchent », par exemple les évaluateurs, qui ont souvent besoin d'être aidés pour formuler leurs remarques et les étayer par des preuves. Mais en même temps, il fait respecter les engagements : au début du mois d'octobre, Lize, qui était volontaire, n'avait rien préparé au jour dit, et croyait s'en tirer à bon compte. Elle a dû faire face à ses engagements, et improviser son intervention, ce qui a été difficile pour elle. Mais en même temps, j'ai veillé à ce qu'aucune parole blessante ne soit dite lors de l'évaluation. La classe a seulement constaté que très peu de critères étaient atteints, et lui a donné des conseils pour la fois suivante...

Enfin, l'adulte aide le tâtonnement du groupe en soulignant certaines choses qui ne sont pas vues par la classe, surtout au début..


V Bilan

A regarder de près les traces de ce travail, on peut émettre quelques réserves : tout d'abord, je n'ai pas pu maintenir une régularité aussi grande que je l'aurais souhaité, si bien que tous les élèves n'ont pas fait au moins un essai, tandis que d'autres pouvaient essayer une deuxième fois. D'autre part, si on voit clairement l'évolution positive de la classe, il reste à savoir ce que chaque individu en retire exactement, et c'est difficile à dire.

A l'oral en tout cas, l'évolution est nette : au fil des mois, j'ai remarqué qu'il n'y avait plus d'affirmation sans argument, et que les formulations étaient beaucoup plus élaborées. Et cette activité, qui leur faisait très peur au début de l'année, leur a procuré un certain plaisir au fil des semaines. La classe était attentive, et intéressée, et les sujets abordés ont donné lieu parfois à des prolongements dans des débats. »


Voilà le déroulement des sujets, avec les plans produits et les critères d'évaluation trouvés. On voit assez clairement l'évolution de la classe, qui s'attache d'abord aux difficultés physique de la présentation, puis est sensible au contenu : arguments, exemples, introduction, cohérence.



 

Date

 

 

Auteur

 

 

Sujet

 

 

Plan donné par celui qui présente

 

 

Remarques

 

 

Critères d'évaluation trouvés par la classe au cours de la discussion

 

18/9

La classe

Recherche des critères d'évaluation


Les critères sont relativement détaillés dès cette première fois, parce que j'ai eu un petit groupe d'élèves depuis trois ans, qui a déjà fait des présentations orales

Contenu :

- respect de la durée : entre 2'30 et 3'

- langage soutenu/courant

- être clair

- dire des détails, mais pas trop

- reformuler

Attitude :

- Respect de la ponctuation

- ton convaincant

- voix forte

- articuler

- regarder le public, pas le professeur

- ne pas être timide : ne pas bafouiller, ne pas s'appuyer au tableau, ne pas jouer avec des objets

septembre

Youssef

Qui est responsable des attentats du 11 septembre ?

- Premières réactions : ce sont les Américains

- Les autres responsables Pas de plan,

pas de démonstrations,

pas d'avis personnel

Spontanément, il y a un début d'organisation du raisonnement, mais peu d'arguments. Une introduction intéressante, mais que je suis la seule à remarquer

- ne pas avoir de tics

- ne pas sourire de façon crispée

- ne pas employer de phrase négative en parlant de soi

septembre

Cindy

La catastrophe de Toulouse (AZF)



- argumenter

- donner son avis

- ne pas mélanger les idées mais les ordonner

octobre

Lize

N'a pas préparé son intervention. Je l'invite à parler de la difficulté des « Trois Minutes ».

Très peu d'arguments pour expliquer son refus d'intervenir

La classe est très « aidante » ; pourtant, Lize est assez isolée dans le groupe parce qu'un peu méprisante.


octobre

Jean-Baptiste

Le Che Guevara

Aucun plan

C'est un sujet documentaire sur la vie du Che

- donner des détails sur son avis

- avoir au moins trois preuves

octobre

Julien

Le dopage

Une série d'arguments contre le dopage

Pas de plan à proprement parler, mais il a compris qu'il doit défendre une opinion


novembre

Arzu, Huriyé, Marie

Les femmes en Afghanistan

Pas de plan

C'est plus documentaire qu'argumentatif ; la conclusion dit : il faut leur venir en aide

- le titre doit poser une question

novembre

Suzanne

Quels transports urbains pour demain ?

Un plan « fleuve » : voiture, bus, deux roues etc. (pour chaque point : avantages et inconvénients)

Les trois minutes sont dépassées. Il y a des redites. On découvre la nécessité du choix des arguments, ce qui est difficile.


décembre

Huriyé, Leila

Quels sont les avantages et les inconvénients du portable ?

Un plan en deux parties, et des arguments étayés dans chacune.

Je trouve la présentation au point. La classe trouve que le sujet est « bateau »

- choisir un sujet qui intéresse (critère difficile à prendre en compte : il entraînera beaucoup de discussions)

janvier

Marie, Eva

Qu'est-ce que la liberté ?

Un plan clair : liberté, limitation de la liberté

Elles ont été emportées par leur sujet philosophique et ont apporté des citations d'auteurs qui ont rendu le propos très confus

- donner des exemples concrets

janvier

Youssef

Où et pourquoi la délinquance des jeunes ?

Une énumération de faits plus que des arguments


- trouver un sujet sur lequel on puisse ne pas être d'accord

janvier

Derya, Yoann

Porterez-vous un préservatif ?

Une première partie très courte qui se confond avec l'introduction, une deuxième partie subdivisée en deux : oui, non

La notion de plan n'est pas encore parfaitement acquise

Le rôle de l'introduction n'est pas complètement compris

- faire une introduction-choc, qui lance le sujet

mars

Cindy

Les écritures japonaises

Un plan en trois parties

Sujet documentaire


mars

Suzanne

La télé est-elle vitale ?

Deux parties : avantages, inconvénients

Le plan ne répond pas parfaitement au sujet.

- cohérence entre le titre et le plan

- le plan doit répondre à la question posée par le titre

avril

Eva, Marie

Peut-on ignorer ce que l'on désire ?

Plan en deux parties : le désir, le savoir

Elles ont eu du mal à relier les deux notions, mais se sont lancées dans un sujet difficile, pour le plaisir de la recherche intellectuelle


mai

Audrey

Le progrès scientifique et technique est-il toujours positif ?

Plan en deux parties : oui, non, mais avec des arguments nombreux et des exemples

« Trois Minutes » réussies


juin

Fatima

Vaut-il mieux une éducation libérale ou sévère ?

Un plan en deux parties : libérale, sévère. Dans chacune des parties : avantages, inconvénients

Des redites, mais le système du plan est bien compris

- ne pas faire d'arguments « en négatif »

juin

Vivien, Mohamed

Pour ou contre la légalisation du cannabis en France ?

Plan construit et détaillé, beaucoup d'arguments, étayés

« Trois Minutes » réussies

- terminer toujours par son opinion