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logo ressource btn Exclus du Quart-monde : l'engrenage de la pauvreté

Niveau de lecture 4
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Septembre 1997

Les exclus du Quart-Monde* en France : pourquoi est-il si difficile de sortir de la grande pauvreté? Témoignages.

"Ils ont trop de rien"
(Chanson de Renaud)

Mal payé, puisque travaillant irrégulièrement, l'homme du Quart Monde dispose de peu de ressources, donc il se nourrit mal ; comme de plus il est mal logé, sa santé est déficiente. La maladie à son tour, contribue à empêcher les pères de famille de travailler, donc de gagner de l'argent, à empêcher les enfants d'aller à l'école, donc d'apprendre un métier qui pourrait leur assurer un avenir.

Les manques (d'argent, de travail, de santé, d'instruction, etc.) qui caractérisent les couches des populations les plus pauvres, sont entremêlés et se renforcent les uns les autres, dans un enchaînement sans fin :

      manque de ressources      
   manque de pouvoir syndical
et politique
↙↗    nourriture et
logement médiocres
 
  ↑↓       ↑↓  
   non-travail ou sous-emploi      mauvaise santé  
  ↑↓          
   ignorance des droits,
non qualification
 ↖↘      
       manque de
relations sociales
     
          ↙↗  ↔ à la fois
cause et conséquence
 

 
* Quart-Monde : pour définir ce mot, voir
Les exclus du Quart-Monde en France

Pris dans cet engrenage, les gens ne peuvent plus entrer dans la course, ni participer à la vie des autres.  Ils finissent souvent par former un univers à part "en marge de la société".

Manque de culture

"Pour le monde de demain, il faut que les portes s'ouvrent ; il faut des relations et du partage; chacun a quelque chose à apporter."

Colloque : la culture contre la misère 1996

Plus on se trouve placé bas dans l'échelle sociale, plus ces manques s'accentuent et, lorsque les privations dépassent un certain seuil, il est difficile de distinguer, parmi tous les problèmes, celui qui prend le pas sur les autres.

Cependant, dans ce cercle vicieux, l'absence de culture semble capitale, car elle engendre la quasi totalité de toutes les ignorances.

"Depuis qu'il est au chômage, mon père est toute la journée sur le canapé à regarder des films. Dès qu'on veut causer, on se fait engueuler."

Constantine, 8 ans

Le monde des exclus reçoit notre culture de manière fractionnée à travers les medias, en particulier la radio et la télévision, dont il comprend difficilement les messages. De toute façon, ce qu'il entend et comprend, il n'a pas la possibilité de le vivre.
A mesure que l'on descend dans les couches les plus pauvres de la société, on voit disparaître les relations et les moyens d'épanouissement de la personne.
Plus le revenu est modeste, moins l'espace de vie offre de possibilité d'équipement pour le développement culturel et social des familles.
Les Maisons des Jeunes et de la Culture et les écoles maternelles se trouvent le plus souvent dans le centre des villes. Dans le meilleur des cas on en a installé près des HLM, mais pas dans les cités, situées en périphérie, dans les zones les moins desservies par les transports publics. Leurs habitants font de longs trajets à pied ou a bicyclette pour atteindre leur lieu de travail ; prétendrait-on leur faire encore parcourir ce chemin pour écouter une conférence ou apprendre à faire de la céramique dans un foyer culturel ?

Les habitants du Quart-Monde restent encore trop souvent en dehors des circuits et continuent à ne pas :

- savoir faire la cuisine,
- savoir équilibrer leurs dépenses,
- savoir aider leurs enfants,
- se faire comprendre du monde extérieur (en particulier, des administrations),
- inspirer l'estime et le respect qu'ils méritent,
- connaître leurs droits, et les faire valoir,
- savoir l'histoire de leur famille,
- préserver leur santé...

 

Incompréhension.

"Quand mon fils était petit, j'étais dans une situation très difficile. Il était passionné de dessin et j'avais décidé de l'inscrire à un atelier de peinture. Mais les gens autour de moi, dans mon quartier, m'ont critiquée. Ils disaient que c'était superflu et que je n'avais pas à me plaindre du manque de moyens matériels si j'étais capable de payer des cours de peinture à mon fils."

Une Alsacienne - Colloque "la Culture contre la Misère" 1996

Utilisation des ressources

Incohérence.

Dans les milieux défavorisés, on ne connaît pas la valeur de l'argent et malgré des efforts pour gérer le maigre budget, on fait des dépenses inutiles. Par exemple, à Noël, on offre au petit garçon des baskets de grande marque qui valent 600F la paire sans penser que ces chaussures ne seront plus à la bonne taille l'année suivante.
Pour le goûter, les enfants sont quelquefois bourrés de bonbons et de pâtisseries qui coûtent deux fois plus cher que le traditionnel pain-chocolat ou les tartines de confiture.
Les gens se disent  que de toute façon l'avenir sera sombre, alors mieux vaut tirer dans l'immédiat un minimum de satifaction de l'argent qui vient de rentrer.
L'insécurité matérielle appelle l'incohérence et celle-ci accentue encore l'insécurité. C'est un des nombreux cercles vicieux de la misère.

Scandale à la galerie marchande."Non ! Je ne marche plus ! Ils disent qu'ils n'ont pas de quoi payer la cantine des enfants, et savez-vous ce qu'ils ont fait avec l'allocation de rentrée scolaire ? Je les ai vus au "Tabac-Journaux", ils ont acheté des cartouches de cigarettes, des disques et des cassettes porno !
Mais pourquoi distribue-t-on de l'argent comme ça ? Ce qu'il faut leur donner, c'est des bons d'achat. Un pour le cartable, un pour le blouson, un pour les petites fournitures !"
       

Mme Renan, commerçante. Eté 1997.

Souvent, les familles ignorent les "avantages" dont elles pourraient bénéficier :

Raisons invoquées pour ne pas bénéficier de bourses scolaires au collège

    effectifs %  
 
ne savait pas que ça existait
7
16
 
  on lui a refusé 8 18  
 
pense qu'il n'y a pas droit
6
12
 
  n'en a pas voulu 3 7  
 
a oublié de faire la démarche ou trop tard, a abandonné car trop compliqué
10
22
 
  ne sait pas 7 16  
 
non réponse
4
9
 

(Sources : J.O. 27-7-95)     

 

Le pauvre paie plus cher que le riche

"Il faut être riche pour se permettre d'acheter bon marché"

La petite épicerie ou la supérette qui dessert la cité offre généralement des articles de consommation courante à des prix de 10 à 60% plus élevés que le supermarché (enquête du 2-4-97 dans une cité)

Mais le supermarché est éloigné de la cité, et la maman qui ne veut pas laisser ses enfants seuls trop longtemps préfère se servir chez le commerçant du quartier d'autant plus qu'il lui permet d'acheter à crédit1.

Et même si le pauvre habitait plus près des centres commerciaux et des marchés, il n'aurait pas la possibilité de stocker la nourriture quand les prix sont bas car il manque à la fois d'argent et d'espace pour ranger les provisions.

La précarité du logement entraîne de grosses dépenses de combustibles car le froid pénètre par les murs trop minces, les portes et les fenêtres mal jointes laissent entrer le vent.

Dans une maison trop petite aux matériaux médiocres, tout s'use plus vite qu'ailleurs, tout doit être continuellement remplacé : les chaussures s'abîment dans la boue, les vêtements qui traînent faute de placard reçoivent des taches de graisse et se détériorent rapidement.

Il faudrait des compétences exceptionnelles en économie domestique pour tirer le meilleur profit des maigres moyens, or ces foyers aux revenus les plus bas sont aussi les plus démunis à cet égard. Ils ne savent pas calculer, ils lisent mal les étiquettes et ne peuvent pas comparer les prix et les qualités. Ils font donc des achats peu judicieux et sont la proie des démarcheurs de vente à crédit aux conditions les moins favorables. 

 1- crédit : Une  solution adoptée dans certaines cités ne semble pas non plus favoriser l'économie : on se rend au centre commercial dans la vieille voiture familiale, on achète des montagnes de marchandises avec la carte de crédit, et au bout de quelques semaines, on a des dettes qu'on n'arrrivera pas à payer.


Endettement

Dans un département de la région parisienne, 244 familles ont vu leurs allocations familiales saisies entre janvier et novembre 1995.

131 familles ont en ce moment des saisies en cours :
"Les dettes de cantines scolaires, celles de consultations médicales et d'hospitalisation sont à l'origine de la presque totalité des saisies. Pourquoi l'école et la municipalité n'agissent-elles pas avant de laisser une famille accumuler les impayés ? Quant à l'hôpital, personne ne devrait plus y entrer sans avoir un droit ouvert. On requiert souvent des saisies, alors que la recherche des droits n'a même pas été faite ! Et parfois, les dettes sont vieilles de six, sept, huit ans et plus !"

Le Président de la Caisse d'Allocations familiales de la Seine Saint Denis,
responsable au syndicat CFDT, décembre 1995

 

 

Source : 
BT2N 11 "Les exclus du Quart-Monde en France" (septembre 1997)