Raccourci vers le contenu principal de la page

Les vertus d'une bonne réforme

Dans :  l'Education Nationale › 
Avril 1975

D'après Célestin Freinet

Dans le cadre du processus actuel de la mise en place d'une réforme de l'école, ce qui peut apparaître comme nouveau c'est le fait que personne dorénavant ne nie la nécessité de cette réforme. Il n'en a pas toujours été ainsi.
En ces circonstances, que devient la pédagogie Freinet ? Demeurera-t-elle, malgré les transformations — quelles qu'elles soient ! — ce cénacle d'avant-gardistes, cette élite d'éducateurs initiés aux qualités exceptionnelles, ces pratiques privilégiées réservées que «n'importe qui ne peut pas appliquer» ?
Au contraire, estimant que la pédagogie Freinet a désormais fait ses preuves, que l'ère d'expérimentation de base est aujourd'hui terminée, qu'elle a pris forme, que ses fondements pédagogiques, psychologiques et sociaux s'affermissent de mieux en mieux, que ses matériels et ses techniques sont bien rodés et suffisamment souples pour conserver une bonne adaptation permanente, que ses productions sont convaincantes et ses effets satisfaisants sur de nombreux plans, que ses défenseurs sont fidèles, n'est-il pas venu le temps d'affronter la mise en application dans la masse même des écoles de notre temps ?
Ce n'est d'ailleurs que l'aboutissement naturel du destin même d'une pédagogie qui n'aurait pas acquis tout son sens si elfe ne parvenait jamais à être vraiment populaire !
Pénétrer dans la masse des enseignants à tous niveaux, ce n'est d'ailleurs pas pour nous un fait nouveau, mais tout simplement une forme différente de la longue lutte que nous avons entreprise contre cette forteresse : la scolastique !
C'est à même nos classes difficiles, handicapées par la tradition, soumises aux inspections et aux examens que nous œuvrons, jetant témérairement souvent, nos idées explosives dans un milieu hostile où elles germent très capricieusement.
On nous dira encore que pour pénétrer dans la masse des écoles, nous serons contraints à bien des accommodements, qu'il nous faudra aménager nos techniques au point de les rendre parfois méconnaissables et nous plier aussi à bien des exigences administratives, voire à une idéologie contraire à celle qui a présidé à la mise en place de notre pédagogie.
Pourquoi faudrait-il qu'il en soit ainsi ? Toute l'école populaire ne peut-elle pas être une école d'avant-garde ? Pourquoi ne serions-nous pas «tous en pointe» ?!
Tous les travailleurs, en tous régimes, n'obtiennent que ce qu'ils sont en mesure d'arracher par leur action unie. A nous de lutter et nous nous y employons, pour faire passer dans la réalité de nos classes et dans notre vie quotidienne tout ce que nos expériences acquises jusqu'alors nous montrent être la bonne voie.
La bonne réforme c'est celle qui permettra à la masse des écoles d'adopter les outils et les techniques de l'Ecole Moderne. Que cette masse puisse être en mesure d'employer ces outils pédagogiques avec succès, pour le meilleur profit des enfants et des adolescents, sans trop de fatigue pour les maîtres et sans risques de fausses manœuvres et d'erreurs.
Notre mouvement est décidé à continuer cette lutte nécessaire.
Mais il est exact que nos efforts resteraient bien fragiles si nous nous contentions de les mener sur le plan strictement pédagogique. Notre rôle consiste aussi à faire prendre conscience aux éducateurs des nécessités d'actions extra-scolaires, syndicales, politiques, sociales.
Pour une école vivante et populaire c'est au sein même de la vie du peuple qu'il faut y porter ses problèmes.