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logo ressource btn Les romans préhistoriques

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Dans :  Histoire-Géo › 
Septembre 2011
Dans la tradition romanesque, la fiction peut se situer dans une époque préhistorique et donc placer les personnages dans un monde que nous appréhendons à travers les préhistoriens, archéologues, ethnologues, ...  Cet article présente quelques exemples de romans préhistoriques.
 
 
Les romans historique (et préhistorique), de la science à la fiction littéraire
 
1. Le roman préhistorique provient du roman historique, lequel apparaît au début du XIX° siècle avec l’écossais Walter Scott. Il a inspiré en France Alexandre Dumas, Honoré de Balzac, Victor Hugo etc... D’après les spécialistes le roman historique repose sur trois éléments :
- les évènements historiques,
- l’évocation des moeurs,
- les aventures romanesques d’un ou plusieurs héros.
Arlette Farge1, historienne, refuse d’écrire des fictions historiques et elle marque la difficulté du genre :
il faut éviter tout anachronisme de langage et, en même temps, s’assurer que ces mots d’hier trouvent un écho dans le présent du lecteur.”
Le roman historique s’appuie sur une documentation.
 
2. Le grand écueil est l’anachronisme2.
Le mot a été inventé en 1625 mais l’adjectif “ anachronique ” date de 1866. Entre 1625 et 1866 l’historiographie impose ses lois, et d’abord le respect de la chronologie, de l’ordre des évènements. Le mot “ anachronisme ” peut être pris au sens large et désigner toute intrusion d’un élément moderne dans un récit historique.
Le roman historique s’appuie sur une documentation.
 
3. Le roman préhistorique
Le roman préhistorique, qui n'apparaît qu'au début du XX° siècle, ne dispose que des données archéologiques et doit donc pratiquement tout inventer.
Il se confronte à un double écueil : le fait que les connaissances évoluent très rapidement et que les scientifiques ne sont pas d'accord entre eux.
Ainsi, si la fiction reste toujours agréable, la validité historique est vite dépassée et sujette à caution.
Et les préhistoriens restent très méfiants envers le roman préhistorique.
De toutes façons, comme tout romancier, l'auteur parle de lui, intègre son idéologie, et questionne les rapports humains.
 
 
Préhistoire

Voici quelques exemples montrant comment, actuellement, les chercheurs, en comparant leurs recherches, trouvent des connexions et font avancer les connaissances. La préhistoire est un domaine immense dans le temps et dans l'espace ; l'évolution des techniques peut s'étendre sur une période de cent mille ans pendant laquelle les hommes ont franchi des distances de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres.
 
4. La conquête de l’Amérique.
On admettait que les Amérindiens étaient venus de Sibérie en Alaska, 11.500 ans avant notre ère, par le détroit de Béring alors sous les glaces. On a retrouvé dans toute d’Amérique du Nord, au Mexique et ailleurs, des pointes de flèches appelées Clovis (d’un petit village mexicain où elle fut trouvée pour la première fois en 1933). On sait, par les restes de repas, que cette pointe élaborée a permis aux Amérindiens de faire disparaître au fil des millénaires, tous les gros mammifères américains (lions et tigres géants, mammouths, tatous géants, ours bruns...).
Mais on a retrouvé des pointes Clovis bien plus anciennes, datant de 17.000 ans avant notre ère. Et les analyses d’ADN ont prouvé que les premiers Amérindiens avaient le même âge.
On a donc cherché des pointes Clovis en partant de l’Alaska vers l’Asie mais on ne les a pas trouvées.

Un archéologue américain, spécialiste de la taille des silex, s’est alors souvenu avoir vu des reproductions de pointes très semblables aux pointes Clovis et datant du Solutréen (sud-ouest de la France, 20.000 ans avant notre ère). En les comparant il a découvert que c’étaient les mêmes techniques et donc les mêmes hommes qui avaient traversé l’Atlantique, alors sous les glaces, 17.000 ans avant notre ère. Mais était-ce vraisemblable ?  Une enquête chez les Esquimaux de l’extrême-nord de l’Alaska a révélé qu’il y a peu de temps encore ils confectionnaient des vêtements chauds et imperméables en fourrures, cousues avec des tendons de caribou à l’aide d’une aiguille en os. Elle était restée la même que l’aiguille inventée par les Solutréens, il y a 20.000 ans. Les embarcations modernes ne résistent pas aux -35° de l’hiver du grand Nord. Pour chasser, les Esquimaux utilisent toujours des bateaux faits d’armatures en bois, couverts de peaux de phoques et colmatés à l’huile de phoque. Dans les déplacements longs à travers les glaces, ils se nourrissent des produits de la mer. En cas d’intempéries ils se réfugient sur la glace et ils dorment sous les bateaux de peau, tassés les uns contre les autres.
Que des Solutréens aient traversé 5.000 km d’océan gelé leur paraît tout-à-fait réalisable : ils le font vers le Groenland distant de 2.500 km. Il suffit de longer en été les icebergs et les banquises.
Enfin on a découvert que l’ADN d’un Indien offrait des éléments d’origine européenne, datant également de 17.000 ans avant notre ère. On en déduit que des Solutréens avaient tenté l’aventure américaine puis s’étaient répandus, en 5.000 ans.
(D’après un documentaire de Nigel Levy, “ Mais qui étaient les premiers Américains ? ” Grande-Bretagne, 2002, 55 mn.)
  
 
5. Des chercheurs ne craignent plus les rapprochements audacieux.
Le croisement des disciplines a profondément changé les données du problèmes.
Certains chercheurs évoquent un possible chamanisme préhistorique. Ils s’inspirent du chamanisme des tribus primitives notamment des aborigènes australiens. Ils tentent aussi des simulations de reconstitution en mêlant la fiction et l’information.
Ils ne prétendent pas atteindre la vérité de la vie préhistorique mais une vraisemblance toujours discutable et discutée.
 
 

              

Le crâne de "l'homme de Tautavel" a 450.000 ans : à partir de quelques éléments on a pu "reconstruire" le crâne, puis son propriétaire, Homo erectus anténéandertalien : image vraisemblable, forcément discutée.
(Tautavel se trouve près de Perpignan)
 
 
Littérature
 

 
Le roman préhistorique exige en principe de la longueur pour approfondir les multiples thèmes du sujet.
Trois auteurs ont écrit de véritables sagas,
- le français Rosny au début du XX° siècle,
- l’américaine Jean3 M. Auel à la fin du XX°,
- et de nouveau un français Pierre Pelot au début du XXI° siècle.
Il faut aussi faire une place à un ouvrage bref et savoureux dû à Roy Lewis.
 
 
5. J. H. Rosny Aîné (1856-1940)
Rosny, appelé l’Aîné, pour le distinguer de son cadet lui aussi écrivain, connut la gloire avec “La guerre du feu” (1911, film de Jean-Jacques Annaud 1981).
Il écrivit quatre autres romans préhistoriques jusqu’en 1931. Sa documentation était celle des préhistoriens de son temps. Ses histoires sont pleines de mystères, de fureur, de sang et d’amours sauvages.
“La bête verticale” ainsi que Rosny appelle l’homme se dégage de l’animalité mais doit affronter sans repos une nature hostile. Comment survivre quand on n’a que l’épieu durci au feu, la hache et la sagaie ? Et comment affronter d’autres groupes humains étranges et sanguinaires ? D’après Rosny l’action se passe “il y a cent mille ans” mais l’archéologie contemporaine situe l’invention du feu aux environs de 600.000 ans.
On se massacre beaucoup dans ses romans et à ce rythme l’humanité aurait disparu avant même que de naître... 
 
D’autres romanciers vont tenter de mieux cerner une vie qu’ils réussissent à rendre vraisemblable à des époques charnières : 1,7 millions années (Pierre Pelot), 600.000 ans (Roy Lewis) ; 35.000 ans (Jean M. Auel).
 
 6. Jean M. Auel (née en 1936)
Américaine, ingénieur de formation, passionnée d’archéologie, Jean M. Auel a conçu méthodiquement sa saga “Les enfants de la Terre” dont le premier tome “Le Clan de l’Ours des Cavernes” parut en 1980.
L’auteur reprit des études de botanique et mena des recherches approfondies sur les sites préhistoriques européens : Ukraine, Russie (alors Union soviétique), Hongrie, Autriche, Allemagne et France. Elle voulut tout savoir et tout expérimenter : taille du silex, cueillette, chasse, cuisine etc.
Elle consacra ses gains à financer des recherches archéologiques. En 1990 elle participa pendant quatre mois à une campagne de fouilles en Périgord, dans la région des Eyzies, cadre des “Refuges de pierre”, cinquième tome (2002).
 
La saga “Les enfants de la Terre” est centrée sur Ayla, petite Cro-Magnon (Homo sapiens) recueillie à cinq ans et élevée jusqu’à quatorze par un clan de Néandertal (Homo neanderthalensis) qui vit dans l’actuelle Ukraine, environ 35.000 ans avant notre ère.
Chassée du clan, elle doit survivre seule avant de rencontrer Jondalar, un jeune, beau et fort Cro-Magnon, qui vient de l’actuelle Dordogne. Il revient dans son clan avec elle et ceci leur fait traverser l’Europe d’Est en Ouest. Ils rencontrent des clans aux moeurs très différentes et vivent les rapports difficiles entre Néandertal et Cro-Magnon qui le supplantera.
Certains lecteurs furent déçus par le traitement “hollywoodien” que l’auteur fit subir à ses deux personnages principaux : blonds aux yeux bleus, intelligents, ils savent tirer le meilleur parti de la nature qu’ils parcourent. Ils deviennent ainsi des figures mythiques d’une humanité idéale. Ayla est à la fois botaniste, pharmacienne et médecin. Elle découvre le silex à feu. Jondalar a reçu le don de séduire les femmes et de tailler habilement le silex. Il invente le propulseur.
Leurs connaissances sont un condensé du savoir préhistorique avant la découverte au Néolithique, de l’agriculture et de l’élevage.
 
 
les démarches de reconstitution des savoir-faire (tailler le silex, allumer un feu…) permettent aux scientifiques de mieux comprendre le mode de vie de nos lointains ancêtres… et aux romanciers d'imaginer leurs aventures et leurs amours.
(documents : Musée de Tautavel)
 
 
 
 
 
 
 
 
7. Pierre Pelot (né en 1945)
Auteur prolifique (plus de 150 livres) et talentueux dans tous les genres, Pierre Pelot a écrit en collaboration avec le préhistorien Yves Coppens une saga en 5 tomes “Sous le vent du monde” (Ed. Denoël et Folio Gallimard).
La fiction serre donc au plus près une réalité jugée vraisemblable par un préhistorien réputé. Il s’agit d’unir "poésie" et "plausibilité", qui, selon Yves Coppens, font tout le charme et l'intérêt de l'entreprise.
Le tome 1 “Qui regarde la montagne au loin” se passe au bord d’un grand lac de l’est africain, 1,7 millions d'années avant notre ère. Une jeune femme, une Homo rudolfensis a été exclue de son clan parce qu’elle a abandonné son nouveau né à une panthère noire géante qui la protégerait. Elle rencontre un homme un Homo habilis épris d’aventures. Leurs vocabulaires sont différents et réduits, moins cependant chez Homo habilis. Ils n’ont pas les mêmes images du monde. L’un et l’autre font mal la distinction entre la réalité et les rêves du sommeil. Ils découvrent une émotion inconnue dans un bout de voyage commun qui les réunit un moment. (Denoel 1996 et Gallimard, Folio 1998)
 
Le tome 2 “Le nom perdu du soleil” se passe il y a un million d’années dans l’actuelle Birmanie. Il s’agit d’Homo erectus”, les uns nomades, les autres sédentaires. Ils connaissent la pierre et les techniques de la taille. (Ed Denoel, 1998)
Le tome 3 “Debout dans le ventre blanc du silence” est plus proche de nous, 380.000 ans avant notre ère, et se passe sur ce qui deviendra la mer d’Azov et la mer Noire, chez des Homo erectus pre-sapiens. Ils veulent échapper à une malédiction: l’un d’eux a tué un ours. Et “celui-qui-est-avec-l’ours” part dans la montagne, le vent et la neige à la recherche du gigantesque animal. (Gallimard, Folio, 2001)
Le tome 4 “Avant la fin du ciel” se passe 65.000 avant notre ère, dans un territoire qui deviendra la France. Néandertal s’y est installé mais le froid avance et oblige les hommes à suivre vers le sud les troupeaux qui ont déjà fui. “Celui-qui-marche” veut s’unir à la biche meneuse de harde pour en obtenir un fils à la fois homme et cerf qui saurait, comme autrefois, parler aux hommes et aux animaux pour les réconcilier.
Suite à cette transgression son clan le rejette et il doit partir à l’aventure. (Gallimard, Folio, 2002)
  Le tome 5 “Ceux qui parlent au bord de la pierre” se passe vers 32.000 avant notre ère au bord de ce qui deviendra la Méditerranée. Il s’agit d’Homo sapiens, de Cro-magnon. Il pleut continuellement. Les fleuves et les rivières débordent. La mer monte. Le chamane se demande s’il a bien compris sa dernière vision. (Ed. Denoel, 2001)
 
Un autre roman de Pierre Pelot, “Le jour de l’enfant tueur” (Seuil 1999), entame un nouveau cycle préhistorique (“Le livre d’Ahorn”). C’est un polar, sans la caution cette fois d’Yves Coppens.
L’action se déroule, il y a 35.000 ans, près d’un lac, chez les Néandertaliens. Deux clans y vivent, le premier a beaucoup d’hommes et le second beaucoup de femmes à féconder. Le héros, Ahorn, pourrait ainsi facilement retrouver une jeune femme qu’il aime mais elle a été enlevée, comme d’autres femmes, par des hommes aux lèvres cousues, sortes de zombies. On retrouve dans ce roman des éléments également présents chez J.M Auel : mêmes flash-back, même ambiance que celle du Clan de l’ours des cavernes, même chamanisme. Même choc de diverses tribus de chasseurs. Le côté sexuel y est plus développé.
 

8. Roy Lewis : “Pourquoi j’ai mangé mon père
Au Pléistocène, entre un million et 500.000 ans, vit Homo érectus ou Pithécanthrope, premier individu de l’espèce Homo, bien qu’il ait beaucoup de points communs avec les australopithèques. Il fabrique un outillage primitif, utilise le feu et taille des bifaces.
Le récit humoristique mais bien documenté de Roy Lewis se passe en Afrique, du côté du Kilimandjaro.

La horde assiste au débat continuel entre oncle Vania et son frère Edouard. Celui-ci vient de réussir à prendre une “chose tortillante et rouge”, du feu naturel pris à un volcan. Oncle Vania, opposé à cette découverte dangereuse, préfère vivre dans les arbres mais ne dédaigne pas de manger un peu de viande cuite tellement plus savoureuse que la chair crue et dure qu’il faut mâcher pendant des heures. Le clan se récrie : grâce au feu, les hommes peuvent enfin disputer les meilleures cavernes aux grands fauves.

Le narrateur, Ernest, l’un des quatre fils d’Edouard pense que le bonheur c’est de rester au stade où l’on est : pourquoi devenir des Homo sapiens ? Mais Edouard croit au progrès ce qui le rend très inventif. Il crée l’exogamie en obligeant ses quatre fils à chercher des filles en dehors de la horde. Et il vient d’inventer l’arc. Mais il prive de gibier son clan en déclenchant involontairement un gigantesque feu de forêt. Les voilà contraints à l’exil et contraints de négocier avec d’autres hommes à qui Edouard donne le feu.
C’en est trop. Le narrateur provoque la mort du père. En le mangeant le clan s’approprie ses qualités sans en craindre les excès. Tout le récit est fondé sur un emploi astucieux de l’anachronisme : l’inventeur impénitent et le narrateur décrivent ce qu’ils vivent à travers notre prisme d’Homo sapiens. Et il a "mangé [son] père” pour arrêter le progrès mais en vain. (Editions Actes Sud 1994 et Pocket).
 
 peinture pariétale bushiman au Zimbabwé
(en Afrique australe): animaux et hommes.
 
 
 
9. Conclusion.
Le roman préhistorique aborde de multiples sujets relevant de nombreuses disciplines.
- Homo, Néandertal, Cro-Magnon
- les voyages
- le feu, les armes, les outils
- la chasse et la cueillette
- s’abriter, dormir
- se nourrir, la cuisine
- se soigner
- le langage
- la sexualité
- les femmes
- l’éducation des enfants
- les chefs et les conflits
- l’art, la religion, la magie
 
Dans le désert jordanien, on trouve la trace de divers peuples aujourd'hui réputés disparus ; dans le Wadi Ramm, des chercheurs étudient ces gravures rupestres qui mêlent des scènes de chasse et des inscriptions : le site est orné depuis la Préhistoire (entre le Paléolithique et le Néolithique), mais les gravures ont continué à s'accumuler jusqu'à une époque récente, mêlant animaux et hommes disparus depuis longtemps, à des chasseurs munis de fusils : le chercheur doit alors démêler une longue histoire humaine !
 

Gravures rupestres attribuées au peuple thamoudéen(Wadi Ramm, Jordanie)
 
 
 
 

Chacun de ces sujets pourra être développé à la demande.
Leur contenu, largement hypothétique, sera surtout un stimulant pour la réflexion.


1. Arlette Farge (1941- ), historienne spécialiste du XVIII° siècle, directrice de recherhce au CNRS.

2. Du grec ana- “contre” et chronos “temps”, l’anachronisme désigne une faute contre la chronologie. 
3 prononcer “djinn”


Crédit iconographique : 
documents Sylvain Connac (avec l'aimable autorisation du Musée de Tautavel, http://www.tautavel.com/), photos Zimbabwé et Jordanie : A. et JF Dhénin.
Participation: 
M.Billebault, A.Dhénin, H.Duvialard, H.Pico, C.Vapillon