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Janvier 1988
Les pages que voici sont extraites d'une brochure à paraître aux P.E.M.F. dans la série "Pourquoi? Comment?". Il s'agit d'un travail coopératif coordonné et mis en forme par D.Roycourt (école de Perrigny 89000 AUXERRE
le texte libre
Une pratique motivante de l'écriture
Des classes où l’on écrit beaucoup
La pratique du texte libre à l’école, dans le cadre de la pédagogie Freinet. correspond à un choix réfléchi pour une stratégie d'apprentissage et de formation des jeunes générations privilégiant :
- l’expression libre de leurs propres pensées
- la socialisation authentique des productions
- l'utilisation des tâtonnements de l'enfant pour réaliser l'apprentissage de la langue écrite et de ses différents types de discours: récits, écrits poétiques, dialogues théâtraux, textes d'opinions ou d'argumentations).
Ce choix découle d'une triple réflexion :
-.C'est un choix éthique conforme à nos engagements par rapport aux valeurs démocratiques et à notre conception de la culture.
- C'est un choix humain lié à une certaine conception psychosociologique du développement de l'enfant et de sa personnalité.
- C'est un choix pédagogique pour une technique simple si efficace qui vise à la construction, chez tous les enfants, d'une stratégie d'écriture personnalisée dans une maîtrise de la langue écrite courante.
Par commodité, nous développerons successivement ces différents choix, mais il est bien évident que c'est précisément parce que le texte libre permet leur prise en compte simultanée qu'il occupe une place si importante dans nos pratiques.
En effet, si tout enseignement, en tant qu'il s'exerce, est une mise en oeuvre pédagogique, les techniques pédagogiques choisies ne peuvent être indépendantes des objectifs d'instruction qu'elles visent à réaliser.
Ces objectifs eux-mêmes doivent, non seulement être cohérents avec les valeurs et les objectifs éducatifs nécessaires à uns société qui se veut démocratique mais, également, prendre en compte les possibilités les rythmes et les démarches naturelles de l'enfant dans la construction de ses savoirs.
C'est dans la mesure où le texte libre conjugue l'acquisition des connaissances, l'apprentissage des techniques et des pratiques et la maturation personnelle (au double plan de l'affectivité profonde et de la fonction critique qu'il permet un apprentissage efficace et progressiste de l' expression écrite.
Tout projet éducatif suppose des choix, des options découlant d'une certaine conception du monde et des rapporta sociaux et, par conséquent, d'un projet de société.
Aider à la naissance d'hommes cultivés et lucides qui oeuvreront pour une société dont la liberté, la justice, la fraternité et le travail «non-aliéné " seront les fondements: tel est le but que Freinet, dès l'origine de son action, offre auxéducateurs populaires s’engageant à ses côtés.
Pour cela, Freinet, opposé à tout endoctrinement, veillera à ce que l'accession aux savoirs et à la culture ne se réduise pas, pour le plus grand nombre d'enfants, aux «miettes de Lazare», aux banquets des riches.
Nous voulons que ces enfants soient très instruits, non seulement de tous les événements de la vie contemporaine, mais aussi de toutes les matières que l'école traditionnelle peine tant à inculquer...
Nous avons trop conscience de la nécessité, pour les générations venir, de beaucoup connaître pour réaliser le monde nouveau qui s'offre à elles. Mais nous insistons sur l'imbrication nécessaire de l'esprit, du sens de la conquête synthétique d'une part, et des éléments techniques qui marquent les étapes de cotre conquête. C'est d'ailleurs, tout 1e problème de !a connaissance dans le complexe éducatif: nous ne saurions nier la nécessité de carte connaissance, mais dans le cadre d'une création et d'une culture personnelle... C.FREINET
Nous souhaitons que tous nos élèves aient acquis à la fin de leur scolarité:
- une stratégie d’écriture personnalisée, c’est-à-dire capable d’exprimer par écrit des pensées personnelles en autonomie et pas seulement des écrits commandés ou suggérés,
- une maîtrise de la langue écrite courante, c’est-à-dire l’accès
-au fonctionnement des différents types de discours (récits, écrits poétiques, dialogues théâtraux…),
- à la maîtrise syntaxique, sémantique et orthographique,
- le plaisir d’écrire pour communiquer, s’exprimer ou créer,
- le plaisir de lire d’autres productions d’écrits (romans, poésies, lettres …)
Pour cela, nous n’avons jamais cru que la spontanéité pouvait tout, et qu’il suffisait de laisser un enfant libre pour qu’il écrive une œuvre littéraire. Mais nous pensons que c’est en partant des productions des enfants que les éducateurs ont accès aux rapports réels d’un enfant avec la langue écrite, à la connaissance affective des aspirations et des intérêts de l’enfant.
C’est de là que pourront s’établir les meilleures motivations, les meilleurs moyens de construction d’une culture authentique, que se dessineront les meilleurs trajectoires.
C’est sur ses productions personnelles que l’enfant travaillera, aidé du maître et stimulé par les interventions du groupe ainsi que par le circuit d’échanges mis en place dans la classe. Il structurera et développera ses connaissances cognitives et affectives, construisant sa personnalité au sein d’une collectivité organisée coopérativement.
Lire et écrire ne sont pas des objectifs innés de l’enfant, c’est la culture dans laquelle il grandira qui lui apprendra s’il en a «besoin» ou non.
Le sens de ces activités ne peut donc lui apparaître que si elles se matérialisent en classe dans des productions concrètes et socialisées, surtout pour les enfants des familles populaires où l’usage social de l’écriture est restreint et souvent limité à un emploi administratif.
L’écriture n’est recherchée et cultivée que si elle est employée à une fin propre évidente : sinon elle est comme ces bicyclettes d’exercices, montées sur bois et dont les roues tournent à vide.
Si l’outil est superflu, pourquoi s’en servir? C.FREINET
L’enfant va s’emparer de l’écrit, grâce aux circuits d’échanges et de socialisation institués en classe et entre écoles, poussé par le désir et la plaisir d’être entendu, compris et encouragé par la médiation de techniques appropriées (qui introduisent dans la classe un certain type d’organisation et de règles de vie) va s’investir dans une production.
La pédagogie Freinet est révolutionnaire parce qu’elle ouvre le champ de l’écriture au désir de chaque enfant au sein d’un collectif institutionnalisé.
Le climat de communication et les structures coopératives de la classe vont entraîner la production d’une très grande quantité d’écrits divers pour chaque enfant: récits, courriers, compte-rendus …
Un enfant qui sent un but à son travail et qui peut se donner tout entier à une activité non plus seulement scolaire mais sociale et humaine fournit librement un travail bien supérieur, qualitativement et quantitativement, à celui qu’exige une méthode autoritaire.
La compétence d’écrire va croître et se diversifier avec la quantité de textes produits et réciproquement. En effet, comme dans tous les domaines d’apprentissage, le facteur quantitatif (toute chose égale par ailleurs, c’est-à-dire ici la qualité du feed-back du maître) est primordial pour permettre le fonctionnement du «tâtonnement expérimental» et la constitution d’une stratégie d’écriture personnalisée et efficace.
La compétence pratique est acquise en situation dans la pratique: ce qui est acquis c’est inséparablement la maîtrise pratique du langage et la maîtrise des situations qui permettent de produire le discours adéquat dans une situation donnée. BOURDIEU
Parmi les multiples situations d’écriture qui naissent du fonctionnement quotidien d’une classe Freinet, le texte libre trouve sa place parmi d’autres conduites d’écriture où l’écrit est toujours sollicité pour des travaux précis et signifiants.
Un enfant engagé successivement dans la correspondance scolaire, une conférence, un questionnaire d’enquête, une prise de notes (secrétaire de la réunion de coopérative…) un texte libre (poésie, conte, vie quotidienne…) différenciera progressivement les règles textuelles propres à chaque situation.
Dans nos classes, les formes linguistiques sont maîtrisées en fonction de ces situations d’écriture et non par des exercices de manipulations décontextualisées qui sont souvent en décalage complet par rapport au vécu des enfants.
Les techniques Freinet engendrent des comportements qui permettent une appropriation efficace, parce que motivée et en situation authentique, des savoirs instrumentaux (lire, écrire…)
L'apprentissage de la langue ne peut être qu'une pratique de la langue en situation réelle de communication.
La langue est un système qui se construit par tâtonnement
Freinet a réintroduit l'erreur comme forme vivants, authentique, nécessaire à l'appropriation dialectique des savoirs.
Le texte libre permet à l'enfant d'être l'acteur de l'apprentissage de sa langue par tâtonnements répétés sous un réseau d'influences diverses.,
LES ENFANTS SONT CAPABLES D'EXPRESSION
Savoir s'il faudrait d'abord donner aux enfants la compétence de s'exprimer avant d'accueillir leur expression, c'est comme se demander s'il ne faudrait pas enseigner le langage aux bébés avant de les laisser ouvrir la bouche.
L'expression des enfants n'est pas la création d'une pensée enfantine handicapée ou vide mais la manifestation d'une pensée autonome en auto-socio-construction grâce à l'intervention d'un adulte médiateur, un même rapport dialectique lie la parole d'un enfant à la maîtrise de son expression écrite, et l'émission des premiers signifiants sonores porteurs de sens pour un bébé à la maîtrise de son parler.
LA TRADUCTION ÉCRITE DE LA PAROLE CHEZ UN ENFANT MET EN ROUTE LE PROCESSUS D'APPROPRIATION DE LA LANGUE ÉCRITE.
Cette appropriation progressive commence dès qu'un adulte compétent donne à un entant, qui n'a pas encore connaissance du matériel graphique la possibilité de produire des textes signifiants personnels, en écrivant sous sa dictée.
Dès l'école maternelle, nous posons l'hypothèse que chaque enfant construit et développe sa langue écrite:
- en interaction avec les écrits variés qui lui sont lus (intuition de la spécificité de l’écrit qui naît ainsi...);
- grâce à l'aide interactive qu'un "écrivain compétent» (en principe l'instituteur) lui propose individuellement sur chacune de ses productions
- grâce aux réseaux d'échanges "nutritifs" qui s'installent dans nos classes et entre nos classes par I'intermédiaire de techniques aussi variées que possible (de la simple lecture à l'enregistrement sonore, de la lettre manuscrite à la communication par minitel, de l'imprimerie à l'imprimante d'ordinateur).
C'EST PAR LE "TÂTONNEMENT" EXPÉRIMENTAL" que va s'opérer l'appropriationde cet énorme patrimoine culturel' qu'est la langue écrite.
Il ne suffit pas qu'un enfant participe activement à l'élaboration de nouvelles connaissances et même qu'il ait l'occasion de les mettre à l'épreuve.
Encore faut-il qu'Il se heurte lui-même réellement aux obstacles qui vont précisément permettre des prises de conscience, des perfectionnements Ainsi, les expériences de communications défectueuses vont aider à la lente prise de conscience des exigences de :a communication. Une véritable démarche d'appropriation culturelle implique une démarche de tâtonnements avec des erreurs suivies de rectifications.
Or, pendant des décennies, la pédagogie officielle du français s'est ingéniée à supprimer les obstacles en offrant à l'enfant des produits prédigérés pour lui faire franchir des étapes que l'on pensait rationnelles.
Les concepts seront d'autant plus efficaces qu'ils auront été acquis dans une activité réelle, c'est-à-dire une activité où !'individu est engagé tout entier parce qu'il veut résoudre un problème dans lequel il se sent impliqué,
CE TÂTONNEMENT S'ENRICHIT DE LA SOCIALISATION
La mise en commun, à propos de difficultés rencontrées ou de trouvailles intéressantes contribue à une accélération des prises de conscience et aide à faire comprendre aux enfants qu'ils peuvent organiser leurs tâtonnements.
« Méthode naturelle»
Lier l'apprentissage de l'écrire-lire-penser
La part des méthodes naturelles dans !a pédagogie Freinet ne procède pas du mythe d'une nature idéalisée, mais d'une constatation réaliste : pourquoi s'exténuer à conduire mal, d'une manière artificielle et inadéquate les apprentissages qu'une démarche, qui place les enfants dans une situation productrice, réalise sans heurts pourvu qu'on la favorise. Le terme «méthode naturelle» illustre le respect, par Freinet, des stades de développement et des rythmes personnels de chaque enfant.
La méthode naturelle de lecture-écriture n'est pas une méthode élaborée et graduée préalablement de l'extérieur par des adultes. A l'image de l'acquisition du langage par les bébés c'est un processus par lequel les enfants accèdent progressivement mais toujours activement à la maîtrise de l'expression écrite. Ils sont mis en situation de lecture et d'écriture grâce à des techniques fonctionnelles (correspondance-journal), en s'appuyant sur le sens qu'ils essaient de construire ou de reconstruire, avec l'aide adaptée d'un adulte.
En méthode naturelle, le processus da réflexion et de compréhension est sollicité dès le départ. Il ne suffit pas d'être dressé à reconnaître des lignes, Il s'agit de mettre en relation des représentations mentales déjà structurées par le langage oral, avec un système graphique.
Partant de la production d'un message, d’une histoire dits ou écrite par les enfants (individuellement vu collectivement) les matériaux linguistiques sur lesquels les premiers apprentissages vont s'exercer sont très prédictibles: le contenu et la logique des récits, familiers des enfants, favorisent, en effet. les hypothèses et las prises d'indices.
Dans le va-et-vient entre l'écrire et le lire où chaque élève est concerné, reconnu et interpellé alternativement, par la prise en charge da sa propre parole et la participation à une oeuvre commune (génératrice de plaisir), la méthode naturelle réduit les risques d'un enseignement proposé prématurément. Elle évite que les enfants s'installent dans un régime de désintérêt et d'abandon qui engendre ennui, fatigue, perturbation, angoisse et marginalisation.
Chaque enfant est sans casse sollicité, à son niveau, par des activités signifiantes qui doivent déclencher son investissement, donc son attention, et mobiliser ses stratégies d'apprentissage.
Insensiblement. il va se livrer à un travail de recherche dont le matériau de départ est sa propre parole qu'il veut communiquer, et une réflexion sur la fonctionnement de l'écrit à partir de sa propre expérience. Ainsi, s’installe en chaque enfant un chemin personnel d'apprentissage.
En outre, la multiplication des occasions de rencontrer les mots les plus fréquents dans des contextes sûrs, lui permet de se constituer un corpus de référence qu'il reconnaîtra ensuite dans des contextes plus distants.
On sait, en effet, que l'échec en lecture n'est pas seulement dû à une lecture trop lente ou à l'habitude d'oraliser, mais découle souvent d'un écart trop grand entre les sujets du texte ou la langue employée et les connaissances et intérêts des lecteurs ,
Un enfant ne peut forger ses hypothèses s'il y a un fossé entre les productions qu'on lui propose et ses capacités langagières, ses références culturelles.
Les manuels d'apprentissage de la langue organisent selon des plans abstraits, minutieusement découpés en étapes, une progression des apprentissages. Tous les élèves doivent progresser d'un même pas comme le prévoit la manuel.
Comme toutes ces progressions sont par ailleurs conçues de telle sorte que chaque nouvelle étape suppose solidement acquis ce qui précède, les enfants qui ne peuvent suivre le rythme prévu d'assimilation sont condamnés à perdre une année, voués au statut de mauvais élève, avant de redoubler et da recommencer éventuellement l'année suivante avec le même manuel.
Les matériaux sur lesquels s'exerce l'apprentissage ne doivent jamais être en porte à faux avec !e réel de l'enfant et de son fonctionnement langagier.
ENRICHIR ET PROVOQUER L'IMAGINAIRE
Si Freinet a donné à l'imprimerie à l'école un rôle de premier plan, il n'a jamais été question pou, lui de détruire les livres. Au contraire, il s'est préoccupé très tôt de l'organisation des bibliothèques scolaires.
La lecture vient provoquer, enrichir, compléter ou relancer, les productions écrites par des enfants ou des adolescents en diversifiant leur potentiel -inventif, en leur offrant de nouvelles trames narratives, riches d'appel à la Création, de nouvelles hypothèses imaginatives qui subvertissent les stéréotypes. La lecture est créative dans la mesure où elle est provocation à l'écriture. G.JEAN
LIRE POUR MIEUX ÉCRIRE. ÉCRIRE POUR LIRE MIEUX.
La fréquentation des «auteurs me vient pas se plaquer artificiellement; elle s'insère en liaison avec l'expression libre dans un dialogue où les enfants apprennent à investir des textes, à jouer avec eux, à les intégrer à leur propre recherche.
La goût et le plaisir da lire date textes littéraires sont renforcés par une pratique réelle de productions de textes. La fait de s'être trouvé confrontés à des problèmes de fabrication conduit les enfants et les adolescents à une stratégie de lecture plus minutieuse. Ils apprécient alors davantage les trouvailles ou les procédés utilisés par l’auteur.
La pédagogie Freinet associe étroitement lecture et écriture dans la construction d’une culture vivante: C'est en lisant qu'on écrit mieux. C'est en écrivant qu'on lit mieux.
Vers une pédagogie populaire
Démocratiser son enseignement pour un éducateur, ne consiste pas, comme on l'a cru très longtemps, à simplifier et à réduire tes savoirs qu'il transmet mais à chercher à donner à tous les moyens de se les approprier.
Cela nécessite, de la part d'un éducateur, non à reproduire des leçons modèles mais à se construire une stratégie souple et adaptée aux démarches cognitives, aux comportements et vécus culturels et sociaux des enfants qui lui sont confiés.
Cette reconversion mentale de l'éducateur, vis-à-vis de lui-même, de son rapport au savoir et vis-à-vis des enfants peut être facilitée et approfondie par la pratique du texte libre et des outils qui l'accompagnent. Cette pratique lui permet en effet, d'avoir accès à une connaissance plus profonde de l'enfant, de ses centres d'intérêt et de ses expériences sociales et affectives. D'autre part, l'écriture "libre" d'un texte est le seul test valable pour le maître et pour !'élève pour savoir où ce dernier en est dans la maîtrise de la langue écrite.
Le texte libre est un des plus efficaces indicateurs à l'usage de l'enseignant pour bâtir une stratégie d'intervention adaptée à chaque enfant et personnalisée. Par cette pratique l'adulte peut se forger un regard positif et évolutif sur ses élèves dans un climat de confiance, de plaisir et de travail.
organiser 1e travail vivant, préparer 1e champ de production du texte libre
Je crois qu'il faut détruire ce mythe de la liberté. C'est un mot que nous ne devrions jamais employer en Pédagogie
C'est l'organisation du travail qu'il faut prévoir. Les enfants n'ont pas soif de liberté, ils ont soif de travail vivant.
C. FREINET
Pratique matérialiste de l'écriture
CRÉER LES CONDITIONS PRATIQUES DE LA COMMUNICATION
La liberté de parole n'est pas un pouvoir inné, effet de la simple maturation; le pouvoir individuel que confère la parole est l'objet d'une conquête par l'enfant dans un milieu social aidant ou non.
Aussi, créer un climat da confiance tel que l'enfant recouvre la parole et prenne possession de l'instrument d'expression qu'est l'écriture est la tâche primordiale de l'instituteur. Instituer le droit à la parole et é l'écriture, faire naître le plaisir d'écrire et de communiquer, ne serait-ce pas le sens qui devrait être donné l'école élémentaire i
MODIFIER LE PROCESSUS DE PRODUCTION DU TRAVAIL SCOLAIRE
C. Freinet ne s'est jamais contenté d'un verbalisme radical; il a mis au point des outils et des techniques, adaptables et utilisables dans toutes les écoles, sans grands moyens matériels, qui matérialisent sa réflexion et ses idées pédagogiques Ainsi, pour la première fois sans doute dans l'histoire da la pédagogie, le trio instruction, production, éducation n'est plus scindé mais unifié sous le concept '" Éducation du Travail ».
La technique est toujours le meilleur outil de l'enseignement, elle constitue, en effet, l'outil de travail avec lequel l'enfant se livre à une activité complète dans un but concret,- immédiatement, l’intérêt se confond avec l'activité elle-même.
R. LALLEMAND
Dans nos classes, les activités de reproduction: imprimerie, limographe, photocopieur ou imprimante mais aussi affiche, albums, cassettes ou bandes magnétiques motivent et magnifient les productions écrites en leur donnant tout leur sens.
L'important, au départ, est donc d'organiser l'espace éducatif-classe et d'apporter des techniques favorisant la communication entre enfants.
Pas de verbiage sur la liberté, sur l'école aux enfants! En instituant un certain nombre de pratiques comme le plan de travail, le travail individualisé, la socialisation orale des textes, le journal scolaire, la correspondance... on crée un champ d'influence indispensable à l'émergence du texte libre.
Nous réaffirmons, en effet, que dans une pratique superficielle et détachée de l'ensemble cohérent que constitue la pédagogie Freinet, le texte libre risque vite de redevenir un banal exercice de rédaction à sujet libre
Appropriation coopérative de l'écriture
La prisa en main par les enfants des outils da socialisation de la parole, instituée dans la classe,conditionne la prise de parole elle-même.
L'imprimerie et les techniques de reproduction modifient radicalement les rapports des élèves entre eux mais aussi des élèves au maître. Ils permettent à la classe de devenir une collectivité parce qu'elle a une existence matérielle nouvelle à travers son journal et ses productions coopératives.
Tout le processus de fabrication (textes libres, reproductions, agrafage, vente, échanges ...) se situe dans un groupe qui a une action socialisante.
On a souvent présenté Freinet comme un instituteur anarchisant qui bâtit son système d'éducation à partir de l'individu et qui fonde l'éducation de l'être sur les richesses de l'être selon une imagerie horticole. C'est oublier le rôle important que donne Freinet à l'organisation du milieu éducatif, institution sociale vivante où se destructure la verticalité des rapports autoritaires pour laisser la place à la coopération du travail et à l'éclosion de compétences reconnues dans la communauté -classe.
Dans la classe coopérative, l'enfant, partant de son expression personnelle, est sans cesse concerné et, s'appuyant sur l'autre, sans cesse aidé. La dialectique entre moi et les autres se trouve réalisée au maximum.
Le texte libre ne peut exister que grâce à une organisation du milieu scolaire qui valorise l'expression écrite des enfants en la dynamisant dans un circuit d'écoute, de lecture, d'édition.
Le texte libre s’inscrit également dans une pédagogie qui suscite, donne les moyens et valorise une pluralité de champs d’expression.
Globalité fonctionnelle de la classe coopérative
La classe coopérative ne se construit pas comme un mécano, tout est lié dialectiquement.
Le texte libre n’est qu’une pièce dans un ensemble de pratiques.
Organisation de l’espace et du temps
La diversité des formes de travail impose une organisation complexe et précise.
L’organisation au service de l’expression et de la fantaisie. F.OURY
CHOIX DES ACTIVITÉS ET GESTION DU TEMPS
L’écriture du texte doit être libre: l’enfant doit pouvoir choisir son sujet mais également le moment où il va l’écrire. Pour cela, l’enfant doit pouvoir organiser son travail, il doit donc gérer l’emploi du temps de la classe où les moments de travail libre (ou individualisé:T.I) sont prévus; des moments également réservés à la communication des textes.
Il est bon, pour les petites classes, d’avoir un emploi du temps dans lequel les enfants se retrouvent facilement. En début d’année, est définie une grille-emploi du temps qui, tenant compte des Instructions Officielles, sert de guide aux enfants pour prévoir et organiser leurs activités.
Des réajustements ont lieu en cours d’année. Chaque enfant reçoit une copie de cette grille. Après chaque moment de travail individualisé, toute production personnelle ou travail de recherche peut être communiqué au groupe.
Cet ancrage coopératif est important, le groupe-classe étant à la fois produit et source des énergies individuelles, en même temps que régulateur des cheminements de chacun. Cette mise en commun est dans la dynamique du tâtonnement
expérimental puisque le corps à corps avec la création ou la recherche conduit à la confrontation des initiatives et à la coopération.
UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL BASÉE SUR LES PLANS DE TRAVAIL
Avec le plan de travail, l’enfant devient autonome dans le cadre de certaines barrières qu’il a d’avance mesurées et acceptées. Dans les limites de ce cadre, il peut aller à son rythme, mesurer l’avancement de sa tâche, organiser son travail, puis l’évaluer coopérativement en réunion de coopérative.
Les enfants passent ainsi du statut d’objet (manipulé, dirigé) à celui de sujet (de ses propres activités). Et ce ci est valable autant pour l’individu que pour le groupe dans lequel il s’insère.
AMÉNAGEMENT DE L’ESPACE
Il n’est plus possible d’ignorer que la pédagogie est étroitement liée à l’architecture des lieux où elle doit s’exercer. L’espace n’est pas neutre: il traduit une certaine conception de la formation et des rapports sociaux.
Ainsi, une classe où l’expression libre trouve les moyens matériels d’être communiquée présente une disposition géographique, matérielle, qui est elle-même une invitation à la communication: l’enfant doit pouvoir, quand il le désire, trouver un lieu pour écrire seul ou en groupe, un lieu pour afficher ses productions et un lieu de reproduction.
La classe-atelier, tout en favorisant au maximum l’expression des enfants, permet aussi le travail au calme d’un enfant ou d’un groupe d’enfants (pour lire, se documenter, enregistrer …) ou le regroupement de toute la classe au coin-réunion.
L’organisation de l’espace évolue parallèlement à la vie de la classe, à la mise en place d’outils et d’ateliers nouveaux.
Pour conclure
C’est la structure institutionnelle, création «volontariste» des enseignants, qui va créer le champ d’appropriation du texte libre.
L’expression libre, cette production personnelle conduisant à la création, passe donc par une organisation rationnelle du travail de l’individu et du groupe. L’action de l’adulte, ici encore, est essentielle Des pistes qui peuvent aider
ACTIVITÉS ET OUTILS INCITATEURS A L'ÉCRITURE
Un certain nombre d'incitations, l'emploi d'outils facilitant l'émergence de l'expression pression écrite peuvent se justifier à certains moments.
Discussion et recherche coopérative
On peut établir, avec le groupe, une liste la plus large possible de toutes les choses qu'on peut écrire :
- ce qu'on a fait le dimanche ;
- ce qui te met en colère ;
- Un rêve :
- ce que tu feras quand tu seras adulte ;
- !a suite d'une histoire qu'on a aimée ;
- une histoire pour faire peur ;
- le compte rendu d'une observation
- si tu étais une fée, un magicien...
De ta même façon, on pourra chercher dans les textes de la classe, dans les livres qu'on aime, les ingrédients nécessaires à la réussite de ces textes :
- effets de suspense ;
- permanence des personnages
- pertinences ou invraisemblances de détails
Projets collectifs
La vie coopérative de la classe donne naissance à des projets collectifs de production (albums, scénari.. ). La participation à de tels projets en tant que coconcepteur et/ou en tant que corédacteur permet souvent le démarrage de expression écrite. En effet, la participation à une création littéraire collective est moins impliquante. Le champ de réussite est plus abordable car la responsabilité de l'oeuvre face aux normes plus ou moins explicites incombe au groupe et non a un individu isolé.
Dans ce cas, le travail de création n'est pas un acte purement individuel et, s'il est malgré tout soumis aux regards critiques, ce n'est jamais dans une situation où l’auteur est seul face aux autres.
Aux effets bénéfiques dus à la vie coopérative instituéepar l'enseignant, s'ajoute le rôle que celui-ci peut jouer pendant l'écriture des textes auprès des apprentis créateurs. II peut apporter son aide dans la conception de ce travail coopératif d'autant mieux qu'il a vécu lui-même les événements à décrire (visites, enquétes... ) .
Une passerelle entre la production de comptes rendus objectifs (type enquête) et d'écrits personnels issusde la vie de l'enfant ou de son imaginaire va s'installer ainsi progressivement.
Outils Incitateurs
Il est souhaitable que des enfants qui commencent à éprouver l'envie d'écrire mais sont encore victimes de leurs blocages puissent avoir recours à des documents incitateurs à l'écriture : documents porteurs de stimulations visuelles et/ ou auditives et/ou littéraires_
Dans ce cas, il ne s'agit pas encore de textes libres mais la pratique libre de ces productions écrites socialisées va habituer l'enfant à rédiger ses idées et à présenter son travail aux autres.
Un témoignage
Avant de le lire, elle déclare à ses camarades: «je sais, vous allez dire qu'il ressemble à Verlaine. Pourtant, je n'y ai pas pensé. C'est maintenant que je le vois.Et de retour à sa place elle écrira:
LA MORT
Paul Verlaine,
J’aurais bien voulu le connaître
Pour le voir faire ces poèmes.
Savoir s’il pensait dans la nature
Ou chez lui tranquille
Mais il est mort. Je ne le verrai pas.
Je n'ai pas !a prétention de vouloir jouer au psychiatre explique l'enseignante, Jeannette Metay, mais les faits sontlà ; ü faut bien les accueillir. Est-ce que cela a été bénéfique pour elle? je crois pouvoir répondre sans hésiter: oui! Il n'y a qu'à voir sa différence de comportement de son arrivée à l'I.M à sa sortie. Cependant, je ne me leurre pas, je sais que cette victoire est fragile, mais il lui restera la souvenir d'une année heureuse et n'est-ce pas important?
Et puis... et puis... c'est grâce aux textes libres que sa mère s'est aperçue qu'elle avait une fille, capable faire quelque chose et des liens ont été renoués. Ayant reçu en cadeau un cahier à spirales, elle met tout son coeur à recopier les textes qu'elle préfère Elle l'emporte un jour de sorti : mais on ne veut pas admettre qu'ils soient d’elle, ils sont trop bien... Nouveau drame... La déception s'estompe. La fête des Mères arrive. Entre temps, elle a faitun conte. Un jour, elle me dit: «J'offrirais bien mon conte à maman, mais elle ne voudra pas encore croire qu'il est de moi». Alors, j’authentifie l'album comme pour uns pièce très officielle. Le lundi, j'ai un visage radieux devant moi.
«Vous savez, maman et grand-mère se sont disputées! Elles voulaient toutes les deux le lire la première. Maman a dit: il a été offert à moi, je le lirai d'abord. Elle était rudement contente."
Là aussi, le souvenir restera, j'espère...
ATTENTION, NOUS NE PRÉTENDONS PAS JOUER LES
PSYCHOTHÉRAPEUTES
Piocher dans des textes libres dans l'espoir un peu naïf et simpliste d'y trouver une clé, peut entraîner à s'enfermer dans une compréhension fausse de ce qui est en jeu.
D'abord, ce que dit un enfantdans un texte ne peut être déraciné de l'ensemble de ses autres textes et surtout de toute son histoire que nous connaissons rarement de façon approfondie.
Ensuite, le texte, l'écrit n'est pas forcément un cri du coeur. Ce n'est pas forcément le lieu ou le moyen choisi par l'enfant pour tenter de recoudre une déchirure. Cette tendance àl'interprétation sauvagepeut devenir une caricature dangereuse car elle part d'un postulat erroné selon lequel l'enfant serait incapable de duplicité littéraire et, qu'écrivant, il se décrirait toujours. Enfin, nous n'avons, le plus souvent, ni la formation, ni les outils pour le faire
: il lui incombe de mettre en œuvre l’ensemble des moyens et des techniques nécessaires pour que l’enfant mobilise positivement ses possibilités latentes.
Extrait de French Cancans n°0 de janvier 1988
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