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BENP N°37 - Les Marionnettes

Mai 1948

 

Brochures d’Education Nouvelle Populaire n°37 – mai 1948

BROSSARD

Les Marionnettes

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Exposé général

Esprit de la marionnette

Un sujet aussi ancien et, en même temps, aussi actuel que le jeu des marionnettes, devait fatalement susciter de nombreux commentaires et toute une littérature à tendance plus ou moins pratique destinée à perpétuer, au cours des âges, la magie de la poupée vivante.

Dans tous,les pays du monde, dans toutes les langues, il existe des traités sur les Marionnettes, mais traités assez peu favorables, pour la plupart, à la vulgarisation du genre : techniques trop savantes ou simples compilations de détails, longues descriptions de réalisations déjà caduques, peu d'ouvrages peuvent prétendre à être un guide sûr et simple pour l'éducateur qui désire réaliser ou faire réaliser à ses élèves un théâtre de poupées.

Plus rares encore sont ceux qui abordent franchement la valeur éducative des Marionnettes et leur utilisation comme moyen d'expression libre de l'enfant.

Cependant nous pourrons citer les sources suivantes d'une réelle valeur pratique et pédagogique à la fois :

Comment construire et animer nos Marionnettes, de Marcel Temporal (Bourrelier).

Les Marionnettes Scoutes, n° spécial de routier (Ed. des E. d. F.)

Marionnettes de Jacques Chesnais (Ed. « La Flamine »).

Cette B.E.N.P. n'a pas la prétention de combler la lacune dont il est parlé ci-dessus. Tout au plus, espérons-nous lancer nombre de nos collègues sur une voie nouvelle qui, peut-être, nous conduira à une technique rénovée de la Marionnette.

On trouvera donc dans cette brochure, avec des renseignements d'ordre très pratiques, un exposé des principes qui doivent, à notre avis, présider à l'utilisation scolaire des poupées, dans l'esprit de liberté d'expression qui règne à la C.E.L. Nous avons joint à nos remarques quelques suggestions et résultats proposés par un certain nombre de nos adhérents, praticiens enthousiastes du genre et nous espérons que ces tentatives qui, pour la plupart, sont des réussites, encourageront les novices et décideront les indécis à entrer résolument, dans le castelet.

 

Court aperçu historique

Les poupées animées sont vieilles comme les civilisations. Nous connaissons des marionnettes grecques, des marionnettes égyptiennes, chinoises, japonaises, pour ne citer que celles qui ont plus de 3000 ans d'âge.

Les menestrels du moyen âge jouaient « à la planchette » des scènes des mistères où figurait le personnage de Marie, d'où le nom de mariottes puis de marionnettes.

Chaque pays a connu son héros de petite taille, parfois oublié, souvent bien vivant encore : Gianduia en Italie, Kesperl en Allemagne, Petrouschka en U.R.S.S., Master Punch en Angleterre. En France, après le Polichinelle du 17e siècle, ce fut sous le Second Empire, Lafleur; charmante marionnette à fil du nord, et surtout Guignol, création très lyonnaise de Mourguet, qui gagna la capitale et a donné son nom, à tous nos théâtres de poupées à gaine.

Depuis quelque vingt ans, et surtout depuis la dernière guerre, les marionnettes connaissent de par le monde un regain de faveur. A Salzbourg, à Moscou, en Tchécoslovaquie, aux U.S.A. fleurissent des théâtres de « fantoches » d’une merveilleuse réalisation. Chez nous les théâtres de marionnettes renaissent un peu partout. Il n'est, pas possible de noter ici toutes les réalisations marquantes. Nous citerons cependant « le théâtre du Luxembourg » de Robert Desarthis, qui a si joliment rafraîchi le poussiéreux Guignol lyonnais et a su lui donner son caractère propre de féerie et de merveilleux.

***

MARIONNETTES ET ÉDUCATION

Dans les pays anglo-saxons, la tradition des belles marionnettes ne connut jamais d'éclipse comme ce fut le cas en France. Aussi y sont-elles utilisées depuis longtemps dans les écoles et connaît-on, en profondeur, leur valeur éducative. Aux U.S.A. il n'est guère d'Universités sans son équipe de spécialistes « of Puppelry ». En Angleterre, dans de nombreuses villes, des professionnels vivent de leurs activités marionnettistes dans les écoles. En Europe Centrale en U.R.S.S., les marionnettes sont également très utilisées en éducation.

En France, où nous en sommes manifestement à la période des essais, on peut distinguer quatre utilisations pédagogiques des « guignols » :
le guignol, spectacle pour enfants ;
la confection de marionnettes, travail manuel pur ;
le guignol utilisé pour rendre moins rébarbative la classe traditionnelle ;
et, enfin, le guignol moyen d'expression libre.

C'est cette dernière concrétisation, cette réalisation totale de scènes vécues ou racontées par l'enfant à l'aide de marionnettes, qui nous intéresse surtout, sans sous-estimer, bien entendu, les autres utilisations.

Cette technique nouvelle, venant s'ajouter, et comme en parallèle, aux textes libres nous apparaît comme l'utilisation du guignol la plus originale, la plus riche, mais aussi la plus délicate à cause du caractère propre de la marionnette, qu'il s'agit de respecter, à cause aussi du cachet artistique que l'on peut lui créer.

***

PRÉCIEUX « MARMOUSETS »
OU GNOMES INFORMES

Il existe un art de la marionnette. Il suffit, pour s'en assurer, de voir quelques-unes des merveilleuses réalisations des meilleurs artistes marionnettistes de notre temps, de Jacques Chesnais, de Robert Desarthis, de Georges Lafaye, Gaston Baty, etc...

Aussi n'est-ce pas sans certaines appréhensions que nous voyons confier à des enfants poupées et castelet, que nous les engageons nous-mêmes à créer tout leur théâtre : têtes, décors, costumes, scénarios.

Le grotesque, le médiocre, l'informe la platitude guettent nos guignols scolaires.

Et nous qui aimons les beaux « fantochi », les précieux « marmousets », voudrions les protéger de cette déchéance ‑ parce que les enfants les aiment comme nous : vivants, aériens, étonnants, parce que, défraîchis, ils n'éveilleront plus d'écho dans leur imagination parce qu'ils risquent alors d'être abandonnés, méprisés comme un cahier de pensums ou un manuel sans intérêt.

Heureusement l'enfant est poète, donc artiste. De même qu'on lui confie les outils du peintre et qu'avec l'aide d'un éducateur scrupuleux et averti il s'exprime en de charmants tableaux, de même à certaines conditions, pourra-t-il s'exprimer en de charmantes marionnettes.

Aussi notre but est-il, plus encore que de donner ici des techniques, de définir les limites de l'utilisation du guignol en éducation, et les principes qui doivent présider à cette utilisation pour que « Guignol » reste cet « univers de rêve où chaque enfant évolue avec aisance ».

***

CARACTÈRES PROPRES A LA POUPÉE ANIMÉE

« Le registre extrêmement limité de leur geste, leur impossibilité de traduire par mimique leur interdit de reproduire la vie : c'est ainsi qu'elles acquièrent le pouvoir d’évoquer. Elles ne traduisent pas, elles signifient...

Elles font découvrir plus largement la vie parce qu'elles ne la possèdent pas. Elles nous font accéder au rêve parce qu'elles sont de bois. « 

(André-Charles GERVAIS, Marionnettes et Marionnettistes de France. Ed. Bordas).

S'il fallait caractériser les marionnettes en deux mots ou pourrait dire qu'elles sont merveilleuses et mystérieuses : merveilleuses à cause de leur taille qui les apparente à des êtres irréels, aux nains, aux gnomes, aux lutins.. ; mystérieuses, puisque de bois ou de chiffon, elles sont animées, vivantes, parlantes et parce qu'on ne voit pas leurs jambes et que, pourtant on les sent marcher.

Aussi, la vraie marionnette n'est-elle jamais le « monsieur » de tous les jours, copie exacte et réaliste des gens dé notre époque qui évoluent devant l'enfant. Elle peut en être une transposition, une évocation stylisée, mais la vraie marionnette est moyen-âgeuse, du « grand siècle » ou d'Empire, comme Guignol lui-même. Elle est aussi du type régional, breton fûté ou lourd auvergnat. Elle est surtout personnage de rêve de fantaisie, Polichinelle le nain, le clown, personnage de féerie : la fée Bleue, Blanche-Neige, etc...

La marionnette, ne reproduit pas la vie humaine. Elle a son rythme, elle a sa magie ; magique, voilà bien le qualificatif qui lui convient, elle qui s'évade du réalisme avec tant de facilité. L'enfant ne l’aime qu'ainsi. Ne la déflorez pas, ne l'incarnez pas en un personnage d'occasion, en faisant d'elle la bouchère du coin, la maîtresse ou l'élève sage.

Ces caractères propres aux « fantocchi ».et qui en sont le charme, ont souvent, été oubliés par des montreurs trop pressés, pas assez scrupuleux ou pas assez artistes. La trique et le pot de chambre masquèrent alors leurs insuffisances. Il ne faudrait pas que nos marionnettes scolaires eussent un sort semblable.

Et nous affirmons d'abord que le grand danger c'est l'abus des marionnettes à l'école, leur usage intempestif, à tous propos, à tous moments, la quantité ne nuit-elle pas souvent à la qualité ? ensuite la facilité, cette facilité qui doit être condamnée, pourchassée en toute technique éducative, à l’imprimerie, comme en dessin en texte libre comme en chant.

A cause de leur caractère généralement artistique, nous pensons qu’il y a lieu de ne jamais oublier que les marionnettes doivent être belles autant qu'évocatrices, qu’alles doivent toujours concourir à l’éducation artistique de l'enfant en même temps qu’à la formation de son langage et à l'enrichissement de son expression.

***

MAINTENIR LA TRADITION DES BEAUX GUIGNOLS

C'est, pour ces raisons que nous pensons qu on doit maintenir vivante la tradition des beaux guignols et la remettre en honneur dans bien des coins. Les marionnettistes sont trop peu nombreux en France pour que nos élèves puissent tous connaître « cet univers de rêve où chaque enfant évolue avec aisance », cette vibrante féerie qu’est un beau spectacle de marionnettes. Aussi pensons-nous qu'il faut d'abord que les éducateurs créent eux-mêmes, à l'usage de leurs élèves, de beaux guignols - qu'ils - constituent des équipes de marionnettistes, à l'école, à la colonie de vacances, au patronage laïc, à la maternelle surtout, que leur réalisation soit un modèle pour les enfants, suscitant le désir de réalisations semblables.

A la maternelle c'est même la seule utilisation possible des marionnettes, ainsi, d'ailleurs, qu'aux C.P. des classes primaires.

Nos camarades de l'école maternelle Reine Henriette, à Colombes (Seine), ont ainsi présenté aux regards admirateurs de leurs jeunes élèves, une belle série de poupée, évoluant sur d’habiles scénarios inspirés de la chanson « 3 jeunes tambours » et de « Nils Holgerson », dont nous donnons plus loin quelques extraits. Notre camarade Flamant, aidé de ses grands élèves, a mis en scène une magnifique « chasse au lion de Tartarin ». D'autres encore ont commencé par le guignol récréatif qui les conduira au guignol moyen d'expression libre de l’enfant.

 

Le guignol n'est pas du théâtre en raccourci

L’acteur vivant quel que soit son talent, nous gêne toujours en mêlant au drame fictif qu'il incorpore, un élément intrus, quelque chose d'actuel et de quotidien, il reste toujours un « déguisé ». La marionnette, au contraire, n'a de vie et de mouvement que celui qu'elle tire de l'action.

Ce n'est pas un acteur qui parle, c'est une parole qui agit. »

Paul CLAUDEL.

La marionnette a son optique propre, bien différente de celle du théâtre, ses conventions même, ou plutôt sa convention ; tous les effets proviennent du mouvement. « Le mouvement a, dans un théâtre de fantoches, un rôle primordial. Tout texte statique doit en être exclu. » Tout emprunt au théâtre exige une importante transposition et adaptation.

C'est avant tout un art visuel pictural, plastique, bien plus proche du cinéma que du théâtre.

Il y a vraiment un genre « marionnette ».

Pour mieux définir le genre, nous citerons quelques exemples empruntés aux essais de nos camarades :

Les magasins

Pour la toute première représentation de ce genre, j'avais proposé moi-même le sujet. C'était simplement la représentation du jeu favori des fillettes à ce moment : « Les magasins ». Nous avons fait ensemble le scénario pour les marionnettes à gaines. Il y avait la ménagère, la bouchère, l'épicière et le pharmacien. Quatre enfants tenaient les rôles.

Le rideau s'ouvre.

LA MÉNAGÈRE (s'adressant aux spectateurs), Bonjour, mes enfants ! (Les enfants répondent : bonjour, madame !) Je suis venue à Braine par l'autobus de 8 heures. J'ai même failli le rater ! je suis matinale, n'est-ce pas, pour faire mes achats ? (Oui !) Voyons si, les magasins sont ouverts (elle frappe). Personne ne répond, ils sont encore au lit certainement !
Voyons chez la bouchère. (Elle agite une sonnette.)
LA BOUCHÈRE, (qui apparaît). ‑ Bonjour, madame ! Que désirez-vous ?
- Un rôti de veau de un kilo.
- Je n'en ai justement pas ; j'ai encore des carbonades.
- Vous n'avez que cela ?
- Voulez-vous du bifteck ?
- Je crains qu'il ne soit trop dur, car mon mari a de mauvaises dents.
- Je puis vous le hacher, si vous le voulez.
- Oui, cela ira.
- Combien en voulez-vous ?
- Un demi-kilo suffira.
(La bouchère passe la viande au moulin.)
LA MÉNAGÈRE. - Il fait frais ce matin.
LA BOUCHÈRE. ‑ Oui, madame ! Mais je crois qu'il fera beau. Voilà, madame.
- Combien, madame ?
- C'est 25 francs et quatre timbres.
- Voici, madame.
- Merci, madame. A votre service.
- Au revoir, madame.
- Me voilà servie chez le boucher. je vais voir si l'épicerie est ouverte.

MAWET.

Et, il y a encore la scène de l'épicière et du pharmacien ! Ce n'est vraiment pas là du guignol. C'est certainement un intéressant exercice d'élocution. Peut-être aurait-on pu en faire une scène de théâtre libre, à condition de trouver un dénouement. Mais c'est le genre de scène à ne pas systématiser en le faisant passer par le truchement de la marionnette. On ne peut pas tout jouer avec des poupées. Les enfants qui, ont montré cette scène, ont-ils jamais vu un beau guignol ?

Des scènes de théâtre libre aussi bien réussies que « Vente d'un poulain », ou que « Le marchand de tabac » de l'Ecole de la Baroche-Gondouin (Mayenne) citées dans « le Théâtre Libre » d'E.Freinet, n'auraient donné que de bien mauvais scénarios de guignol - du moins jouées telles qu'elles sont présentées.

« Le marchand de tabac » aurait pu être adapté. Voilà comment :

Il aurait fallu trois poupées très expressives : un gros marchand de tabac, rouge, en chemise et tablier bleu, un client en chapeau et veston et un brigadier moustachu, à gros sourcils. Le dialogue aurait dû être considérablement raccourci pour accélérer le mouvement. L'action aurait commencé avec le marchand seul, qui aurait manipulé des paquets de cigarettes, des vrais : il les aurait comptés peut-être. Coup de sonnette. Entrée du client. Puis il aurait été bon de régler, comme une évolution, la lutte autour du paquet de cigarettes que le client veut prendre, seul, puis autour du téléphone (un énorme téléphone, qui parlerait peut-être). Coup de théâtre : arrivée du gendarme au milieu des vociférations des deux antagonistes... etc...

Nous ne continuerons pas. Il est aisé de voir ce qu'est le guignol, celui qui plaît à nos enfants, celui qu'ils sauront le mieux réaliser.

La rencontre internationale
Ecole de Bar-sur-Seine (Aube)
O.VALLAS et M.LAVIEILLE

En fin d'année, nous avons réalisé : « Une rencontre internationale de marionnettes ». Douze poupées furent préparées et costumées pour représenter quelques provinces françaises et quelques pays ou région de la Terre. Chaque enfant dut se documenter pour réaliser la poupée (teint, traits, costume) et être paré pour répondre aux questions posées par ses amies étrangères. Des noms furent choisis d'après des souvenirs de lectures : Mme Chrysanthème, Mowgli, Nuit-Rouge, Nanouk etc... Certains chantèrent pour elles des chants régionaux. Cela se termina par (« La Ronde » (P. Fort), récitée par la Parisienne. Les applaudissements des douze petits personnages rassemblés et leur salut à l'unisson étaient d'un comique charmant et irrésistible.

Voilà bien une vraie idée de guignol. Nous regrettons que nos camarades n'indiquent pas les jeux de scène, les différentes entrées, les gags qui ont dû naître nombreux de la rencontre de tous ces gens des quatre coins de la terre. Le spectacle se termine vraiment comme doit se terminer un spectacle de marionnettes.

***

Le Dragon et la Princesse

Et voici emprunté au répertoire de notre « Joyeux Guignol » un troisième exemple. « Le dragon et la princesse », tiré d'un conte d'enfant publié dans un numéro de « La Gerbe ». A vrai dire, l'adaptation fut facile, le conte semblant avoir été imaginé pour des marionnettes. Il y a là des vrais personnages de guignol, un roi superbe, couronné de pourpre et d'or ; une fine princesse toute rose au hennin pointu ; un prince au plumet superbe, amoureux de sa belle ; une vieille, mystérieuse ; une fée, diaphane et bleue, et un dragon lançant des flammes, tout hérissé de pointes se tordant en lançant des cris affreux.

Le dragon veut manger la jeune princesse. Le prince voisin au péril de sa vie va combattre le dragon. A vrai dire il a très peur dans la forêt, il tremble, car il a oublié son épée. A une vieille femme qui l'implore, il donne son déjeuner (un énorme sandwich) et elle se transforme en un éclair (de l'installation électrique) et la belle fée bleue, qui lui rend courage et lui donne l'épée magique pour tuer le monstre. Il y aura combat devant la planchette, et le prince repartira chargé de la tète du monstre, pendant que le corps se tord encore, puis retombe inerte.

Vous imaginez la fin... et cela se termine dans un grand bal à la cour, en une évolution bien réglée sur un menuet ancien : le roi danse avec la fée, le prince Charmant avec la princesse Aurore qu'il épousera.

Je passe les nombreux gags, les entrées mouvementées du dragon, de la vieille, l'appel des héauts qui restent en coulisse, la fuite devant le dragon les éclairs, l’arrivée du prince au château avec la tête maudite, l'intervention du ministre qui va chercher le corps pour le distribuer contre le ticket DK de 1250... etc...

Je ne puis donner ni le canevas d'ensemble, ni le détail de quelques scènes, puisque nous jouons à l'italienne, en improvisant entièrement ‑ et que le canevas utilisé les premières représentations finit toujours par se perdre, devenu rapidement inutile.

Ces quelques exemples situent assez bien ce qu'est le guignol, en quoi il se différencie du théâtre. Ils montrent aussi qu'il est vraiment spectacle spécifiquement enfantin et, on conçoit aisément combien les enfants sont à l'aise dans ce inonde à leur taille, aussi bien quand ils sont spectateurs qui, lorsqu'ils sont les animateurs des merveilleux pantins de bois et chiffon.

***

LE GENRE MARIONNETTE ?

C'est parce que les marionnettes sont spectacle d'enfants, que le mouvement et la couleur y ont la première place.

Choix des personnages, caractère et coloris des poupées, effets de décors, rythme de l'action sont donc placés sous le signe de la stylisation, d'une sorte d'impressionnisme surréaliste.

Des personnages de rêve, de féerie, de fantaisie, des caractères très saillants, des animaux de fables ou de légendes, des personnifications osées, des héros de chansons ou de contes, des types provinciaux : un preux en cuirasse, un médecin de Molière, cigale et fourmi, un dragon, la licorne, le diable, le rayon de lune, la petite flamme une grosse violette qui parle dans « le Sous-Préfet aux champs », Pierrot, les 3 jeunes Tambours, Pinocchio, le Coléreux cheveux hérissés, l'Endormi, le ch'ti Quinquin... etc... Voilà des personnages très marionnette.

Et les poupées seront très évocatrices de la personnification à réaliser, par des couleurs vives, franches et adaptées au personnage, par des détails caractéristiques peu nombreux mais très amplifiés, par une simplification suggestive : une fée toute de dentelle bleue, long hennin, visage bien sans trait ; une fourmi noire et rouge aux pattes démesurément allongées ; la jeune fille, rien qu'une petite bouche en cœur, vermeille ; un poivrot, sur teint rouge un seul grand nez bleu ; la girafe, seulement un long cou tacheté et 2 petites cornes ; un toréador, du rouge et de l'or ; l'Etonné, deux grands yeux ronds en boutons blancs centres de petits boutons bleus ; la « Peur », un visage vert, etc...

Les décors de marionnettes servent de fond à l'évolution des poupées et ne sauraient détourner l'attention du mouvement scénique et de la couleur de ces derniers, qu'ils doivent, au contraire, faire ressortir. Ils sont donc toujours très sobres et bien souvent unis. Ils jouent par la richesse ou la simplicité de leur teinte.

Mais c'est plus spécialement par le mouvement des poupées, la succession des scènes, les, manipulations d'accessoires, les « gags », les évolutions et les ballets, par le drame accentué et visuel que les marionnettes se différencient des autres spectacles.

Comme dans leur silhouette, tout est stylisation dans le jeu des poupées.

Aussi les pièces de Molière le « Malade       Imaginaire » comme le « Bourgeois Gentilhomme » n'ont-elles leur place à Guignol qu'après une très importante transposition. Tandis que « Barbe-Bleue » ou

« Ali Baba » semblent avoir été écrits tout exprès pour marionnettes.

Valeur éducative des théâtres de poupées

« On ignore presque totalement les immenses ressources du guignol, non seulement du point de vue récréatif, mais aussi du point de vue expression libre et utilité pédagogique. »

C. FREINET.

La création d'un théâtre de marionnettes est une réalisation d'ensemble qui touche à de multiples activités naturelles. C'est également le travail d'équipe type.

Construction du castelet, conception, puis confection des poupées et des décors, mise au point du canevas de la pièce, répétitions, puis jeu final, motivent puissamment toute une gamme d'actions : se renseigner, acheter, projeter, comparer, discuter, dessiner, essayer, calculer, orner, juger, vivre son personnage ; sans parler des activités purement. manuelles, comme coller, clouer couper, coudre, peindre, etc... Il y a du travail à la mesure de chacun, pour l'imaginatif' comme pour le bricoleur. Alors se révèlent les talents méconnus Dans l'enthousiasme de la création, les qualités de chacun sont grandement mises à contribution.

Il faudrait des pages si l'on voulait définir avec précision tous les aspects éducatifs de la construction des marionnettes, de leur jeu, et de leur spectacle. Nous nous contenterons ici de dégager les principaux.

Le jeu développe plus particulièrement l'assurance, la confiance en soi, le calme et la maîtrise ; il vainc la timidité, plus facilement que le théâtre. Il développe au plus haut point la faculté d'élocution. Nous reparlerons ailleurs du magnifique moyen d'expression libre qu'est la marionnette.

Il est bon d'insister sur le parfait contrôle de soi exigé par le jeu des marionnettes où il faut, à la fois manipuler sa poupée, improviser, bruiter, chanter, évoluer, ‑ ce qu'on ne peut réussir qu'en s'identifiant parfaitement a son personnage. Quel admirable exercice éducatif, physique, intellectuel, affectif même !

La réalisation d'un théâtre de poupées et des scénarios doit être également l'occasion d'une véritable éducation artistique : poupées fines, élégantes et évocatrices, décors simples et suggestifs, chants bien nuancés, évolutions majestueuses, « un monde de l'harmonie ».

Et comme la consécration de ces activités c'est toujours la représentation désintéressée devant un publie vibrant d'enfants ou de plus jeunes camarades, nos jeunes acteurs invisibles, insensibles au cabotinage, découvrent alors « la pure joie de donner de la joie », une satisfaction altruiste qui les enrichit noblement, et la fierté d'avoir réalisé et réussi une couvre utile et socialement appréciée.

***

CE QU'EN DISENT
QUELQUES‑UNS DES NOTRES

« …Un centre d'intérêt remarquable qui permet d'activer de façon durable la rédaction du texte libre, d'enrichir et répandre le journal scolaire, d'appuyer le dessin, la musique, les travaux manuels de toutes sortes ».

CRESPY, à Arrien (Ariège).

« ...Les marionnettes sont une activité complète : outre le travail manuel éducatif que cela demande, l'enfant façonne la tête et la peint en fonction du personnage qu'il veut jouer, au lieu d'avoir une marionnette passe-partout qui sera aujourd'hui un roi, demain une marchande ou un jardinier ‑ et que d'ailleurs les petits spectateurs reconnaîtront ».

HECQUET (P-de-C.).

***

QUAND FAIRE DU GUIGNOL A LÉCOLE ?

C'est assez dire qu’on ne fera pas Guignol à des heures prévues d'avance dans les horaires, non plus qu'à des moments de l'année prévus par le plan de travail.

A un camarade qui lui écrivait qu'il fallait « être poète », pour susciter de la part des petits le jeu scénique d'une histoire vécue et recréée, Roger Lallemand répondait : « Il faut surtout que l'occasion se présente »j.

Notre camarade Mawet écrit a ce sujet :

A Présent chaque samedi, à la réunion, lorsque nous préparons le plan de travail pour la semaine suivante, les enfants se font inscrire pour la présentation d'une pièce soit avec les marionnettes à gaines, soit avec les marionnettes suspendues. A ce moment, ils ont l'idée du sujet et, au cours de la semaine, ils préparent le scénario, seul ou par groupe. (Autour de ce canevas, ils brodent au moment du spectacle,) je lis ce travail et nous le corrigeons ensemble Ils dessinent les décors, cousent les costumes. Parfois des répétitions ont lieu pendant les récréations.

L'après-midi du samedi (étant réservée au théâtre), on bat le rappel et tout le monde assiste à chaque représentation. On applaudit et on critique.

Si nous approuvons la manière dont est préparé le scénario, corrigé, puis répété, nous ne pouvons qu'être inquiet de cette systématisation de l'emploi des marionnettes. Elle risque de conduire tout droit à un vilain théâtre de poupées peu soignées et de faire oublier les délicieux « marmousets » dont nous avons déjà parlé.

Nous préférons, avec Lallemand, qu'on profite de l'occasion. Ce sera après une représentation de guignol, ce sera pour faire revivre un conte lu ou imaginé et qui a tant plu à toute la classe. Ce sera pour la fête de l'école, ou pour enchanter un dimanche les petits malades de l'hôpital voisin, ou les petits frères de la Maternelle.

On profitera alors d'un élan d'enthousiasme, et le but final, la belle représentation, maintiendra l'ardeur jusqu'à la réussite. On polira et repolira son oeuvre. On répètera jusqu'à ce qu'on soit satisfait de la manipulation , des effets. Les poupées seront belles et créées pour la pièce, les décors seront frais, le ballet bien réglé, les éclairages réussis.

Alors il ne faudra pas hésiter à utiliser toutes les heures de la journée, de la semaine même, à répéter le jeudi, s'il le faut. Les heures ainsi consacrées à la réalisation d'une œuvre complète et réussie sont toutes des heures d'or de la vie de l'enfant, comme de la vie de l'éducateur. Rien n'est plus éducatif que ces réalisations d'ensemble, que ces travaux d'équipe qu'on peut admirer une fois terminés dans leurs détails et dans leur ensemble, dont chaque enfant est fier comme si le tout était son œuvre.

ET SURTOUT PAS
DE MARIONNETTE FORMELLE

Il ne faudrait pas vouloir tout faire passer par le truchement de la marionnette. Elle a, redisons-le, son optique spéciale, où mouvement et action jouent le côte principal.

Attention, surtout, à ne pas imposer le guignol. S'il n'intéresse pas nos élèves, sachons l'abandonner pour un temps et attendons l'occasion « d'actualité » qui permettra de reprendre cette activité. Alors profitons de l'enthousiasme du moment et poussons inachèvement, fiévreusement, l'exécution « sans jamais leur imposer notre propre invention ou notre propre esthétique ». (L. CHANCEREL.)

Enfin, pas de guignol formel, de guignol pour le guignol, pas d'exercice de guignol, comme on a fait si longtemps des exercices de rédaction sans but, donc sans intérêt. Notre guignol sera facilement motivé : le guignol est un spectacle, il s'agit toujours de monter un spectacle pour d'autres enfants. C'est une manière de s'exprimer pour autrui, de correspondre par le jeu de la marionnette, comme on correspond par le journal et, par la lettre. Supprimer cette finalité serait briser le ressort merveilleux, moteur de toute activité sociale.

Les techniques marionnettes
et leurs applications à l’école

AVANT D'ABORDER
LES TECHNIQUES

Ce n'est pas en quelques pages d'une brochure qu'on peut exposer en détail les innombrables techniques de fabrication des marionnettes et de leur jeu (scénarios et manipulation). Il y faudrait des volumes.

Aussi bien n'en voyons-nous ni l'intérêt, ni la nécessité. Là n'est pas notre but.

D'ailleurs, les trois ouvrages cites au début de cette étude, présentent assez habilement des techniques déjà bien connues : pâtes de papier, peinture à la colle... etc...

Nous nous contenterons de signaler celles des techniques qui nous paraissent s'adapter à la vie scolaire, et de donner quelques conseils pratiques susceptibles d’éviter de longs tâtonnements.

L'Educateur continuera de publier les procédés particuliers et originaux mis au point ou essayés par les collègues.

POUPÉES A FILS
POUPÉES A GAINES

Certains auteurs donnent le nom de marionnettes aux poupées manipulées du dessus par fils et de guignol aux poupées à gaine.

Nous n'avons pas fait cette différenciation tout au long de cette étude, mais il convient de signaler que nous pensons toujours à la poupée à gaine, celle qui se chausse sur les doigts, et toutes les techniques décrites ne s'appliquent qu'à elle.

C'est celle-là que nous adopterons dans nos écoles à cause de sa relative facilité de manipulation et de sa réelle facilité de fabrication.

Nous tenons cependant à signaler que nos amis belges Mawet utilisent des poupées suspendues à la tête par un seul fil.

***

DIMENSION DES TÊTES,
DES GAINES, DU CASTELET

Les têtes des marionnettes sont de tailles très variables. On distingue en gros les têtes de moins de 10 cm. de haut ; ce sont celles qui donnent les poupées les plus vivantes, l'harmonie de proportion entre corps, bras et tête n'étant pas rompue, - et les têtes de 16 à 18 cm. de haut, type professionnel, faites pour être vues de plus loin.

Nous donnerons la préférence à l'école aux petites têtes de 10 à 12 cm., sauf lorsqu'il s'agira de personnages d'un caractère très moderne, genre surréaliste les grosses têtes se prêtant même à la stylisation.

Les dimensions des gaines seront fonction des mains des manipulateurs. Nous aurons donc deux tailles de gaines : pour enfants et pour adultes. Nous donnerons des dimensions pour adultes, qui seront à réduire pour les enfants,

Les castelets seront plus ou moins grands également et l'ouverture de scène sera toujours proportionnée à la taille des poupées manipulées. De toutes petites poupées dans une grande ouverture de scène perdent une importante partie de leurs effets. Les évolutions de grosses poupées dans un petit castelet sont considérablement gênées.

DES TÊTES ACHETÉES

Au récent Congrès de Toulouse, quelques collègues discutant marionnettes, se mirent facilement d'accord pour condamner l'achat de têtes toutes faites.

Voilà comment Hecquet (P.-de-C.) justifia dans l'Educateur cette condamnation :

« Au camarade qui demande de lui fournir des têtes, je répondrai que les marionnettes sont une activité complète : outre le travail manuel éducatif que cela demande, l'enfant façonne la tête et la peint en fonction du personnage qu'il veut jouer, au lieu d'avoir une marionnette passe-partout qui sera aujourd'hui un roi, demain une marchande ou un jardinier - et que

d'ailleurs les petits spectateurs reconnaîtront. Ne commercialisons pas un travail qui peut être si éducatif ». - HECQUET (P.-de-C.).

N'achetez donc jamais de têtes toutes faites. Si vous n'avez pas le temps de les faire, faites-les faire en fonction des personnages que vous voulez créer, donnez au sculpteur vos suggestions et, si vous le pouvez un croquis de chaque tête à réaliser. Mieux faites tourner des formes variées, desquelles vous sortirez des poupées toujours très originales.

Les castelets

Il y a à peu près autant de castelets que de marionnettes. Les castelets dépendent des matériaux dont on dispose, de la taille des poupées et surtout de celle des manipulateurs, également des conditions des transports qui seront imposées a ces castelets et, plus encore, de l'ingéniosité des réalisateurs.

Il est bon de rappeler que le castelet n'est vraiment qu'un accessoire, un simple cache, plus ou moins pratique, Un rideau, une couverture tendus entre les 2 battants d'un placard ou d'une armoire dans l'ouverture d'une porte, dans l'angle d'une pièce suffisent à de vivantes marionnettes rondement manipulées. Jamais le castelet ou sa décoration ne doivent concurrencer le jeu des poupées. Il sera donc très simple et uni.

Un principe absolu : les animateurs manipulent toujours DEBOUT et c'est leur taille qui détermine la hauteur, de la bande. Pour les élèves, il sera bon de prévoir cette hauteur variable.

De chaque côté de l'ouverture de la scène, les dégagements pour les sorties et entrées des poupées seront d'au moins 30 à 40 cm. Un fronton assez élevé cachera les échappées vers le plafond, Le tout sera tendu, de préférence, de toiles ou d'étoffes d'une teinte sobre, plutôt foncée.

Dimensions à donner à la scène :
a) Pour des poupées de moins de 10 cm.
ouverture 1m à 1m20 X 0m60
profondeur 1m à 1m20
b) Pour des poupées maxima de 16 à 20 cm. :
ouverture 1m60 à 1m80 X 0m90
profondeur : 1m40.

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QUELQUES TYPES
DE CASTELETS

La brochure de Marcel Temporal déjà citée contient une excellente étude sur les castelets, illustrée de nombreux croquis, dans laquelle chacun puisera selon ses possibilités et inspirations du moment.

LES DÉCORS

L'essentiel étant le jeu des poupées, on tendra vers les décors très simples, stylisés. Seront proscrits les décors bariolée, les peintures léchées, représentant une perspective de place, ou de rue, un site passe-partout... On jouera plutôt sur un beau rideau de fond, de couleur foncée, qui rehaussera le caractère des marionnettes. Si l'on tient absolument à évoquer un lieu, on utilisera des portants latéraux, ou l'avant-scène en contreplaqué on en carton.

 

Installation électrique

SERVANTE
RIDEAU - ÉCLAIRAGE

La servante de bande est une planchette courant à l'avant de la scène, sur laquelle les poupées posent les accessoires manipulés. Elle se fait de largeur variable de 18 à 20 cm.

Le rideau doit être d'un maniement simple et sûr. Pour cela achetez tout simplement une solide tringle à anneaux coulissants pour double vitrage, qu'on trouve facilement dans le commerce.

ECLAIRAGE :

Les poupées recherchent leur plein effet à la lumière électrique, qu’on emploiera aussi souvent que possible môme de jour - et en salle obscure de préférence.

Le poupées seront éclairées le plus de face possible et assez en avant puisqu'elles sont souvent près ou même au-dessus de la bande. Les rampes, herses, réflecteurs d'intérieur de scène sont toujours d'une installation et d'un maniement compliqué. Un seul réflecteur extérieur, en cône, peut les remplacer.

Voici le plan d'une installation électrique plus perfectionnée :

Réflecteur conique monté sur pivot à vis à ailette, inclinaison variable. On évitera d’éclairer l’extérieur du castelet

La rampe est faite avec une gouttière de zinc ne dépassant pas en hauteur la planche horizontale, de larges tubes sont disposés en bout.

Plafonnier disposé à l'intérieur du guignol. Le projecteur est fait avec une boîte de conserve coupée en deux et convenablement polie. Une « queue » est soudée pour permettre l'accrochage. Derrière le fronton, un trou convenable est percé dans le fond et permet la fixation comme un abat-jour.

Les têtes

LES TÊTES EN PAPIER

Les diverses, techniques de fabrication des têtes en bandes ou pâte de papier sont les plus connues, les plus répandues. Elles ne nous paraissent pas être les plus intéressantes. Elles sont loin de donner d'aussi jolies poupées que les formes tournées ou le chiffon bourré. Elle nécessite en tous cas beaucoup plus de goût si l'on ne veut avoir des monstres informes et présentent certains inconvénients : fragilité des cous, trous (les doigts difficiles à calibrer, séchage très lent. Elles sont, par contre, légères et bon marché.

Le meilleur procédé de fabrication nous paraît, è l'usage, être celui des plaques de papier journal encollées, tel qu'il est présenté dans le livre de Marcel Temporal « Comment construire nos marionnettes ». Il faut toujours penser à renforcer considérablement le cou, - ne pas chercher à obtenir un modelé très fouillé ; se contenter des grandes masses du visage. Pour ne pas créer de gnome affreux, se rappeler et surtout rappeler aux enfants qu'il faut :

partir d'une forme ovoïde (préparer la matraque exactement comme l'indique Marcel Temporal) ;

placer les yeux à mi-hauteur de la tête et, dans des cavités bien marquées ; ne pas les faire saillir ;

ménager deux autres renfoncements de chaque côté de la bouche, sous les joues.

Enfin, ne jamais faire de têtes en deux parties, face et derrière de tête, qu'on assemblerait après par bandes collées. Ce procédé qui a été présenté deux fois dans l'Educateur, ne présente aucun intérêt, alors qu'on peut faire la tête d'une seule pièce. Les têtes en deux pièces sont très difficiles à réussir, à assembler et toujours très fragiles.

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LE PROCÉDÉ DE VALLAS ET LAVIEILLE

1° Bien imprégner de silicate de chaux qu'on emploie pour les conserves d’œufs, une surface de gaze à pansements suffisante pour recouvrir le visage et la mouler sur :
une figure de vieille poupée de porcelaine; ou une figure de bébé-nageur en celluloïd ; ou une figure modelée sur argile enduite soigneusement d'un vernis ou peinture cellulosiques (vernis à ongles, peinture des carrossiers, retin-cuir qu'on trouve chez le droguiste). Faire le moulage avec les doigts abondamment enduits de silicate.
2° Laisser sécher 6 à 8 heures, puis enlever le moulage avec précaution surtout s'il s'agit d'une figure ayant des reliefs accusés, corriger avec les doigts les déformations qui ont pu se produire.
3° Peindre les détails du visage avec de la gouache non diluée.
4° Adapter ce masque, par quelques points, sur la tête bourrée.

Quelques recommandations et remarques :

Pour envelopper le bourrage, employer un tissu souple : vieux bas tricot, jersey.

Doubler la gaze si elle est tissée lâche. Tout autre tissu du même genre doit faire aussi bien.

Teinter le silicate avant d'y tremper la gaze avec un peu. de poudre de couleur ou de la gouache pour faire un fond de teint au visage.

Pour donner plus de solidité, bourrer les reliefs, nez, menton, grosses rides, de coton ou de parfilage. Mais cela n'est pas indispensable.

Une même tête de, poupée sort à la fabrication de visages différents. il suffit d'élargir on rétrécir le masque qui reste assez souple, tenir le front plus ou moins haut varier les maquillages.

Le moulage sur argile est très intéressant puisqu’il permet l'interprétation du caractère du personnage. Les enfants y réussissent mieux par le modelage que par le dessin.

Ces marionnettes sont légères suffisamment solides, à la mesure de chacun, Les petits de l'école maternelle peuvent les manier et les animent fort bien,

Suffisamment solides, disons-nous, car notre but n'est pas la réalisation d'un théâtre-guignol où règnent bâtons coups et chutes. D'autre part, la fabrication des masques est si facile et rapide qu'on pourrait les renouveler à chaque scénario. Mais nous les faisons aussi servir plusieurs fois.

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TÊTES EN BOIS TOURNÉ

Nous ne dirons que quelques mots de cette technique, très intéressante, assez connue, qui permet d'obtenir de très jolies têtes, Elle est fort bien exposée dans l'ouvrage de M. Temporal : « Comment construire et animer nos marionnettes ». Nous n'ajouterons que quelques conseils.

Tenez-vous en à des formes très simples.

Ne faites pas polir vos pièces. La lumière joue même sur des surfaces brutes.

Essayer de réaliser quelques têtes sans rien ajouter à la forme.

Ne vous croyez pas obligé de mettre à chaque personnage deux yeux, un nez, une bouche, deux oreilles, des cheveux. Pensez qu'une grand'mère n'a besoin que d'un teint parcheminé, d'une paire de lunettes et de cheveux blancs sous un fichu ;; la sorcière, un nez d'aigle rejoignant un menton en galoche, le tout vert.

Que ces éléments ajoutés sont toujours de forme très simple, géométrique même et souvent de dimensions exagérées.

Et surtout sur ces têtes si stylisées, n'utilisez que des teintes plates, par taches très vives.

TETES EN BOIS TENDRE

C'est là une technique de fabrication des têtes toute nouvelle et fort intéressante pour l'école.

On utilise des chevrons de balsa, de bois léger, originaire d'Amérique Centrale, utilisé en modelisme, ou bien des cœurs de hampe d'efflorescences d'aloès. La sculpture se fait directement au couteau bien aiguisé ou au vieux rasoir à manche.

On polit au papier de verre avant de peindre.

Pour confectionner des grosses têtes, en peut assembler deux chevrons à la colle cellulosique ou rapporter les parties saillantes : nez, oreilles.

Les coiffures, barbes, cheveux, gaines, se fixent bien à la colle cellulosique ou s'épinglent.

On réalise également des têtes en bois :

Le menuisier nous fournit le bois dégrossi (peuplier ou tilleul). Le cou est percé d'un trou de 20 m/m de diamètre ;;

les enfants travaillent au couteau, dégagent les oreilles, les sourcils, le nez, selon l'inspiration et le bois.

Le nez est souvent ajouté en bouchon.

Ceci donne une tête stylisée qui prend vie dans le théâtre et laisse à l'imagination toute son envolée.

Nous avons de nombreuses perruques en soie provenant de parachutes (blanc, vert, violet, or, brun), en fourrure, en cisal même.

La garde-robe du théâtre est fournie. Une même poupée en changeant de perruque (elles sont attachées par 2 punaises sur les tempes) devient un tout autre personnage.

Ces têtes sont faciles à travailler. Elles restent légères et assez solides si l'on ne veut pas abuser du bâton et des chutes grotesques.

Nous avons ainsi réalisé tout notre théâtre de démonstration en balsa et fait confectionner à nos élèves des têtes en aloès assez réussies.

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TÊTES EN CHIFFON BOURRÉ

Le procédé de chiffon bourré, le plus à la portée des fillettes, permet de réaliser des poupées délicieuses, solides, légères et, à certaines conditions, très expressives.

Il est particulièrement adapté à la confection de poupées de caractère, aux stylisations très poussées.

Ne pas hésiter à faire assez grand jusqu'à 12 cm. de diamètre et 18 à 20 de haut. - Le meilleur bourrage s'obtient à la frisure de bois, utilisée par les emballeurs.

Choisir une étoffe souple et solide, couleur unie du teint choisi pour la poupée.

Coudre la pièce en cylindre.

Ligaturer une extrémité.

Retourner et bourrer à force.

Fermer en ligaturant sur une bande carton de 6 à 7 cm. de large, roulée plusieurs fois sur elle-même, sur le doigt.

Il ne reste plus qu'à donner l'expression désirée en utilisant boutons, perles pour les yeux, raphia, laine, coton, fourrure pour les cheveux, barbes..., draps ou feutres de toutes couleurs pour nez, oreilles bouches - et ajouter coiffure, lunettes, etc... C'est le moment où l'éducateur devra le plus aider l'enfant dans la réalisation du masque correspondant au personnage imaginé, pour lui permettre une réussite certaine et la satisfaction d'une création voulue.

MAQUILLAGE DES TÊTES

Nous rappellerons volontiers que c'est le maquillage, avec la coiffure, qui donne genre et expression à la tête. Il sera toujours très relevé, très simple et direct d'effet par des oppositions franches de couleurs.

Pour les têtes de pâte de papier et en bois sculpté il n'est pas nécessaire de polir avant de peindre, ni de lisser les surfaces à l'aide d'enduits. Les surfaces dépolies et rugueuses, nous l'avons dit, accrochent bien mieux la lumière.

Pour la même raison on préfèrera toujours les couleurs mates, et plutôt la peinture à la colle et la gouache que la peinture à l'huile qui « plombe » à la lumière et avec le temps.

On incorporera du blanc dans toutes les teintes et on se souviendra que la peinture à la colle se fait avec beaucoup de couleur, peu d'eau, très peu de colle.

Jamais de tons dégradés. Toujours des teintes franches et vives, nettement délimitées.

Barbes, cheveux seront de laine, de raphia, de vieilles fourrures ou de crêpe. Le crêpe, une fois en place, se taille comme des cheveux (se fait en toutes couleurs - en vente chez les perruquiers, coiffeurs et accessoiristes de théâtre).

Les mains

Très faciles à confectionner en planchettes, contreplaqué, carton, étoffe bourrée. Travail à réserver aux moins adroits.

Avec la gaine russe, on n'aura pas de main à confectionner. Elle sont représentées par 2 petits cônes d'étoffe dans lesquels s'engagent les doigts et qui, convenablement agités, évoquent assez l'idée de bras.

La gaine

Il existe une très grande variété de gaines. Nous nous bornerons ici à présenter les quelques types qui donnent satisfaction à nos collègues pratiquant le guignol.

La gaine est, sans conteste, la partie principale de la marionnette ; de son adaptation à la main dépendent toutes les possibilités du jeu.

Ses qualités :

Une bonne gaine doit être solide, rigide, réalisée en tissu ayant de la tenue ;

assez large pour permettre le passage aisé de la main et rendre ainsi rapide le « chaussage » et le « déchaussage » de la marionnette ;

assez juste pour que la main du manipulateur ne risque pas de s'y perdre et que ses doigts ne s'échappent pas des bras de la marionnette au cours du jeu ;

être taillée de façon que les bras de la poupée viennent d'eux-mêmes devant et tombent naturellement et correctement.

Elle doit surtout être à la mesure de la main du manipulateur.

La gaine lyonnaise. Celle que nous utilisons depuis 1941, Très facile à « chausser ». Robuste.

NOTRE GAINE

La gaine mixte de l'Ecole Reine-Jeanne à Colombes. Nous la réalisons en grosse toile bien raide. Elle se compose de deux morceaux inégaux : le dos et le devant et les manches.

La gaine russe agrandie qui est celle préconisée par les Instructeurs marionnettes des C.E.M.E.A. Elle sert également de robe. Très simple à confectionner et à manipuler. A utiliser avec des poupées très modernes, même à grosses têtes.

La gaine simplifiée pour enfant, mise au point par notre ami Flamant.

En toile très rigide. Les manches sont très larges pour permettre aux doigts de pénétrer facilement et à fond dans la gaine ; au-dessus de la gaine nous enfilons un dessus de gaine en étoffe légère portant la cravate par exemple, un jabot de dentelle.

Les costumes

Ils vont par dessus la gaine. Ils ne doivent, pas gêner les mouvements de la main : ils seront donc très amples. Les pièces des dos seront toujours plus larges que celles des devants On prendra des emmanchures toujours très importantes.

Les costumes ont dans le jeu une grande importance. Ils doivent concourir, autant que la tête elle-même, à l'évocation du caractère de la poupée, tant par leurs couleurs que par leurs formes.

On évitera l'emploi des couleurs trop disparates, des étoffes à ramages. Le manteau royal sera de pourpre. Des voiles et des gazes de tous les bleus tendres entoureront la fée. Le gris et le noir seront réservés aux personnages sérieux ou graves. On recherchera surtout de belles teintes franches, des étoffes lourdes, aux belles tombées et se chiffonnant peu.

Les traînes, les manteaux amples donneront de la majesté, les voiles de la féerie, les plumets de la prestance, les vestes en drap très cylindriques de la raideur ; une grosse fronce bourrée au-dessous simulera l'obésité. Certains détails de l'habillement devront être prévus en fonction du mouvement : les grandes manches du magicien, les pendants de la collerette du génie du feu...

Enfin, quelques accessoires peuvent suggérer le personnage parfois plus sûrement que le plus savant costume : un arrosoir pour le jardinier, une gaule ou un filet pour le pêcheur.

Les accessoires

Les accessoires manipulés par les poupées sont toujours très nombreux. Il n'est guère de bonne pièce de marionnettes qui n'en exige beaucoup.

On les prendra toujours assez gros par rapport à la poupée. Ne pas fabriquer de petits accessoires à sa taille. Une vraie casserole convient mieux qu'une casserole d'un ménage de poupée, La chandelle du « clair de la lune » sera un vrai bougeoir et sa bougie.

La manipulation de ces accessoires constitue toujours un effet très guignolesque, aimé des spectateurs comme des acteurs.

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BRUITAGE ET SONORISATION

Nous rappellerons pour mémoire les 3 coups d'ouverture du rideau, les sonnettes, les bruits d'orage à la tôle, etc...

Un certain nombre de gags faciles s'obtiennent en bruitant les heurts entre personnages, les coups qu'ils peuvent se donner a l'aide d'une grosse caisse, au pied, à l'aide de coups frappés synchroniquement sur une tôle...

La musique doit avoir une part importante au spectacle de marionnettes. On utilisera avec succès les pipeaux de nos élèves, un harmonica, et surtout phono ou pick-up qui sont parmi les accessoires indispensables du marionnettiste.

Une de nos poupées se présente parfois munie d'un petit accordéon en papier, tandis que deux autres tournent... au son d'un harmonica dont joue, derrière le castelet, un des animateurs. L'effet est toujours réussi.

Signalons aussi les très intéressantes marches de poupées, accompagnées d'un air fredonné, sur un rythme qui s'adapte au caractère de cette poupée ou à son sentiment du moment ‑ Sa Majesté arrivant sur l'air de la marche des rois une joyeuse princesse, sur la valse de Faust.... etc..

La manipulation - Le jeu - L'improvisation

« Le but visé est l'unité complète entre l'opérateur et la marionnette, ce degré d'aisance dans la manipulation ou la poupée

fait corps avec celui qui la tient et où les sentiments de l'un sont immédiatement exprimés par l'autre pour l'atteindre, il faut être capable d'oublier le mécanisme des moyens d'expression et par conséquent de posséder la maîtrise absolue. »

Bien que « le jeu de la marionnette se situe dans l'illusion », bien qu'il exige des spectateurs une puissance créatrice, une constante faculté de transposition, de transfiguration, il reste indispensable de donner aux « buratini » suffisamment d'apparence de vie, ce qui ne se peut obtenir qu'après un certain apprentissage de la manipulation.

L'obligation de manipuler debout, bras tendu verticalement, la fatigue de certains muscles non entraînés au travail en cette position, coupent l'animateur débutant de sa poupée : il ne fait plus corps avec elle.

Et après avoir créé dans l'enthousiasme théâtre, marionnettes, décors et thèmes, la déception est grande si les poupées s'affaissant, descendant brusquement sous la bande, se déplaçant lourdement et sans vie, n'éveillent pas dans l'auditoire cette « faculté de transposition » qui le fait participer lui-même à l'action. Tous les insuccès ont pour cause principale une insuffisance de manipulation. Ainsi dorment au fond des armoires scolaires quelques charmantes marionnettes auxquelles on n'a pas su donner vie.

Sans aller aussi loin que Marcel Temporal qui prétend qu'il faut apprendre à manipuler les marionnettes aussi laborieusement qu'on apprend à jouer du violon, (à ce compte, jamais nous ne les pourrions voir animer par nos élèves), nous jugeons indispensables quelques exercices d'entraînement.

Ils se feront d'abord avec des poupées improvisées (voir guignol impromptu) pendant qu'on confectionnera les poupées du scénario projeté. Ils seront ainsi acceptés allègrement puisque puissamment motivés. On les rendra aussi attrayants que possible. Et ils auront toujours lieu devant un petit auditoire qui critiquera et corrigera évolution et position. Les acteurs eux-mêmes seront invités à passer côté public, pour juger des effets et des exigences du jeu.

Il faut arriver à garder le bras tendu bien verticalement ne pas regarder sa poupée continuellement ;

la maintenir à hauteur constante

lui « donner des jambes ».

Pour les enfants, la manipulation se fera avec une seule poupée - alors que les adultes auront avantage à en gainer deux.

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SUITE POSSIBLE D'EXERCICES
DE MANIPULATION

1° Traverser la scène en marchant : petits pas sautillés sur la pointe des pieds.

2° s'arrêter an milieu de la bande, regarder le publie, saluer - par flexion du poignet - et repartir (bien décomposer chaque mouvement).

3° Petit jeu à deux poupées sur un petit air cité par Temporal :

          Tiens, voilà Mathieu !
          Comment vas-tu
          Ma vieille ?
          Tiens, voilà Mathieu !
          Comment vas-tu
          Mon vieux ?

4° Même exercice sur :

          Bon jour, ma cousine,
          Bonjour, mon cousin germain,
          On m'a dit...
              Etc...

5° Un petit déménagement de meubles de poupées (marche lourde sous la charge, puis traversée de la scène à vide très sautillée).

6° Premiers essais de répétition d'un sketch à jouer.

Toute la vérité du jeu c'est vivre son personnage, c'est s'identifier à sa poupée, c'est identifier sa poupée au personnage à créer.

Les sentiments à exprimer, il faut les sentir soi-même. Les gestes extériorisant ces sentiments seront rendus par les mêmes gestes du manipulateur, une participation entière de tout le corps qui fait évoluer pareillement dans l'espace marionnette et animateur : reculer de peur, sursauter au bruit, sangloter de douleur, s'affaisser de lassitude se redresser orgueilleusement, s'élancer pour secourir...

C'est bien ce qui fait de la marionnette un merveilleux instrument d'expression libre. L'enfant peut sans contrainte, sans même la contrainte de son propre corps, sans celle des yeux des spectateurs, vivre son personnage.

Cela suppose une profonde connaissance du thème à jouer et des divers moments de l'action, de son déroulement, une conception nette du caractère des personnages à animer qui ne peuvent être acquis que par des répétitions plus ou moins nombreuses - mais toujours vivantes et renouvelées - qui feront pénétrer plus avant à chaque fois dans l'incarnation des personnages, dans leur compréhension - qui développeront ainsi et perfectionneront le langage spontané qui doit exprimer I*émotion de chacun d'eux.

L'identification absolue à l'être en raccourci ainsi découvert donne le mot précis, l'intonation juste et même le geste exact, convenable.

Aussi l'improvisation est-elle la meilleure technique scénique de guignol, la seule technique scénique enrichissante et vivante. Tout ce que dit E.Freinet dans la B.E.N.P. « Théâtre libre » de l'improvisation théâtrale, pourrait être répété à propos du jeu des marionnettes.

…« On partira à l'aventure, le sujet bien en tête, vers la réalisation scénique, en inventant les caractères au fur et à mesure, en délimitant les contours essentiels du drame sur lesquels on reviendra dans des répétitions successives jusqu'à ce que la scène soit vraiment inscrite dans la sensibilité de chaque acteur. »...

Chaque répétition, chaque représentation enrichit le jeu, le modifie selon la sensibilité du moment, selon l'atmosphère de la salle, les réactions des autres animateurs ou des spectateurs.

Le lundi, la même scène est représentée. Et le jeu est renouvelé depuis la veille. Ainsi, quand Gnafron lui déclare que les poules ne pondent pas par un froid pareil, et qu'elle ne peut pas avoir d’œufs pour ses crêpes, Titine répond : « Je les garde à la cuisine. - Mais elles doivent salir partout ! – Non ! non ! je les ai dressées : elles demandent la porte ! »

Ayant fait un petit tour derrière le guignol j’ai vu les vrais acteurs, et l'expression du visage de Raymonde était si intense pendant qu'elle animait son pantin ! - R. LALLEMAND.

Et nous terminerons en rappelant ce qu'écrivait C. Freinet à propos de cette appropriation du scénario, et du jeu pur improvisation :

Il fallait ensuite des répétitions plus ou moins longues et minutieuses selon l'importance de la pièce, avant la grande première. Seulement, là, ce n'est pas du bachotage. Les enfants n'étudient pas le texte par cœur. Ils s'en imprègnent, ils se l'approprient. Ils perfectionnent à chaque répétition les paroles et le jeu ; ils s'encastrent dans la réalisation de l'équipe. Le jour de la représentation, ils sont à cent pour cent à leur affaire, le résultat est à cent pour cent.

***

EN CONCLUSION

Je rappellerai que la connaissance des techniques marionnettes par l'éducateur doit toujours précéder les essais de ses élèves. A cette condition seulement, ces essais seront fructueux et enrichissants.

C'est donc par la réalisation de votre propre guignol qu'il vous faut commencer pour dominer ces techniques afin de pouvoir aider et conseiller vos élèves, comme il vous faut parfaitement posséder votre langue pour diriger efficacement l'apprentissage de l'expression parlée et écrite de l'enfant.

Un nouveau champ d'expérimentation nous est offert qui doit nous conduire à une nouvelle technique d'expression libre.

Et nous espérons que seront nombreux les amis de l'enfance qui deviendront aussi amis des marionnettes, ce qui sera encore une belle manière d'aimer les enfants,

Soyez assurés que vous ne perdrez pas votre temps : les petits acteurs de bois vous réservent, ainsi qu'à vos élèves, de délicieux, moments de pure et véritable. joie, qui vous paieront largement de la peine que vous aurez prise à les créer.

Scénarios

Textes libres

UN RÉPERTOIRE

Il existe un répertoire de guignol, ou plutôt des répertoires, le lyonnais et le parisien... Ils n'ont aucun intérêt pour nous. Ils sont au guignol ce que sont les répertoires de saynètes scolaires au théâtre d'enfant. Tout au plus peut-on y glaner quelques gags, quelques idées à canevas (Editeurs : Max Orgeret, 24, rue Palais-Grille, à Lyon – Billaudot - Bourrelier).

Il s'agit souvent de textes assez statiques, de répliques à apprendre par cœur, sous peine de perdre leurs effets, d'une, sorte de théâtre souvent très vieilli. Les utiliser serait faire du guignol un exercice imposé et ennuyeux, qui n'aurait plus du guignol que le nom.

Est-il souhaitable que nous entreprenions la constitution d'un répertoire de vraies pièces de guignol, en centralisant les plus réussies imaginées par nos élèves. Voici la réponse de notre camarade Hecquet, du Pas-de-Calais, que je fais mienne :

Je ne pense pas qu'il soit bon de constituer un répertoire de scènes de « Guignol » pour enfants, sinon une liste de thèmes sobrement exposés et de titres d'histoires connues qu'il est possible d'adapter pour les marionnettes, ces thèmes pouvant inspirer les manipulateurs. Car toutes les fois qu'il s'agit de fixer un répertoire on aboutit à des interprétations qui, si elles peuvent ne pas être dénuées de valeur, manquent tout au moins d'originalité. A ce moment-là, tout le monde jouerait les marionnettes, avec des têtes achetées - pourquoi pas ? - comme on fait du théâtre dans n'importe quelle école traditionnelle (mais quel théâtre, hélas !). Les marionnettes doivent être pour l'enfant un moyen de libre expression, tout comme le texte libre ou le jeu dramatique, sans bien sûr qu'il lui soit interdit de jouer un thème connu, mais en l'adaptant, car c'est lui-même qui jouera à travers le personnage qu'il a choisi d'incarner. On obtient ainsi, au lieu de la fixation d'un texte rabâché partout, autant d'adaptations différentes que de groupes d'enfants qui jouent ce thème, et même autant que de séances faites, puisqu'une pièce peut toujours être laissée à l'improvisation.

Ce que la C. E. L. pourrait publier, comme l’a déjà proposé Roger Lallemand, ce serait des thèmes à interpréter, peut-être même des canevas, ou des récits se prêtant bien à l'adaptation du guignol, avec indications de quelques « gags », jeux de scène importants, chant, musique et évolutions-ballet.

***

POUPEES
EN FONCTION DU SCÉNARIO
OU SCÉNARIO
EN FONCTION DES POUPÉES ?

Il semble logique de confectionner les poupées en fonction d'un scénario déjà imaginé en ses grandes lignes. Ce sera sans doute ce qu'on fera le plus souvent. Mais il n’est pas exclus qu'on procède en sens inverse. La création, à posteriori, de quelques jolies poupées très caractérisées peut donner l’idée principale, puis tous les gags d’un scénario fait pour elles.

Ce qu'il faut condamner, c'est l’usage de tête passe-partout, utilisée pour n'importe quelle scène. Si l'on n'a pas la possibilité de faire des têtes pour chaque pièce, on changera au moins le maquillage, les costumes, perruques et coiffures.

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QUALITES DU BON SCÉNARIO DE GUIGNOL

Elles sont à peu près celles définies par E. Freinet dans le « Théâtre libre » pour une scène théâtrale.

Il y faudra d'abord une idée maîtresse – ou bien un personnage principal de caractère bien accusé ; ensuite une succession de coups de théâtre assez émotifs, se prêtant à de nombreuses entrées, sorties, évolutions, pantomimes même - et enfin un dénouement heureux et éclatant de joie.

On n’oubliera pas d’intercaler, s'il se peut, chant et petit ballet, et l’on terminera également par une évolution chantée.

Mise au point d'un scénario adapté d'un conte,
d'un texte d'auteur, d'une chanson,
d'un sketch radiophonique, etc...

Ce sera, à n'en pas douter, par là qu'on commencera.

« Nous devons évidemment amorcer l'intérêt, mettre l'affaire en route. C'est pourquoi il faut donner des « thème », en indiquant simplement ce qui se passe, et en expliquant ce que chacun doit dire ou répondre, dans l'ensemble.

Ce n'est qu'avec l'expérience du jeu scénique que les enfants se rendent compte de son caractère spécial et de ses exigences. Alors, ils peuvent eux-mêmes inventer de nouvelles pièces ou adopter des histoires à la scène ».

On lira le conte, le texte, ou l'on rappellera la chanson. Puis, en causerie très libre, on recherchera les personnages indispensables en limitant le nombre le plus possible, on définira leur caractère, on déterminera le personnage central, on dégagera le nœud de l'action, peut-être même les scènes principales et les lieux de cette action.

Toujours en bavardant amicalement, on commencera alors à écrire ; le canevas d'abord, quelques gags qui ne manqueront pas de se présenter de suite aux esprits, puis le nom des animateurs de chaque personnage.

On peut passer alors à un premier essai d'improvisation des répliques, qui pourra peut-être se faire déjà derrière le théâtre. On note les meilleures répliques rapidement ; on tente la réalisation des principaux « gags » ; on règle les mouvements ; toujours de première importance au guignol.

Et on a le principal de son scénario. Le reste n'est plus que répétitions, fignolages de la manipulation et des évolutions.

Les Trois Tambours
Adaptation d'une chanson d'Ile-de-France
Ecole Maternelle Reine Henriette, Colombes

ACTE II
Même décor que pour le premier acte.
Au lever du rideau, la princesse est à sa fenêtre et joue avec une colombe qu'elle embrasse et caresse... Elle n'a pas vu le Tambour qui, sa rose à la main, rêve et ne l'a pas vue tout d'abord.
Les enfants chantent :
L'plus jeun' des Trois
Avait une belle rose...
Puis :
La fille du roi
Etait à sa fenêtre.
LE TAMBOUR (qui vient de voir la Princesse). – Oh ! qu'elle est jolie ! (S'adressant aux spec tateurs.) L'avez-vous vue ? Oh ! la belle jeune fille. Je voudrais bien savoir comment elle s'appelle. (Aux enfants.) Vous la connaissez ? Comment dites-vous ? La Princesse ? Quels jolis cheveux blonds ! Quels yeux magnifiques ! (Aux enfants.) Vous ne trouvez pas qu'elle a de beaux yeux ? Et quel teint, regardez ses joues roses et fraîches ! (Regardant sa rose.) Ses joues sont aussi roses que ma fleur, n'est-ce pas ? J'ai décidé d'épouser la jeune fille qui serait aussi belle. Eh ! bien, c'est elle qu'il faut que j'épouse ! (Aux enfants.) Cela vous ferait plaisir que je me marie avec elle ? Oui ? vraiment ! Alors je vais lui demander si elle veut bien. Mais vous m'avez dit tout à l'heure que c'était une princesse. Alors, c'est la fille du roi. Oh ! elle ne voudra pas se marier avec moi. Moi, je ne suis ni un roi ni un prince, je ne suis qu'un joueur de tambour... Mais, vous savez, je joue très bien du tambour. Alors, je lui demande tout de même ? Il faut que je lui demande ? Oui ? Eh ! bien, j'y vais ! Mais soyez gentils, ne faites pas de bruit pour que j'entende ce qu'elle va me dire. (Il s'avance, s'approche du château, fait un grand salut.) Bonjour, belle Princesse !

(La Princesse qui, depuis le début de la scène, joue à sa fenêtre avec sa colombe, n'a ni vu ni entendu le Tambour. Elle ne répond pas et continue son jeu.
LE TAMBOUR (aux enfants). ‑ Elle ne m'a pas entendu, je vais l'appeler plus fort. (A la Princesse.) Bonjour, belle Princesse !
LA PRINCESSE. - Qui me parle ? (Voyant le Tambour.) Oh ! bonjour, joli tambour.
LE TAMBOUR. - Vous avez une bien jolie colombe, et comme elle roucoule bien !
LA PRINCESSE. - Et toi ! tu as une rose si jolie. Donne-la moi, veux-tu ? car elle est bien belle, Tiens, je te donne mon oiseau et tu me donneras ta rose, veux-tu ? (La colombe s'envole et se pose sur l'épaule du Tambour.)
LE TAMBOUR. - Ce n'est pas cela que je voudrais. (La colombe s'envole.)
LA PRINCESSE. - Que veux-tu donc ?
LE TAMBOUR. - Je voudrais ton cœur.
LA PRINCESSE. - Oh ! que dira mon père !
LE TAMBOUR. - Tu es la jeune fille la plus jolie que j'ai jamais vue et je voudrais me marier avec toi. Et toi, veux-tu te marier avec moi ?
LA PRINCESSE. - Je veux bien, mais il faut le demander au roi mon père.
LE TAMBOUR. - A ton père le roi ?
LA PRINCESSE. - Oui.
LE TAMBOUR. - Et lui, crois-tu qu'il voudra ?
LA PRINCESSE. - Oh ! il est très gentil avec moi, il me donne tout ce que je veux, il voudra bien certainement. Va le trouver.
LE TAMBOUR. - Tu as raison, j’y vais tout de suite.
(Il donne la rose à la Princesse, puis s'en va en lui envoyant des baisers. La Princesse lui fait, de sa fenêtre, des signes d'adieu.)

RIDEAU

***

Nils Holgersson

Adaptation du célèbre conte de Selma LOGERLOF
Même décor.
Nils est devenu petit comme le tomte, il est seul et dans la maison.

NILS (il est encore tout étourdi de la claque qu'il vient de recevoir.) - Ah ! quelle gifle ! j'en ai mal à la joue. Et le tomte ! où est-il, n'est-il plus dans le coffre ? (Il s'approche du coffre mais ne peut y regarder.) Que se passe-t-il ? je ne peux plus regarder dans le coffre ? (Il regarde autour de lui.) Et la maison ! comme elle est grande ! (Il se voit dans la glace.) Mais qu'est-ce que je vois tout à coup ? Encore un tomte ? (Il fait des mimiques devant la glace.) je lève la main, tiens, il la lève aussi. je lui fais un salut, il m'en fait un également. Mais, celui-là est habillé comme moi... Mais... il n'y a personne... c'est la glace... c'est moi... c'est moi dans la glace. (Aux enfants.) Me reconnaissez-vous ? C’est bien moi, Nils ?... Mais alors, je suis devenu tout petit le tomte m'a changé. En voilà une histoire ! Qu'est-ce que je vais devenir maintenant ? Maman ne va plus me reconnaître. Il faut que je retrouve le tomte. Je lui promettrai d'être sage... et même d'obéir à maman... et aussi de n'être plus paresseux... de ne plus être brutal... Peut-être me laissera-t-il redevenir un petit garçon comme les autres. je vais aller voir si je le trouve dans l'étable. (Il s'avance vers la porte qu'il trouve ouverte.) Heureusement que la porte est ouverte, sans cela je n'aurais pu attraper le bouton pour sortir. (Se tournant vers les enfants.) Mais, je pense que mes sabots vont être trop grands maintenant, et trop lourds pour mes petits pieds, je ne vais plus pouvoir les mettre. (Il regarde ses sabots, puis les enfants.) Oh ! ils sont devenus tout petits, eux aussi ! C'est bien inquiétant ! J'ai peur de rester petit bien longtemps puisque le tomte a changé aussi mes sabots. (Il met ses sabots et sort.)

***

LE TEXTE LIBRE ET LE GUIGNOL

Motivation du texte libre ou exploitation du texte libre, tels sont les rapports possibles du. guignol avec le texte

MOTIVATION DU TEXTE
PAR LE GUIGNOL ET LE THEATRE

Cette motivation est possible, mais seulement incidemment, et il serait vain D’y compter beaucoup, - la vraie, la seule motivation constante étant la vie journalière, le milieu vivant.

EXPLOITATION DU TEXTE LIBRE
PAR LE GUIGNOL

Il est tout de suite venu à l'idée d'un certain nombre d'éducateurs de notre Mouvement de tirer des scènes de guignol des textes libres de leurs élèves une nouvelle exploitation du texte libre, en quelque sorte. - Un jour, le texte libre se prêtera, à un exercice de vocabulaire un autre jour à une étude grammaticale, à un calcul plus ou moins fonctionnel et, un jour, il se prêtera à une mise en scène de guignol.

Cela peut se présenter parfois. Mais y a-t-il un texte libre sur cent qui puisse justifier une interprétation au guignol ? Les textes libres sont toujours inspirés de quelques faits de la vie courante de l'enfant, souvent de sa vie très matérielle. Et le « Guignol », lui, est fiction et transposition de cette vie.

Mais, y a-t-il, par hasard, un texte libre qui semble pouvoir donner une pièce de guignol ? Lors même que l'enfant l'a rédigé puis lu, il a perdu pour lui beaucoup de sont intérêt. Sera-t-il si riche qu'il en puisse encore garder ? Mais il faudra sûrement une adaptation pour le porter à la scène du guignol, et bien du temps pour la réalisation matérielle des petits personnages de bois, ou de chiffon. Cela suppose donc une véritable re-création, si l’on n'entend pas imposer une activité, qui a perdu sa motivation. Autant alors créer directement une pièce pour guignol.

Mais laissons la parole à un collègue qui tire, bien malgré lui, de ses essais, une conclusion semblable à la nôtre.

Les marionnettes font partie de l'exploitation pédagogique du texte libre, en ce sens qu'elles permettent de préciser, de fixer certaines activités harmonisées autour du centre d'intérêt et, par suite, d'enrichir les connaissances. Elles sont une continuation de ce qui éveille et maintient l'intérêt des enfants. Elles apportent la vie dans les textes. Voici, par exemple, un texte imprimé sur notre journal qui, immédiatement après, a été improvisé et réalise en pièce de guignol.

Une réponse inattendue

Après avoir passé une agréable après-midi en compagnie de Marie-Louise, nous sommes descendues vers 6 heures, avec ma sœur Marinette chercher le lait chez Mme Duthu, En arrivant, nous trouvons Lucie, la fille de Mme Duthu, en train de traire la vache. Aussi, nous discutons un peu.

- Comment se fait-il, Marinette, que tu ne sois pas venue à la messe ce matin ? demande Lucie.
- J'étais malade. On m'a dit que tu devais te marier. Est-ce vrai ? Dépêche-toi, car tu approches de la trentaine.
Mais, en réponse, Lucie envoie un peu de lait qui atteint Marie-Louise au visage. Stupéfaite, celle-ci ne savait même pas s'essuyer :
- Je me vengerai ! Et si ce n'est avec du lait, ce sera avec de l'eau.
- Ne te fâche pas, car on devient jolie, lorsqu'on se lave avec du lait.

J. L., 13 ans.
Joyeuses Montagnes, mai 47).

Voici le texte mis en dialogue :

Une réponse inattendue

Marionnettes : Lucie, M.-Louise, Marinette, Jeanine, une vache.
SCENE 1
(Marie-Louise et Jeanine s'amusent et chantent sur la rue.)
Mme L. (de la coulisse). – Jeanine !…
JEANINE. : Qu'est-ce qu'il y a, maman ?
Mme L.- Il est 6 heures, il faudrait que tu ailles chercher le lait.
JEANINE. - Tu viens, Marie-Louise, on va appeler ma sœur Marinette.
M.-Louise - Oui, si tu veux.
JEANINE. – Marinette !
MARINETTE. – Quoi ?
JEANINE. - Tu viens chercher le lait ?
MARINETTE (arrive). - Allez, en route !
JEANINE. - Je vais chercher la bouteille... Allez, nous partons...

SCENE II

JEANINE. - Mme Duthu ? Est-ce que le lait est prêt, je vous prie ?
Mme DUTHU. - Attendez un peu. Lucie est en train de traire la vache.
M.-LOUISE. - On va la voir ?
LUCIE. - Tiens, bonsoir, vous voilà ! Comment se fait-il, Marinette, que tu ne sois pas venue à la messe, ce matin ?
MARINETTE. – J’étais malade. On m'a dit que tu devais te marier, est-ce vrai ?... Dépêche-toi, car tu approches de la trentaine.
LUCIE. - Tiens (elle jette le lait un petit gobelet en métal), ça ne te regarde pas.
M.-LOUISE. – Atchous !... C'est moi qui ai tout attrapé... mais je me vengerai et si ce n'est avec du lait, ce sera avec de l'eau.
LUCIE - Ne te fâche pas, car on devient jolie quand on se lave avec du lait.

RIDEAU

Evidemment, tous les textes libres ne se prêtent pas à une telle interprétation et puis, peut-être, les enfants s'en lasseraient à force. Nous utilisons les marionnettes surtout au cours de l'interprétation, lorsqu'une phrase ou un paragraphe a besoin de vie par l'emploi du style direct. On dit aux enfants : « Passez derrière le guignol et parlez comme ça s'est passé ». On note alors les répliques. Cette méthode vaut bien tous les conseils sur le style direct, et, de plus, elle plait aux enfants et les délasse un moment.

Eh ! bien, ce n'est là, pensons-nous, qu'un simple exercice de langage, intéressant, peut-être, mais assez loin de l'éducation vivante et active vers laquelle nous nous orientons - un simple replâtrage d'exercices fort traditionnels et combien formels, - la mise en style direct d'une pensée bien plus fraîche dans la forme spontanée.

Cette « réponse inattendue » pourrait peut-être devenir une scène de théâtre libre, mais ne pouvait donner qu'un « exercice » de guignol et jamais du théâtre de marionnettes.

Scénarios imaginés spécialement pour le guignol

Ces scénarios s'apparentent étroitement au texte libre. ils procèdent de la même veine, puisent à la vie même de l'enfant, font appel à son imagination, la plus pure, a son désir de création.

Cependant il ne faudrait pas penser obtenir des enfants une grande fréquence de réalisation de scénarios de cette manière. Il s'agit là d'une création assez .spontanée et libre ; elle sera donc relativement fortuite. Autrement dit, le scénario de Guignol ne saurait remplacer le texte libre. Il n'est peut-être qu’un très modeste complément accidentel.

Ce n'est d'ailleurs que lorsque les enfants se seront rendus compte par la pratique du caractère propre du guignol, de ses exigences scéniques, qu'ils pourront inventer de nouvelles pièces, comme en linogravure ils doivent juger de l'effet de leurs premiers clichés pour être aptes à graver de vrais linos.

Pour la mise au point, on procèdera, comme pour les scènes tirées d'un conte ou d'un chant.

Voici ce que dit Freinet à ce sujet :

« Il ne s agit pas de faire monter les enfants sur les planches ou de les placer derrière le guignol et de les laisser se livrer à leur fantaisie. Non. Tout comme pour nos textes, nous parlons de l'expression libre de l’enfant, mais ensuite, par une collaboration intime entre maître et élèves, nous portons cette expression au maximum de perfection technique.
Voici comment je procédais à Gap où j'avais obtenu des résultats étonnants.
Un groupe d'enfants suggérait leur idée. Cette idée était parfois originale ; elle pouvait aussi d'inspirer de la Radio. J'ai vu des enfants lire les pièces de Molière pour y chercher des idées à exploiter et des trucs à utiliser.
Il appartient, certes, à l'instituteur de sentir à ce moment-là le projet qui lui paraît le plus riche de possibilités et le plus dynamique.
Je réunissais alors les cinq à six acteurs dans mon bureau. Ils jouaient. Nous jouions tous ensemble. Et je notais au fur et à mesure les paroles prononcées.
Je mettais ensuite ces paroles au net et nous avions un premier canevas pour une répétition préparatoire. »

C'est surtout à l'imagination des enfants que nous devrons des thèmes neufs, spécifiquement marionnette, pouvant. constituer les débuts d'un répertoire de guignol C.E.L.

Nous pensons que c'est là le vrai, peut-être le seul Guignol libre. Nous sommes certain en tout cas que ces scénarios créés en vue du jeu des marionnettes répondent plus exactement aux désirs d'extériorisation, de création libre de l'enfant, que tous scénarios tirés d'un texte ou d'un thème préexistant ou même, et surtout d'un texte libre.

C'est donc par là, qu'il faut chercher la mise au point d'une technique d'expression libre par le guignol.

L'expression libre emprunte surtout à la vie de l'enfant, certes. Mais le conte, la rêverie, l'enchantement n'ont-ils pas une part importante dans la vie affective de l'enfant ? Et l'enfant a-t-il tant d'occasion d'extérioriser les fruits de sa riche imagination ? Le Guignol serait de toutes les techniques d'expression libre celle de l'évasion, de la réalisation des rêves enfantins.

***

LA MARIONNETTE
ET LE MILIEU LOCAL

Il y a une veine que nous tenons à signaler. C'est la veine régionaliste. Guignol n'était-il pas un canut de Lyon et Lafleur, un petit quinquin ?

On fera revivre en personnage central le héros du folklore local, avec son caractère bien fixé par la légende, son costume, son patois pittoresque. Il animera les reconstitutions des contes du pays, des coutumes oubliées, des vieilles chansons. Il appellera autour de lui d'autres types locaux. Il motivera, peut-être, toute une série de fort jolies aventures de l'histoire locale.

Nous avons ainsi miraculeusement ressuscité, en 1941, à notre première équipe marionnettiste, à Nedroma (dép. d'Oran), Djelia, le. simplet des Contes Algériens.

Ailleurs ce sera un titi parisien, un petit breton en costume à boutons, aux prises avec les Korrigans, Jean le Sot dans l'Ouest, etc,.

Baptistou à l'Octroi
Ecole de Laborde (Htes-Pyrénées)

SCENE 1

MARIETTE. - Oh ! Baptistou ! ...
BAPTISTOU. - Voilà, voilà... qu'est-ce qu'il y a ?
MARIETTE. - Demain, C'est la Saint-Pierre, il faudrait que tu ailles à Bagnères chercher un peu de vin.
BAPTISTOU. - Oh ! oui, oui pour le vin, je suis toujours là !
MARIETTE. - Oh ! je le sais, va t'habiller.
BAPTISTOU. - Prépare la bonbonne, je vais atteler l'âne... Allez, à ce soir…
MARIETTE. – Dépêche-toi un peu et surtout ne va pas boire... D'ailleurs, voilà l'argent... Il faut faire des économies...
(Baptistou s'en va)

SCENE II

(Baptistou, revenant de Bagnères, passe devant l'octroi.)
L'EMPLOYÉ. - Rien à déclarer ?
(Les répliques de Baptistou sont en patois.)
BAPTISTOU. - Ah ! non. Rien à déclarer (ceci en français).
L'EMPLOYÉ. - Comment ! Et cette bonbonne ?
BAPTISTOU. - Mais ce matin je suis passé et vous ne m'avez rien fait payer.
L'EMPLOYÉ. - Oui, mais ce matin elle était vide. Allez, allez, il faut me donner 5 fr.50.
BAPTISTOU. - Attendez, attendez un peu... la Mariette m'a dit qu'il fallait économiser... Alors, si elle était vide, je ne devrais rien payer ?
L'EMPLOYÉ. – Ah ! et non, pardi !
BAPTISTOU. - Eh bé, je vais la vider. (Il boit et en donne un peu à l'âne). A moi, à toi, à moi, à toi... Voilà qui est fait... Au revoir, monsieur l'employé... C'est Mariette qui va être contente, je lui ai économisé 5 fr.50... (Il s’en va et chante un air local.)

Sans doute cette scène manque de mouvement, surtout au début. Mais le personnage de Baptistou, très couleur locale, pourra se prêter admirablement à d'autre création où les emprunts au folklore local seront plus importants.

Guignol et pédagogie traditionnelle

Depuis quelques années, Guignol s'est introduit dans nombre de classes traditionnelles. Il y rend plus attrayantes quelques discipline, et l'on oublie souvent qu'il est avant tout spectacle. On en profite cependant pour prétendre faire de l'Education Nouvelle,

Marcel Temporal nous propose une leçon de calcul avec 2 poupées et des cubes.

On nous parle ailleurs d'une leçon d'instruction civique sur le tribunal ; les marionnettes procèdent au jugement de l'une d'elles.

Nous avons nous‑même imposé, en 1940, à nos petits indigènes, nos leçons de langage, de conjugaison, de chant., par le truchement de la marionnette.

Actuellement « Touche‑à‑tout », gentille marionnette de nos collègues de Colombes (Seine) fait exécuter la rythmique aux petits de la maternelle Reine Henriette, leur précise où l'on doit accrocher son manteau.. On leur fait répéter la recette des crêpes... etc.., En somme, un nouveau maître mais amusant, une sorte de camouflage de la leçon ou de l'exercice formel. Fort heureusement, les « bavardages » de Touche‑à‑tout seront ensuite la motivation de textes et de dessins un peu plus spontanés.

Par contre, il nous est difficile d'admettre la mise en scène au guignol des éléments grammaticaux de la langue. Le « nom” et le « verbe », deux marionnettes silhouettes, un peu plus grande que les autres, appellent autour d'elles l'article, les adjectifs, etc..., également représentés par des marionnettes portant leur nature en pancarte... Et voici un extrait, du dialogue entre « le verbe » et « le nom » :

Le nom
(en parlant des adjectifs)

Voici celui qui m'accompagne le plus souvent l'adjectif qualificatif ; puis, voici les autres : le possessif, le démonstratif, l'indéfini, le numéral. Ils m'obéissent facilement et font comme moi, ils suivent mon genre, le nombre que j'exprime, sauf le numéral qui sert à compter, lui il s'habille toujours pareil et ne se met jamais au pluriel... (Ils se placent de part  et d'autre du nom.)

Quelquefois, je suis malade et alors je dois me faire remplacer, je fais appel aux pronoms.

Nous nous devons de réagir violemment contre de pareilles déviations. Ce n'est ni du guignol, ni de l'éducation active.

Ne nous laissons pas aller à cette facilité.

C'est n'introduire à l'école qu'un peu de gaîté, alors que c'est la vie même qu'il faut y faire pénétrer, et c'est à l'Art qu'il faut accéder.

Le guignol impromptu

LE GUIGNOL IMPROMPTU

Voilà une technique peu connue dans les écoles et assez répandue dans les mouvements de jeunesse. Elle permet une réalisation rapide, une mise en oeuvre qui suit immédiatement le désir de créer.

On utilise à la confection de marionnettes improvisées toutes sortes de matériaux courants, fragiles et même périssables, comme légumes divers, carottes, pommes de terre, betteraves, papier, fil de fer, bouchons, épingles, boutons, cacahuétes, balles, écorces...

La plus grande liberté d'exécution et d'imagination est laissée aux enfants ; on se contente de les aider dans l'exécution pour obtenir une réussite.

« Francs Jeux » a publié un article montrant comment confectionner des marionnettes en bouchon.

On peut ainsi réaliser immédiatement la mise en scène d'un texte libre qui s'y prête bien, d'une idée originale d'un élève - ou bien celle d'un petit scénario de circonstance à l'occasion d'un incident amusant de la vie scolaire.

QUELQUES EXEMPLES :

Le mousquetaire sur le doigt, visage à l'encre sur la deuxième phalange. Chapeau et chasuble en papier de couleur.

Avec la gaine russe

Tête en pomme de terre. Corps également en pomme de terre, assemblés avec une allumette ; bras, allumettes ; robe, papier plissé épinglé.

Balle, boule ou pomme de terre sur l'index. Etoffe croisée et épinglée. Le médium et le pouce forme les bras. On peut également avec ces têtes sur le doigt, utiliser une petite gaine russe.

On peut créer et faire créer ainsi une .infinité de personnages amusants, au gré de l'imagination enfantine.

Ne vous étonnez pas trop si, voulant réaliser un mousquetaire, vous obtenez un curé, et si, voulant mettre en scène la fée et Cendrillon, vous en arrivez à Barbe Bleue et à sa femme.

Bien souvent le matériau, puis la poupée réalisée, feront jaillir une idée de scène qu'on n'avait pas prévue.

Nous avons vu réaliser ainsi de charmantes marionnettes en particulier une délicieuse fiancée au corsage en carotte et à la jupe en feuilles de salade ; un professeur Nimbus à la tête articulée, montée sur fil de fer...

Ce genre de marionnettes nous paraît idéal pour l'expression libre enfantine. Il gagnerait à être plus largement utilisé à l'école.

Ces poupées ont sur les autres marionnettes cet avantage de disparaître à la poubelle aussitôt utilisées et de ne plus limiter le désir de création de l'enfant par leur existence même.

Imaginées au début de l'après‑midi, réalisées en une heure ou deux, elles joueront leur mouvante comédie en fin de soirée et à 4 h. elles auront vécu, vrai symbole de l'intérêt, toujours si court, si vite éteint, si changeant !

Conclusion

Voilà terminées les considérations essentielles qui orientent le spectacle très particulier des marionnettes. Nous avons essayé d'en faire sentir l'esprit fantasmagorique fait de merveilleux dans tout ce qu'il touche, de caprice et de fantaisie sans bornes. La marionnette, c'est l'incarnation du rêve de l'enfant. Par elle, toute évasion se concrétise, épouse l'intarissable poésie du monde enfantin et se brise comme se brisent les illusions des tout petits et des grands.

Laissons la marionnette à sa destinée. Si nous la détournons de sa voie idéale pour l'asservir à nos mesquines nécessités scolaires, que ce ne soit là que l'accident passager. Laissons‑la improviser, divaguer, chanter ou pleurer, rire et, se repentir comme le fait quelquefois le génie quand il visite l'homme. Que son style caricatural fait d'explosions et d'incohérences, ne nous cache point la. profonde humanité qui l'anime et nous la fait aimer au‑delà d'elle‑même.


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