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Allez au devant de la vie...!

Octobre 1967

N'essayez jamais de vous installer dans le passé. Allez au-devant de la vie.

Il n'y a pas de plus grande joie que de construire sa maison, de l'aménager, de l’enrichir, de l'embellir pour la faire sienne. Nous gardons tous en nous la nostalgie des cabanes en pierres ou en branchages que nous avons construites en gardant nos bêtes à l'orée du bois, des châteaux de sable creusés sur la grève ou des mondes que nos mains ont autrefois créés avec l'argile des fondrières. Ne nous y trompons pas : c'est parce qu'ils ont cette même nostalgie que les adultes sont si fiers d'aller planter leur tente au cours de leurs randonnées, même et surtout si la couche est dure, si la pluie menace, si le sac est lourd à porter.

Ce qu'il vous faut, en ce premier octobre, ce ne sont point des classes bourgeoisement installées comme ces meubles anonymes qui vous imposent la banalité de leurs arrangements standards, mais de larges horizons techniques, sociaux et pédagogiques, ouvrant sur le travail, sur le rêve et sur la vie.

Une municipalité généreuse a cru bien faire peut-être en vous préparant une classe où tout est prévu : les tables cirées et alignées que vous ne pourrez déplacer, des chromos sur les murs ou peut-être, comble de richesse, des frises peintes par quelque grand artiste. L'encre sera dans les encriers et les livres neufs, sentant bon l'imprimerie, s'empilent sur votre bureau.

Tout est en place pour le départ. Mais c'est l'invitation au voyage qui est absente.

Demandez plutôt qu'on vous laisse la responsabilité totale des bagages, qu'on vous donne le matériel et les ressources pour aménager votre classe tout au cours de l'année, afin qu'elle soit bien à vous, comme cette maison que vous avez montée pierre à pierre et dont chaque recoin a son histoire. Videz impitoyablement tiroirs et musée et tout ce qui n'est pas instrument de travail ; gardez les murs pour les orner en cours d'année selon votre inspiration. Vos cartables, vos dessins, vos reliures ne sont qu'une promesse, le panier qui attend la cueillette, cette riche cueillette que vous permettront imprimeries, échanges scolaires, travail à même la vie, cette glane que vous apporteront chaque jour les petites mains qui tendront vers vous leur gerbe.

Ce qui nous enchante et nous enthousiasme, ce n'est jamais le passé si riche soit-il, mais l'avenir qui porte en lui la création, l’aventure et la vie.

L'Ecole n'est point une halte. Elle est la route qui s'ouvre sur les horizons à conquérir.

C. FREINET

Les dits de Mathieu

Ed. Delachaux- Niestlé