Raccourci vers le contenu principal de la page

Association pour la Modernisation! de l'Enseignement (A.M.E.)

Mai 1963

Ça bouge ! Nos projets peuvent aujourd'hui devenir réalité : notre Association pour la Modernisation de l’Enseignement est maintenant à pied d'œuvre. Ça bouge enfin. Le mouvement est déclenché ; l'intérêt éveillé. A nous d'animer et d'orienter le mouvement.

On lira dans ce même numéro le rapport et l'appel que nous adressons à tous ceux qui ont comme fonction de s'intéresser à cette action : éducateurs, parents d’élèves, syndicats, médecins, chefs d’entreprises, administrateurs et parlementaires.

Le problème va être posé par le ministre lui-même au cours de la présente session parlementaire. Du coup, les journaux et revues vont en amorcer la discussion, Mais ce ne sera là qu’un prélude à l'action. Toutes ces velléités, ces constatations, ces prises de position, il nous appartiendra de les faire passer dans la réalité.

Si nous nous contentons d’en discuter dans notre milieu pédagogique, laissant aux journalistes et aux officiels le soin de palabrer, nous n’aboutirons à rien dans une entreprise où les paroles ont, de tous temps, détourné les usagers des vrais problèmes.

Ce qu’il faut dès maintenant, c’est, sous le signe de l'Association pour la Modernisation de l'Enseignement, constituer partout, dans les petites villes comme dans les chefs-lieux et les grandes cités régionales, des sections de l'A.M.E. dans lesquelles se rencontreront ; éducateurs de tous degrés, psychologues, médecins, ingénieurs, chefs-d’entreprises, écrivains et artistes, administrateurs et élus.

Notre rapport ci-joint pose le programme possible pour cette constitution. Notre revue Techniques de Vie qui deviendra l'organe officiel de l’A.M.E., étudiera ensuite plus en détail les divers points que nous nous sommes contentés aujourd'hui d'énoncer et de sérier.

Veillez à ce que ces sections ne soient pas des associations d'enseignants, afin que les non-enseignants y aient leur place car ce sont eux en définitive qui, moins déformés par la scolastique, seront vos plus actifs soutiens.

Pour la vie et le travail de ces groupes la formule du colloque me semble préférable. Vous y étudierez ensemble les problèmes, sans aucun parti-pris préalable. Nous ferons ensuite la synthèse de tous vos travaux.

Faites désigner un président représentatif : un ingénieur ou un chef d'entreprise par exemple. Constituez un bureau. Faites, si vous le voulez un règlement intérieur, les statuts de l'A.M.E. dont vous serez filiale étant légalement suffisants.

Ça bouge !

Mais encore faut-il veiller à ce que, en bougeant inconsidérément, on ne nous conduise dans des impasses. Un mouvement ouvert comme celui que nous proposons nécessite de la part des initiateurs une prise de conscience précise des questions à étudier et les solutions attendues.

Un article de François Walter dans « Le Monde » peut et doit, dans ce domaine, nous servir d'enseignement (1).

L'auteur pose fort bien le problème en donnant quelques citations édifiantes de personnalités éminentes dont on ne peut suspecter ni la compétence, ni le souci exclusif de servir l'Ecole et l’Education.

« L'enflure de nos programmes a quelque chose de démentiel. Le certificat d'études primaires est déjà encyclopédique ». (RECTEUR SARRAILH)

« Il y a... dans le bilan de l'année scolaire... une part importante de gavage, d'indigestion, de fatigue ». (RECTEUR CAPELLE)

« Les étudiants entrant en faculté le savent rien, et ce n'est pas leur faute. On a voulu, dès les classes élémentaires, tout leur enseigner à la fois. L'enseignement encyclopédique fait des ignares ». (Mme M.-J. DURRY, professeur à la Sorbonne)

« Les programmes sont la terreur des maîtres, leur étude est le désarroi des élèves... Démesure de la quantité ! ». (J.-J. MAGNON, inspecteur de l'enseignement primaire)

« De six à sept ans les enfants… qui seraient aptes à un effort intellectuel de deux heures par jour, travaillent de quatre à cinq heures. C'est par l'inattention, l’évasion et l'agitation en classe qu'ils échappent à cette contrainte ». (Dr PIERRE DELTHIL)

« J'ose avancer que des élèves (de 4e, de 3e, sans parler des classes de baccalauréat) qui veulent faire consciencieusement leur travail, ne disposent que du strict nécessaire pour manger et à la rigueur pour dormir huit heures par nuit ». (J.-J. MAGNON)

« La journée de travail d'un adolescent scolarisé s'élève en fait à une dizaine d'heures. La situation est encore plus grave dans l'enseignement technique ». (P. MALRIEU, agrégé de l’Université)

« C'est surtout dans l’enseignement du second degré que les programmes devraient être largement élagués ». (Dr DELTHIL)

« L’heure de classe dépasse la capacité d’attention des enfants ». (Prof, DEBRE et Dr DOUADY)

Et l’auteur renvoie à l'Université, et donc aux éducateurs l'entière responsabilité de cette aberration,

«L’Université réagit comme l’Ecolier pris en faute : « C’est pas moi M'sieur, c'est l'autre... ». Les piètres résultats des études, le nervosisme des élèves, seront attribués à l’encombrement des classes, À la pénurie de maîtres, de locaux. Maux, hélas! trop réels. N'y ajoutons donc pas ceux d'une pédagogie affolée (qui d'ailleurs en exigeant trop d'heures d'enseignement par jour, aggrave la pénurie de maîtres). Tout cela retombe sur les mêmes enfants.

L'esquive suprême est d'incriminer la société tout entière, les logements étriqués, les villes malsaines, le cinéma, la télévision, les querelles familiales. Voilà le poisson noyé! Eh bien, non! Nous avons à faire l'éducation des jeunes dans un monde qui n'est pas celui de la sagesse, de la prospérité et des cités-jardins. Si trop de cellules sociales sont des fabriques de névrose et de délinquance, qu’au moins l’Ecole cesse d'être l'une d'elles ».

Et voilà le poisson habilement noyé par l'auteur lui-même ! Haro sur les éducateurs. Le retard de l’Ecole, le malmenage démentiel des enfants, tout cela s'explique par un entêtement traditionnaliste, un acharnement pédantesque et l’égoïsme des adultes.

Il appartient à ceux-là même qui ont le plus vivement dénoncé depuis trente ans les tares de l’Ecole traditionnelle, non pas de blanchir les éducateurs qui ont leur part de responsabilité, comme les parents, comme la société et l'Etat, mais de situer ces responsabilités.

Or, nous devons dire que :

— Si nos classes n’avaient pas plus de 25 élèves ;

— si les locaux étaient « fonctionnels » et insonores ;

— si nous avions le matériel minimum indispensable pour une éducation libératrice ;

— si les enfants n’étaient pas abêtis par la télévision familiale à haute dose ;

— si les examens ne nous imposaient pas un bourrage prématuré, si disparaissait la hantise de l’entrée en 6e, du CEPE ou du bac ;

— si les éducateurs étaient mieux préparés à leur métier et s'ils étaient mieux payés, alors le progrès de l’Ecole serait possible et rapide.

Nous voudrions que ceux qui critiquent si volontiers l'entêtement traditionnel des éducateurs, leur égoïsme, leur manie disciplinaire, avec tout ce qu’elle comporte de punitions, puissent être parachutés, ne serait-ce que quelques heures dans ces milieux démentiels de l'Ecole concentrationnaire, qu’ils soient condamnés, ne serait-ce qu'un jour, à faire des leçons préfabriquées à des enfants qui n'y ont aucun intérêt, qu'ils surveillent quelques récréations dans les fosses aux ours, qu’ils soient condamnés à préparer pour l'examen de 6° des enfants qui n'ont pas encore la maturité nécessaire, qu'on leur demande de corriger des piles de cahiers, peut-être alors comprendraient- ils que les éducateurs sont plus victimes que responsables.

Ce que nous leur reprochons surtout, à ces éducateurs, c'est qu'ils ne crient pas avec nous que les conditions de travail auxquelles on les astreint sont irrationnelles, illogiques, anti pédagogiques et inhumaines et qu'ils ne se décident pas à mener individuellement et collectivement la seule action efficace : la lutte pour l'amélioration et la modernisation des conditions de travail scolaire.

La pente est lourde à remonter qui nous permettra de réaliser pour la société de 1963, l’Ecole qui préparera en l'enfant, les hommes de demain.

Tous à l'œuvre, et nos techniques s’épanouirent dans une école fonctionnelle c’est-à-dire conçue et aménagée pour remplir son éminente fonction culturelle, pour le progrès, la démocratie et la paix.

 

(1) réf : 18 avril 1963