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Nos thèmes de Congrès Sciences - Calcul - Education Physique

Mai 1962

Nos thèmes de Congrès

 

Sciences - Calcul - Education Physique

Ce n'est pas par économie de place dans ce numéro copieux de comptes rendus, que je bloque ici ces trois thèmes qui, à l’origine, devaient être discutés séparément.

D'abord, nous n'étonnerons personne en disant qu'aucun de ces thèmes n'a été étudié à fond. Nous ne nous sommes jamais fait d'illusion puisque nous nous adressions là à des activités qui couvrent à elles seules la bonne moitié des préoccupations scolaires. Tout au plus pouvions-nous déblayer le problème, et ma foi, nous y avons assez bien satisfait.

Nous avions lancé un questionnaire de sciences et un questionnaire de calcul et j'avais donné moi-même sur ces sujets les idées essentielles/fruit de nos expériences, dans nos deux brochures B.E.M. que je vous conseille à tous de lire ;

L'Enseignement des Sciences.

L'Enseignement du Calcul.

Muni des nombreuses réponses aux questionnaires, émanant surtout d'inspecteurs Primaires et de Professeurs, j'avais établi pour chacun des thèmes un rapport complet. Pour diverses raisons, le temps déjà trop réduit dans le cadre d'une séance plénière, a été encore grignoté par diverses initiatives. De sorte que notre travail a été à peine amorcé. Nous ne pouvons pas le reproduire ici faute de place. Mais la discussion continue. Je vais en attendant, donner surtout les idées générales mises en valeur par nos discussions et sur lesquelles nous aurons à revenir en cours d'année, ici même, et dans notre supplément Techniques de Vie.

Notre première séance plénière devait porter sur renseignement du calcul qui était en somme le thème essentiel de notre Congrès, celui pour lequel nous expérimentons depuis dix ans dans des centaines de classes avec des réalisations majeures comme celles de Beaugrand qui projetait d'ailleurs sa B.T. Sonore sur le calcul vivant.

Il s'est trouvé donc que la journée du lundi a été largement centrée sur l'enseignement du calcul : en séance de Commission (mais avec une salle bondée) le matin et l'après-midi, en séance de synthèse de 5 à 7. C'est dire que nous avions déjà déblayé sérieusement la discussion avant la séance plénière d'ailleurs écourtée.

Nous avons eu l’avantage de partir, dès le matin, sur un mémoire établi par un groupe de travail d'éducateurs d'Ecole Normale de Neuchâtel (Suisse), sous la direction de M. Ischer. Nos camarades ont réagi vigoureusement contre des conceptions que nous croyons avoir dépassées par nos longues et nombreuses expériences de calcul vivant : « Les petits enfants comptent mais ne calculent pas » dit le mémoire.

Or, nous pensons exactement le contraire : les petits enfants calculent mais ne comptent pas, Lorsqu’un enfant, à qui on n'a pas encore appris, artificiellement, à compter, doit mettre le couvert, il fait le compte, par tâtonnement expérimental, des assiettes nécessaires. Il ne les place pas en disant : un, deux, trois. Une infinité d'opérations de comparaison et d’approche se passent dans sa petite tête qui sont tout à fait comparables aux calculs qu’il fera plus tard pour résoudre les problèmes complexes qui se poseront à lui. Si, interrompant ce calcul, on lui enseigne la mécanique du calcul, il dira : un, deux, trois mais ne calcule plus. La mécanique aura remplacé la vie, Le hiatus sera peut-être définitif, à l’origine de toutes les déficiences dont nous aurons plus tard à nous plaindre.

« A six ans, chez nous, continue le rapport, l'enfant entre à l'école. Il est évident que nous continuerons à lui faire compter des choses. Mais, parallèlement, nous commençons à le soumettre à une « méthodologie » progressive, lentement progressive, basée sur le concret, soit sur les barres formées de cubes (cubes montessoriens dans la méthode Stern-Paule, cubes plus petits dans la méthode Cuisenaire) ».

Et un collaborateur du Groupe suisse présent au Congrès, nous montrera alors le matériel en question qui fut critiqué très vivement par nos camarades.

Nous n’étions pas d'accord sur cette forme de concret, et surtout au lieu de partir de la vie, on partait ici du nombre et du comptage, avec toutes les conséquences scolastiques que cela entraîne. Nous avons nous-mêmes renoncé à l'emploi de notre Matériel Camescasse qui est bien l'ancêtre, et pas sans valeur, des cubes Stern-Paule ou du matériel Cuisenaire.

Nous touchions du doigt dès le début, les bases mêmes du désaccord dont nous allions discuter toute la journée.

« Les manipulations dont nous venons de parler, argumentent les auteurs du rapport, sont bien plus concrètes que ne le sont certains problèmes de vie dont l'objet est absent de l’Ecole... Les psychologues ont montré qu'il ne sert à rien de varier constamment d'objets-unités, de compter un jour des noisettes, le lendemain des pétales, ensuite des ailes de papillon, enfin des billes ».

Nous sommes totalement d'accord, Nous sommes radicalement contre tout centre d'intérêts «tiré par les cheveux », et nous n'accordons pas grande vertu au comptage artificiel quel qu'il soit.

Nous touchons au nœud de la question avec cette affirmation : « Lorsqu'une notion est acquise et qu'elle est parfaitement mécanisée, les problèmes de vie interviennent ».

Nous pensons, nous, exactement le contraire ; nous plaçons à la base les problèmes de vie qui excitent et préparent la compréhension et le sens mathématique. Ce n’est que lorsque ce sens est acquis et que peut jouer en premier lieu la compréhension intelligente que nous étudions les notions jusqu'à leur mécanisation.

Nous nous sommes aperçus alors, tout au long de la discussion, et le lendemain encore avec l'enseignement des sciences que c'est vraiment la ligne de partage intellectuelle entre les méthodes traditionnelles et l'Ecole Moderne. La chose sera même plus sensible en sciences où fort peu d'éducateurs osent admettre qu’on laisse les enfants tâtonner pour l'acquisition du sens scientifique. On juge la chose hasardeuse. On nous dira que l'enfant ne peut pas refaire toutes les expériences, fruit des longs progrès scientifiques, que ce serait là perdre beaucoup trop de temps, et surtout que, en partant de la vie « nous ne pourrions jamais sérier progressivement pour servir à une méthodologie scientifique ».

«Il faudrait définir, nous dit-on, le sens mathématique (et le sens scientifique), terme que vous employez : mélange d'intuition, d'invention, de logique ». Est-ce que vraiment l'apprentissage raisonné et progressif d'une notion empêche l’éclosion du sens mathématique ? Il nous semble au contraire le fortifier. Et même si l'acquisition du sens mathématique n’était pas notre but pendant les exercices de progression, sa recherche n'en apparaîtrait pas moins au moment où, la notion étant acquise, l’exercice par les problèmes de vie interviendrait.

Même problème pour les sciences, et nous aurons à en discuter longuement; «Faut-il apprendre, avant, les principes, les règles et les lois, établis plus ou moins expérimentalement par l'Ecole, les observations et les expériences ne venant qu'ensuite pour illustration et démonstration ? », et c’est toute la scolastique traditionnelle, dont les manuels scolaires sont le fruit. Nous savons ce qu'elle nous a valu pour que nous puissions la condamner définitivement.

Nous plaçons toujours, en calcul comme en sciences, l'expérience vivante à la base de notre enseignement. Elle agit d’une façon globale, intuitive, électronique, selon des processus qui nous sont encore totalement inconnus parce que non étudiés par les scientifiques, mais qui n'en sont pas moins d'une portée éducative et formative considérable. Ce n’est qu'après, que, tirant la synthèse de ces démarches, nous systématisons les acquisitions naturelles.

Cette compréhension de la légitimité de notre démarche est toute basée sur le processus de tâtonnement expérimental que nous avons mis en valeur, et qui n'est pas la seule conception mécanique des essais et des erreurs, Tant qu'on n'aura pas compris, tant qu'on n’aura pas admis cette légitimité du tâtonnement expérimental, nos démarches resteront suspectes à des professeurs qui ont une tout autre idée de la science,

C'est donc à la démonstration et l’explication de ce processus de tâtonnement expérimental que nous devrons appliquer d'urgence nos travaux à venir.

C'est ce qu'explique un professeur qui répond à notre questionnaire :

« J'espère avoir quelque compétence pour y répondre. Agrégé de philosophie, licencié ès sciences, je suis actuellement professeur de psycho-pédagogie à l'Ecole Normale d'institutrices.

Ce que vous reprochez, en définitive, à l'enseignement traditionnel, c'est de faire appel à des « principes théoriques » et de ne se servir de l'expérience que pour illustrer ces principes. Vous voulez lui substituer un enseignement fondé sur l'usage exclusif de l'expérience. Or, une question se pose : Peut-on atteindre la science par cette voie ? Quoi que vous en pensiez, il n'en est rien. Je pense que c'est là le défaut essentiel de tout votre système. Procédant à une généralisation insensée, vous supposez que toutes nos connaissances s'acquièrent par la méthode des essais et des erreurs, parce que c'est ainsi que nous acquérons effectivement nos habitudes motrices...

Le fait est qu'il y a dans la science certains principes qui ne dérivent pas de l'expérience. Le fait est que, de façon plus simple il n'y a pas de science possible sans un appareil conceptuel ».

Nous tenons tout cela pour faux et nous nous en expliquerons mieux dans des études à venir.

Nous reprenons le rapport de notre équipe suisse pour trouver une notion sur laquelle nous sommes en complet désaccord aussi et qui mérite donc discussion : « Il est des secteurs cruciaux de l'arithmétique où on apprendra quitte à comprendre après ».

Il ressort aussi de notre enquête et de nos discussions qu’il y a un grave malentendu au sujet de l’abstraction et du concret. Il faudra nous entendre sur la valeur de ces mots si nous voulons discuter sainement ensuite de ces questions. Nous nous y emploierons dans les mois à venir, en utilisant les intéressantes réponses à notre enquête, Cette mise au point est indispensable si nous voulons établir une hiérarchie dans les acquisitions, depuis les bûchettes et les nombres, ce faux concret, jusqu’à la vie en passant par les matériels divers qui semblent être le summum de la pédagogie.

Le mot lui-même de calcul vivant prête à confusion. Je ne crois pas qu'il y ait chez nous quelque camarade attardé qui le comprenne comme cet éducateur dont nous parle M. Ischer : Il y a une certaine artificialité à vouloir absolument combiner un problème de vie pour le faire servir à une notion bien déterminée. Nous avons vu, chez un stagiaire qui avait choisi comme centre d'intérêt « Le grand Nord », un de ces problèmes encore plus artificiels que ceux des livres les plus traditionnels : 32 pingouins volent. Ensuite ils se posent sur quatre îlots de glace. Combien de pingouins par îlot ? »

Non, nous ne tirons pas les centres d'intérêt par les cheveux, mais notre méthode naturelle n'a pas encore trouvé ses normes définitives. Nous pensons y contribuer avec nos fiches-guides de calcul complexe.

Ainsi, nous voyons mieux les points sur lesquels devra porter la discussion à venir :

— Place des problèmes de vie ;

— Le nombre et les calculs mécaniques ;

— En calcul les règles, les lois en sciences, doivent-elles venir avant ou après l'expérience de la vie ?

— Faut-il, oui ou non, sacrifier la vie et l'intérêt aux exigences d'une gradation qui ne sera pas forcément scolastique ?

— Qu'est-ce que le concret ? Qu'est-ce que l'abstrait ?

— Qu'est-ce que la connaissance ?

Nous étudierons maintenant plus en détail ces diverses questions.

Et nous avons été amenés à discuter, longuement aussi de la théorie des ensembles dont on parle partout, notamment au second degré, Nous ne désespérons pas, d'expliquer cette théorie des ensembles par des cheminements et des expériences de bon sens, pour conclure que, pour notre premier degré, le calcul vivant est la traduction normale et simple de cette théorie des ensembles. Nous en parlons déjà dans notre B.E.M. Nous en discuterons plus longtemps dans Techniques de Vie.

C’est de la discussion que jaillit la lumière. Nous ne prétendons pas avoir toujours raison. Nous avons cette tournure d'esprit — scientifique — de ne pas faire confiance aux belles formules et aux mots savants de la scolastique. Nous passons toutes les idées au crible de notre expérience pratique. Peut-on nous le reprocher ?

Il y a bien sûr, entre les secondaires et nous cette différence de conception qui se traduit par des données pédagogiques tout à fait divergentes. Mais nos points de vue se rapprocheraient si nous discutions sans parti pris.

Or, sans nous connaître, les professeurs du second degré se font de nous et de notre travail une idée a priori qui ne risque pas de nous rapprocher.

M. Apéri, Professeur de mathématiques à l'Université de Caen, qui a suivi tout notre Congrès, nous disait : « Quand on parle des Techniques Freinet, on voit des enfants sur les tables ». Et voilà l'opinion de notre Professeur agrégé :

« Je tiens à ne pas cacher mon opposition à la plupart des thèses que vous défendez. Je n'hésiterai pas à affirmer mon désaccord. Je vois qu'un public qui semble avoir perdu tout esprit critique, qui n'admet que l'argument d'autorité dont il dénonce l'emploi chez les autres, et dont la compétence peut d'ailleurs être mise en doute, a coutume de vous approuver. Soucieux avant tout de la nouveauté des procédés pédagogiques, il acquiesce sans réflexion à n'importe quel slogan. Je suis navré de venir, par quelque réflexion, troubler ce concert de louanges. Mais votre audience est trop grande, vos erreurs me semblent trop graves, leurs conséquences risquent d’être trop catastrophiques... »

Voilà comment les professeurs — car notre correspondant n'est malheureusement pas seul à penser ainsi — voient les praticiens que nous sommes. Alors que ce tableau est exactement à l'opposé de la réalité. Il suffirait à nos collègues d'assister, comme l'a fait M. Aperi à un de nos Congrès, pour comprendre leurs erreurs.

Travaillons ensemble, faisons connaissance à même notre activité et notre vie, alors nous nous comprendrons mieux et nous collaborerons loyalement et fraternellement.

Au cours de ces derniers mois, nous avons été alertés à diverses reprises par les camarades sur la nécessité d'étudier d'urgence la question de l'Education physique à l’Ecole en général et au premier degré en particulier. L'élargissement des expériences de mi-temps pédagogiques ajoute encore à cette urgence.

Un certain nombre de camarades qui ont participé à des stages au Cresp de Dinard nous ont dit avec enthousiasme l'excellence des méthodes qui y sont pratiquées sous l'impulsion de Léger et du Dr Le Boulch.

Comme nous tenons à nous renseigner loyalement et sans parti pris, nous avons invité Léger et Le Bouich à venir prendre contact avec notre Congrès,

Malgré que la question de l'Education physique n'ait pas été portée à l'ordre du jour d'un Congrès déjà chargé, nous nous sommes arrangés pour que le Dr Le Boulch (Léger n’avait pu venir) puisse nous parler longuement.

Nos amis avaient raison de dire que Léger et Le Boulch avaient pour leur discipline des conceptions d'avant-garde très voisines des nôtres, La critique que le Dr Le Boulch nous fit des méthodes traditionnelles en gymnastique nous emballa et nous croyions être totalement d’accord sur les principes ; étant bien entendu que, dans la pratique, nous sommes obligés de tenir compte des conditions qui nous sont imposées.

Nous comprenons fort bien que, dans les conditions actuelles de l'Ecole de Villes il soit difficile de faire une gymnastique valable. Alors, nous faisons ce que nous pouvons en attendant que se réalisent les conditions matérielles qui permettront une bonne méthode. C'est à ce titre que nous acceptons les cinq minutes de gymnastique de maintien, comme nous faisons de la grammaire que nous jugeons pourtant inutile.

Mais voilà que le Dr Le Boulch pense que la méthode naturelle est insuffisante et que les exercices méthodiques sont nécessaires.

Le temps nous a manqué pour discuter à fond de cette question fondamentale qui se pose pour la culture physique exactement comme elle se pose pour les sciences et le calcul. Là aussi il nous faut partir de la vie par la gymnastique naturelle, pour revenir ensuite aux exercices dont on sent et comprend la nécessité.

Nos camarades ont déjà parfaitement réagi dans certaines réunions de province. Notre expérience unanime mérite d'être considérée en tout premier lieu par ceux qui veulent régénérer cette discipline. Ce qui risque souvent de troubler nos travaux c’est que des personnalités comme Léger et Le Boulch qui vivent leur enseignement e1 qui y ont une maîtrise sensible particulière peuvent en effet faire faire des exercices qui répondent parfaitement à nos besoins. Comme il est des éducateurs qui, sans s'engager dans nos techniques savent vivifier à la perfection un enseignement de forme scolastique. Mais c'est là la grande exception. Pour les non-initiés, la scolastique, où qu'elle soit, gardera toujours ses tares, Et c’est contre ces tares que nous cherchons des remèdes.

Nous continuerons la discussion. Nous allons déjà publier dans le prochain numéro de Techniques de Vie, la fin d’un important article de Le Bohec sur ce thème. La discussion continue.

Mais nous ne voudrions pas que quelques-uns de nos correspondants, l’équipe suisse notamment, s'émeuvent parce que nous critiquons leurs points de vue. Nous savons sincères les personnalités qui s’appliquent à défendre des conceptions qu’elles croient justes et justifiées. C'est non seulement leur droit mais aussi leur devoir. Comme c'est notre devoir de techniciens de dire en cette occasion ce que nous dit notre longue expérience.

Nous rapprocherions certainement nos points de vue si nous pouvions discuter. Et contrairement à ce que croit notre correspondant professeur, nous discutons sans cesse les divers points de vue, au sein de notre mouvement et dans nos Congrès. Il suffirait que ce professeur assiste à quelques-unes de nos réunions de travail pour comprendre qu’il n'y a pas chez nous de suiveurs mais une conjonction peut-être rarement atteinte d'un groupe important de camarades qui n’admettent vraiment comme juste que ce qui est passé par l’estamine de notre entendement.

C'est une condition essentielle de nos progrès.

La discussion à peine amorcée dans ces domaines continue.