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DITS DE MATHIEU Barrage ou calebasses

Dans :  Formation et recherche › connaissance de l'enfant › 
Février 1950

Notre unité, ce sont nos besoins communs de travailleurs, nos besoins et nos soucis d’éducateurs du peuple qui la supposent, la préparent et la cimentent.
Nous ne nous réunissons pas dans nos Congrès pour discuter de nos sentiments philosophiques ni de nos tendances sociales ou politiques. Ce sont déjà là jeux intellectuels qui séparent seulement les hommes qui n’ont su retrouver, à la base, les fondements inébranlables de leurs efforts communs.    
Nous sommes les habitants d’un quartier qui avons besoin d’eau d’irrigation et qui avons décidé de nous unir pour exécuter les travaux de recherche et de construction qui nous permettront d’améliorer nos conditions de vie et de travail.
Nous sommes forcément d’accord sur le principe de la nécessité de l’eau. Seules les questions techniques peuvent nous séparer, à savoir si on doit faire le barrage en gabions ou en béton moderne, si on doit le construire hardiment dans cette gorge abrupte ou l’amorcer seulement au débouché du ruisseau dans la plaine, ou s’il ne serait pas préférable d’installer un élévateur.
Ces considérations techniques ne seraient graves pour l’unité de notre groupe que si nous les abordions, non sous l’angle de l’expérimentation scientifique mais sous celui du dogmatisme et de l’autorité, ou bien si nous n’avions pas su, ou pas pu, dominer les intérêts particuliers qui risqueraient d’imposer des solutions contraires aux besoins de la majorité du groupe.
Mais si nous cherchons loyalement, scientifiquement, sans souci égoïste d’intérêt personnel, nous tâtonnerons peut-être longtemps, nous nous tromperons mais nous rectifierons nos erreurs et nous triompherons.
Il y a, certes, pour nous regarder ironiquement, les racornis qui n’ont plus la force ni la volonté de lutter pour une amélioration de leur sort et qui continueront à aller puiser l’eau à la rivière avec une calebasse. Ils sont les plus durs à traîner mais non les plus à craindre. Ils sont moins à craindre que les affairistes qui vendent l’eau de la rivière ou qui fabriquent les calebasses et que gênera le canal généreux vivifiant demain le village. Et moins à craindre aussi que les malins qui ont inventé un bidon spécial pour le transport de l’eau ou une pompe qu’ils disent supérieure au puissant barrage, et qui veulent vendre leur camelote brevetée S.G.D.G.
Asseyons et montons notre barrage, mettons en place notre canalisation. Quand l’eau coulera à gros bouillons clairs au tuyau de la fontaine, les sceptiques eux-mêmes viendront y boire, et les bidons et les calebasses rejoindront dans les greniers les vestiges morts des techniques dépassées.