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Lecture à la une

Juin 1999

« Faillite de l’école », « 20 ans d’erreurs », « Irrémédiable déclin de la lecture ». Une fois encore,la question de la lecture fait la une des journaux.Un sondage auprès des parents fait apparaître une image dégradée de l’efficacité de l’école dans ce domaine. La médiatisation des résultats des dernières évaluations en CE2 et 6 e présentés comme alarmants, permet quelques règlements de comptes. Des méthodes sont qualifiées de dangereuses parmi lesquelles celle qui ne travaille pas le code mais le sens et celle qui se focalise sur la mémoire visuelle. Ces méthodes, absolument minoritaires, ne peuvent être tenues pour responsables des échecs en lecture.Il n’empêche qu’on en profite pour dénoncer les méthodes privilégiant le sens. Au lieu de s’attaquer aux véritables causes de la crise de l’école en ce domaine,au lieu de s’inquiéter de la dégradation des conditions de vie des enfants en échec en lecture,il semble plus facile de focaliser l’attention sur les méthodes. Les thèses défendues par les membres de l’Observatoire national de la lecture qui réfutent la « méthode idéo-visuelle » font un retour en force. Cherchant une justification scientifique auprès de certaines recherches en psychologie, ils en tirent une conclusion d’une nouveauté confondante : il faut centrer les méthodes d’apprentissage de la lecture sur l’enseignement explicite,dès le début du CP,des correspondances grapho-phonétiques.
Voici donc la recette miracle : la syllabisation.Pour résoudre les problèmes d’apprentissage de la lecture,il faudrait donc renforcer encore ce que la majorité des enseignants de CP pratique depuis des dizaines d’années et qui manifestement conduit à un échec ! Cette contradiction ne pouvant pas être niée, il reste à médicaliser les difficultés des enfants et à faire appel à des causes spécifiques comme la dyslexie qu’on se prépare à dépister dès la maternelle.
Plutôt que de se placer sur leur terrain et de chercher à notre tour à tirer d’une théorie psychologique une démarche pédagogique, nous pouvons redire après Freinet « Sus à toutes les méthodes scolastiques ». Il faut rappeler qu’aucune technique ne permet un réel apprentissage de la lecture si elle ne s’appuie sur une pratique de la lecture. Sinon, on ne construit au mieux que des apprentissages mécaniques. « Toute pédagogie est faussée qui ne s’appuie pas, d’abord, sur l’éduqué, sur ses besoins, ses sentiments et ses
aspirations les plus intimes (1).» Des États généraux de la lecture et des langages viennent de  se  tenir  à  Nantes. Comme  d’autres  mouvements  pédagogiques, nous  avons curieusement été oubliés lors de cette manifestation. Certains axes avancés par la ministre
de  l’Enseignement  scolaire  ne  sont  pourtant  pas  étrangers  à  nos  préoccupations (individualisation, plus de maîtres que de classes, inspections collectives, renforcement des cycles, formation, BCD, recherche-action sur les apprentissages et ateliers lecture et langages). Il n’en reste pas moins vrai que,dans le domaine de la lecture comme ailleurs, c’est en intégrant l’école dans le processus normal d’évolution individuelle et sociale des élèves qu’on trouvera les réponses aux difficultés de l’école. « L’enfant qui sent un but à son travail et qui peut se donner tout entier à une activité non plus scolaire,mais simplement sociale et humaine, cet enfant sent que se libère en lui un besoin puissant d’agir, de chercher, de créer (2). » Ce qui fait l’originalité de notre méthode naturelle de lecture-écriture, ce  n’est  pas  tant  l’apprentissage  précoce  du  décodage  ou  l’ordre  de reconnaissance des correspondances grapho-phonétiques que le fait qu’elle s’appuie sur le vécu des enfants et s’inscrit dans une perspective sociale et relationnelle en utilisant des techniques efficientes : texte libre, socialisation de l’écrit, correspondance scolaire.
C’est la mise en place de situations de communication,de production d’écrits,de lectures authentiques à travers la vie d’une classe coopérative en réseau avec d’autres classes et en liaison avec d’autres acteurs sociaux qui fait notre spécificité et que nous devons
défendre envers et contre tous les retours en force de la scolastique d’où qu’ils viennent.

Jean-Marie Fouquer
Président de l’ICEM

(1) Célestin Freinet, La Méthode naturelle, Delachaux et Niestlé, 1968.
(2) Célestin Freinet, La Méthode naturelle, Delachaux et Niestlé, 1968.