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Coopération et organisation pédagogique des conditions d'apprentissage (I)

Dans :  Principes pédagogiques › Formation et recherche › 
Février 1995

Marc Bru, professeur en sciences de l'Éducation à l'université de Toulouse II et membre de l'ICEM, est intervenu au Salon des Apprentissages individualisés et personnalisés de Nantes (novembre 1994).

«Pour moi, enseigner c’est organiser directement ou indirectement des conditions (matérielles, temporelles, psycho-logiques, relationnelles ... ) en vue de faciliter l'apprentissage..
Il existe bien des façons d'organiser les conditions d'apprentissage. C'est cet éventail des possibles que je voudrais examiner dans une visée à dominante descriptive. Mon but n'est certainement pas de définir quels sont les bons choix à l'intérieur de cet éventail
Le schéma général de mon analyse est fondé sur l'idée que les situations d'enseignement‑apprentissage sont un lieu de rencontres, plus ou moins heureuses, entre deux champs de variabilité : celui des apprenants et celui des modalités de l'enseignement. »
 
Variabilité inter et
intra‑individuelle
chez les apprenants
Quelques rappels :
Ce sont d'abord les travaux sur la variabilité interindividuelle qui ont nourri la réflexion pédagogique ; il s'agissait de reconnaître et de spécifier les différences concernant notamment :
‑ le développement intellectuel qui, même dans un groupe composé de sujets ayant approximativement le même âge, peut varier de façon importante (...)
‑ les styles cognitifs. (...) On doit à H.A Witkin (1) des recherches fort astucieuses ayant pour but de différencier les sujets selon l'organisation de leurs processus d'acquisition et d'élaboration des informations sur l'environnement. R.C Anderson (2) et ses collaborateurs conçoivent les styles cognitifs comme des « habitudes de traitement de l'information liées à des traits de personnalité sous‑jacents qui se manifestent sous la forme de préférences stables, d'attitudes ou de stratégies habituelles qui caractérisent les modes de perception, de remémoration, de réflexion et de résolution de problème d'un individu » (...)
‑ les représentations des savoirs et les connaissances acquises. Bien avant l'apprentissage systématique à l’école, l'élève a construit une connaissance personnelle et un système explicatif au sujet des phénomènes physiques, biologiques, sociaux... qui l'entourent. Apprendre consisterait à réaliser un changement de perspective, une remise en cause d'un « déjà‑là » conceptuel, sorte de rupture épistémologique pour le sujet qui, dépassant les obstacles que constituent ses schémas explicatifs antérieurs, s'engage dans la construction de nouveaux modèles, de nouvelles explications (...)
‑ les représentations de la situation d'ap­prentissage scolaire. L'école, sa place dans la vie sociale, ses fonctions, ses acteurs (enseignants et élèves en particulier), leurs rôles et leurs conduites (ensei­gnement et apprentissage) sont perçus différemment d'un élève à l'autre (3). Sur les divers aspects de la situation scolaire, chacun possède des représen­tations particulières qui se sont édifiées notamment à travers l'expérience fami­liale et culturelle.
Pour certains jeunes élèves, le comportement scolaire adéquat sera par exemple écouter, obéir, et attendre des consignes pour agir ; pour d'autres ce sera intervenir, proposer des solutions, dire ce que l'on pense en courant le risque de se tromper (...)
‑ la dimension psycho‑affective (…) On a pu montrer que l'implication et l'investissement dans l'apprentissage dépendaient du niveau d'anxiété, de l'état émotif, des attitudes du sujet en situation scolaire.
Dans un premier temps moins étudiée que les variations interindividuelles, la variabilité intra‑individuelle est maintenant à l'ordre du jour (...) Sous des conditions appropriées, la plupart des caractéristiques individuelles sont susceptibles d'évoluer : l'anxiété face aux tâches scolaires, les représentations de l'école, les représentations des phénomènes et objets étudiés, les procédures cognitives sont, sur une période de temps parfois très courte, variables chez le même élève (...)
L'étude des facteurs de variabilité intraindividuelle est encore peu avancée ; plusieurs voies sont explorées, elles concernent notamment : le rôle du contenu du problème à traiter, l'incidence des activités associées et de leurs limites (mémoire, activités motrices, perceptives…), l'influence des connaissances en jeu (sociales, verbales, pragmatiques...), les effets de contexte.
Les variations dans l'organisation
des conditions d'apprentissage
(...) Dans un but d'analyse qui est loin d'atteindre l'exhaustivité, je propose de répartir les variables d'action de l'enseignant (celles sur lesquelles il peut adopter des modalités différentes) en trois catégories (4) :
‑ les variables relatives aux contenus (variables didactiques)
‑ les variables relatives aux processus pédagogiques
‑ les variables relatives au dispositif pédagogique.
Variables relatives aux contenus
Sélection et organisation des contenus
Les instructions officielles et les programmes ne constituent qu'un cadre général à l'intérieur duquel l'enseignant fait des choix :
‑ de transposition didactique
‑ d'organisation et de présentation des contenus (découpage, répartition, articulations, enchaînements, comparaisons, procédés analogiques, contextualisation/décontextualisation...)
Niveaux taxonomiques des objectifs
Les taxonomies distinguent plusieurs niveaux : les objectifs relevant des connaissances factuelles (associations), les objectifs de compréhension, les objectifs procéduraux, les objectifs de résolution de problèmes...
Les objectifs mis en oeuvre quotidiennement en classe ne relèvent pas toujours du même niveau taxonomique. Il existe bien un ensemble de possibilités plus ou moins largement exploitées selon les enseignants ou la période considérée.
Activités sur les contenus
Les activités en classe peuvent appartenir à plusieurs champs: celui des activités sensorielles, celui des activités motrices, des activités cognitives... Dans chacun de ces champs il peut s'agir de reproduire, de comparer, d'inventer... Les activités cognitives sont en rapportt étroit avec les connaissances en jeu (elles sont différentes en mathématiques et en français...).
Variables relatives aux processus pédagogiques
Les conditions de la dynamique de l'apprentissage
(…) L’engagement dans une activité d'apprentissage et l'implication de l'élève sont bien souvent le résultat d'un ensemble de motifs et de motivations qui, en partie, échappent à l'enseignant. Cependant, ce dernier n'est pas totalement étranger à la façon dont s'installe ou ne s'installe pas une dynamique de l'apprentissage.
Les solutions adoptées sont nombreuses et assez rarement formalisées :
‑ le recours à des sanctions positives ou négatives qui, dans certains cas extrêmes, relèvent du châtiment corporel mais qui plus généralement restent symboliques (le bon point ou l'image pour les petits, la note pour les plus grands ou bien, plus simplement, le commentaire élogieux ou encourageant...) ;
‑ la référence sociale utilisée sous des modalités diverses telles l'émulation, la comparaison ou la rivalité ;
‑ l'attrait des situations, des matériels ou des exercices proposés. L'application des techniques modernes à la fabrication de manuels ou de matériel didactique en fournit de nombreux exemples ;
‑ la prise en compte de la dynamique interne du sujet qui apprend.
Le désir d'accomplissement du sujet, la recherche d'un équilibre cognitif, la réalisation d'un projet personnel ou collectif sont aussi source de motivation.
La répartition des initiatives
Les configurations rencontrées se situent entre deux pôles extrêmes :
‑ celui de l'initiative magistrale exclusive (l'enseignant fixe le but, la procédure et les moyens) ;
‑ celui de l'initiative totale de l'apprenant ou du groupe d'apprenants. Il s'agit alors de ce qu'on appelle habituellement une activité libre dans laquelle le maître n'intervient éventuellement qu'à la demande. Entre ces deux pôles, existent des variables selon de multiples « dosages » dans la répartition des initiatives : initiative du but réservée à l'enseignant et initiative de la procédure ainsi que des moyens à la disposition de l'apprenant...
Les registres de la communication, didactique
(...) Il existe un langage technique propre à chaque discipline scolaire, cependant d'autres registres sont utilisés notamment à l'école maternelle et à l'école élémentaire: langage familier, langage scolaire particulier, langage utilisant un vocabulaire peu commun...
Les modalités d'évaluation
Dans un but d'analyse, on peut retenir la distinction entre les fonctions, les objets, les agents et les moyens de l'évaluation.
Cela revient à essayer de répondre à quatre questions : pourquoi évalue‑ton ? Sur quoi porte l'évaluation ? Qui évalue ? De quelle manière ?
Chaque opération d'évaluation peut être décrite à partir de sa configuration caractéristique constituée par la ou les modalité(s) retenue(s) sur chacune des quatre dimensions. Les combinaisons étant très nombreuses, on imagine facilement l'étendue des variations théoriquement envisageables.
Marc Bru
(1) Les premiers travaux de HA Witkin (1959) sont rappelés et illustrés par Reuchlin M. Psychologie, Paris, PUF, 1981.
(2) Cité par Noël B., La Métacognition, Bruxelles, De Boeck, 1991.
(3) Signalons sur ce thème l'ouvrage de M.Gilly, Maître‑Élèves, rôles institutionnels et représentations, Paris, PUF, 1980.
(4) M. Bru, Les Variations didactiques dans l'organisation des conditions d'apprentissage, Toulouse, EUS, 1991.
Nota : les coupures ont été faites par la rédaction.
Dans le prochain numéro du Nouvel Éducateur la suite de ce texte : les variables relatives au dispositif pédagogique.

 

 

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