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Coopération et organisation pédagogique des conditions d'apprentissage (II)

Dans :  Principes pédagogiques › Formation et recherche › 
Mars 1995

Dans le numéro du Nouvel Educateur de février 1994 nous avons publié la première partie de ce texte de Marc Bru. Etaient développés la variabilité inter et intra-individuelle chez les apprenants, les variables dans l'organisation des conditions d'apprentissage relatives aux contenus et aux processus pédagogiques. Nous proposons ci-dessous la suite de cette réflexion.

 
Les variables relatives au dispositif pédagogique
 
Lieux et espaces d'enseignement-apprentissage
.../... Les classes ou salles de cours sont les lieux les plus habituels où se retrouvent enseignants et apprenants.../... Par l'organisation de séquences décloisonnées, ou par la mise en place d'ateliers de travail autonome certains établissements parviennent à élargir le champ des possibilités. Les activités organisées à l'extérieur (classes découverte, enquêtes, visites...) réalisent aussi de nouvelles conditions d'appropriation de connaissances. Ajoutons enfin que l'aménagement matériel de la classe (affichages, mobilier...) n'est pas forcément immuable.../...
Le regroupement des élèves
.../... Le degré d'hetérogénéité, la taille du groupe, le statut sociométrique de ses membres... sont des dimensions sur lesquelles l'enseignant peut agir afin de réaliser des situations d'apprentissage diversifiées.
L'organisation temporelle
L'enseignant est amené à adopter une répartition des activités dans le temps ; il peut s'agir d'un choix initial définif (dans ce cas la référence est, pour toute l'année, une répartition réglée à l'avance dans ses moindres détails) ou bien du choix d'une répartition temporelle adaptable.
Pour une classe ou un groupe, les variations envisageables se rapportent à deux aspects principaux de la gestion temporelle :
- la durée de chaque activité
- l'ordre chronologique et le rythme des activités.
Les matériels et les supports didactiques
.../... Le cas extrême d'absence de diversification pour cette variable peut être représenté par la référence exclusive à un manuel (une "méthode").
Partant de ce schéma on imagine l'étendue de l'éventail des possibles : si pour chacune des 11 variables examinées existent plusieurs modalités (il est facile d'en concevoir 4 ou 5 par variable) les combinaisons différentes sont très nombreuses ; si l'on envisage formellement la variabilité potentielle on assiste à une véritable explosion combinatoire.
Pour organiser les conditions d'apprentissage, l'enseignant fait des choix plus ou moins explicites. Il ne peut pas y échapper, le passage à l'action rend ces choix nécessaires. Il s'agit pour lui de réduire la variabilité potentielle pour organiser la variété réalisée. Se pose alors la question des critères de réduction. Une pédagogie fondée sur la coopération est parmi d'autres, une façon de réduire les possibles.
 
La coopération : une entrée par le choix des processus pédagogiques
 
.../... Situer l'enseignement et l'apprentissage dans les rapports sociaux de coopération c'est effectuer de façon prioritaire une sélection parmi les possibilités d'organisation des processus pédagogiques :
- les initiatives sont partagées entre enseignants et apprenants.../... Les élèves ne sont pas des exécutants.
- les initiatives sont aussi généralement partagées et négociées entre les apprenants.
- la dynamique de l'activité à l'école vient prioritairement des apprenants qui, placés en situation de projet personnel et collectif donnent sens à ce qu'ils font. Est écartée ou du moins peu fréquente la modalité impositive avec menace de sanction sur des critères relevant de façon exclusive de l'autorité magistrale.../...
La coopération crée un ensemble particulier de conditions d'apprentissage en agissant comme réducteur de la variabilité potentielle et organisateur de la variété réalisée. Ces conditions d'apprentissage en valent bien d'autres, établies à partir d'autres démarches sélectives ; il y a même lieu de penser qu'elles leur sont parfois supérieures.
On peut trouver dans la littérature scientifique plusieurs arguments en faveur de la coopération :
- reprenant de manière synthétique les travaux de psychologie sociale sur la comparaison entre conditions de coopération et conditions de compétition, J.M Monteil (1) rappelle qu'il semble avéré "que la coopération produit de meilleurs résultats sur les performances à une tâche que la compétition"..."contrairement aux structures de classes scolaires dites compétitives, la caractéristique essentielle de l'apprentissage coopératif tient au fait que le succès d'un élève contribue au succès de l'ensemble du groupe".
- lorsque la coopération crée "les conditions d'une interdépendance positive incluant la responsabilité individuelle" les activités cognitives se trouvent stimulées ; ces conditions fournissent à l'apprenant l'occasion de confronter ses points de vue à ceux de ses pairs (conflit socio-cognitif).
- l'interdépendance fonctionnelle des buts fait qu'en situation de coopération, "les élèves organisent cognitivement le matériel à apprendre de manière plus élaborée que lorsqu'ils sont amenés à le faire pour leur seul bénéfice".
 
N'écartons pas les problèmes
 
Après la présentation qui vient d'en être faite, nul ne doute de la pertinence de la coopération à l'école :
- le choix initial de modalités particulières (la coopération) sur les variables de processus pédagogique fonctionne explicitement comme réducteur-organisateur des modalités sur les autres variables ;
- les conditions d'apprentissage qui en sont issues prennent des configurations dont l'intérêt est conforté par les acquis des sciences humaines, en particulier de la psychologie sociale cognitive.
Tout est pour le mieux ; il resterait à développer la pédagogie coopérative pour le plus grand bien des écoliers.
Quelques questions méritent cependant d'être posées ; non pour attaquer cette fois la coopération mais pour prévenir toute dérive vers le formalisme ou, pire encore, vers le dogmatisme.
Je terminerai mon propos par ces questions auxquelles je n'apporterai pas de réponse, d'abord parce que je ne les possède pas, ensuite parce qu'elles relèvent d'une démarche qui appartient aux acteurs, à chaque praticien.
Si le choix de la coopération est exclusif des autres possibilités d'organisation des conditions d'apprentissage, tout un ensemble de variations est abandonné.../... Ne peut-on penser que des configurations issues d'autres choix que celui de la coopération sont, en certains cas, tout aussi pertinentes pour l'apprentissage ? Parce qu'il multiplie les possibilités de variation, l'éclectisme n'est-il pas aussi recevable que la fidélité à un seul principe organisateur ?
D'ailleurs, quel praticien soutiendrait que point par point, et sur toute la durée de sa présence auprès des élèves, il organise les conditions d'apprentissage en parfaite cohérence avec le choix initial de la coopération ?
L'enseignant agit en situation d'interaction fortement contextualisée, au point que les modalités de son action ne sont pas toujours décidées à priori mais construites dans une dynamique interactive.../... Sa démarche organisatrice des conditions d'apprentissage s'inscrit dans un réseau de tensions entre cohérence interne de l'action, cohérence externe et cohérence séquentielle :
- la cohérence interne suppose l'absence de contradictions entre les différentes modalités d'action simultanées de l'enseignant (son profil d'action en un temps "t") qui a choisi la coopération.
- la cohérence externe renvoie à la recherche d'adéquation entre les modalités d'action pédagogique et les réactions des élèves (qui peuvent ne pas réagir comme on pouvait s'y attendre aux conditions créées par la coopération) ou les contraintes et les ressources du lieu et du moment.
- la cohérence séquentielle tient aux enchaînements des différentes modalités d'action pédagogique dans le temps (d'une séquence à l'autre, d'un jour à l'autre, beaucoup de choses changent au point que l'ordre prévu initialement est remis en cause...).
L'enseignant est améné à chercher à se sortir d'affaire à l'intérieur de ce réseau de tensions inévitables ; l'idéalisation d'une pédagogie fondée sur la coopération est fort utile : elle donne un point de mire ; mais elle est tout aussi dangereuse car elle conduit au refus dogmatique des contradictions pourtant présentes et riches de potentialités.
Marc Bru
 
(1) J.M Monteil Comparaison sociale, coopération, compétition. In J. Houssaye La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd'hui, Paris, ESF, 1993
 

 

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