CréAtions 86 - Naturellement créateur - publié en mars-avril 1999 Henri Go (extraits de la plaquette du vernissage de l'exposition de la Tour Charles Quint, 1997, Editions H.I.E.M.S.) Catherine Barles - Les demoiselles coiffées publié avec l'aimable autorisation de l'artiste |
Catherine Barles Les demoiselles coiffées
Le présent n’est qu’une « traversée ». Le temps que nous nous efforçons de vivre, ce temps maintenant est comme une apnée, un saut qu’il faut risquer dans le vide ; assurant notre appui du côté de l’origine, nous nous confions aux images du possible, pour tenter, encore et encore, la séparation de l’image de soi. Une traversée, c’est en effet ce que l’étrange Jésus de Nazareth disait qu’était ou devait être notre existence. Les sculptures se dressent, nombreuses, hiératiques, manifestant presque l’élan du refus, du refus de se laisser décrypter ou ramener à un discours d’ordre. Ces sculptures, les demoiselles, viennent à la fois vers nous, dans le processus même de la création artistique, et s’en défendent. Elles sont en suspens, elles sont la concrétion grave, et le déséquilibre d’un présent qu’exténue sa propre audace.* Elles sont l’apparition, sous nos yeux arrêtés à l’espace, d’une limite où de l’Autre se perçoit enfin distinctement, où le désir de vie donne lieu à images sans une ombre de mensonges, sans une ombre de doublure, sans une ombre de répétition de soi. Que cette prolifération de possible, en l’espèce des sculptures, dise le désir du réel, c’est ce qui n’est pas étonnant, car les demoiselles érigent et multiplient l’image de ce qui résiste au-delà toujours de toute image, l’image de cet Autre que désire en vérité le désir. Mais si nous ne cédons pas à la tentation métaphysique de considérer le réel lui-même comme impossible, les œuvres et la temporalité qu’elles nous invitent à instituer dans l’énigmatique temps de la contemplation – sont l’inscription de l’auteur dans son présent osé, dans son appel pris pour un ailleurs qui n’est que la production même du désir. Les œuvres surgissent dans le champ de vision, comme matière neuve, et comme une floraison de finitude. L’échec de l’art, c’est lorsqu’il se raconte sa propre histoire, et qu’il tourne dans l’arène de l’identique à soir. Gratuit. Arbitraire. Guindé ou bavard. Superficiel et maniéré. Bourgeois. Un drame de l’art, c’est lorsqu’il s’abîme sous l’étrave de la souffrance, et qu’il se perd dans l’étrangeté à soi, la tristesse, rongeant pars son altération de sciures le sens de soi. Que l’art soit cette fumée ou ce mur, il ne parle que d’une abdication éthique, ce moyen subtil et presque malhonnête de vouloir se mettre à l‘abri des questions ultimes de notre état humain. Que l’art dise une fascination pour l’image illusoire de soi à la surface de l’eau de la mort, ou qu’il dise une fascination pour l’enfouissement de toute image de soi dans cette même eau, il est l’art sans art. Voilà la belle chose que présentent Les Demoiselles : un entrechat spirituel. Comme si l’intelligence, à la fine pointe de son attention la plus tranquille, effectuait ce saut léger au cours duquel les sculptures harmoniseraient comme un ouvrage presque sonore la matière.
*Je me réfère uniquement, dans ce très bref article, aux sculptures en bois de palmier hérissées sur tiges métalliques. Catherine Barles produit une diversité de sculptures que je n’ai pas la possibilité d’évoquer ici. Henri GO (extraits de la plaquette du vernissage de l’exposition de La Tour Charles Quint, 1997, Editions H.I.E.M.S.)
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