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Un débat sur un débat

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Février 1975

Mon expérience des débats en classe ... très peu de choses solides. D'ailleurs que peut-on savoir de "solide" après une petite première année d'enseignement du français ? J'avais bien lu le dossier de L'Educateur sur les débats et les exposés en classe, mais quelle distance entre les expériences des autres consignées dans un dossier et ma situation face à la 4e12, dite encore "aménagée", que l'on m'a attribuée cette année ? ...

 

 

ACTE 1 : Les prémisses du débat

 Il faut bien se jeter à l'eau ! ... Vers la mi-octobre : première "composition française" mensuelle ("pour les notes" , comme tout le monde) sur le sujet suivant : "Qu'évoque pour toi le mot "étranger" ? A traiter en une heure en classe ... Devinez la réponse : "un étranger, c'est quelqu'un qui n'habite pas en France" pour l'unanimité de mes quinze élèves, et c'est à peu près tout, sans moquerie ... Et pourtant je les avais entendus, un ou deux jours avant, pendant une interclasse, s'accuser en riant de "sale vannier", et prétendre avec conviction que les Bohémiens "n'étaient que des bons à rien"...

 

ACTE 2 : Où l'idée d'un débat surgit

 Vaillamment, j'entreprends de "sensibiliser" mes élèves à la réalité de l'étranger et, en bon maître intellectuel, je commence par proposer à leur lecture un petit texte de Joseph de Pesquidoux intitulé : "Bohémiens sur la route" dans leur manuel de la nouvelle collection Bordas (4e)... J'ai passé mon heure à traduire des termes tels que "leurs roulottes échelonnées sur la route", "un peuple en haillons", "leurs cheveux crépelés", etc. J'avais visé trop haut. ..

 Je reviens la fois d'après avec "MON pote le gitan", interprété par Yves Montand. Réactions : "Ça nous a plu ; on aime le personnage ; on a tout compris tout de suite" ... Cette fois l'amorce d'une réflexion semblait établie, si bien qu'à la fin de l'heure, trois de mes élèves proposent d'animer pour la foi s suivante un débat sur le thème de l'étranger. Je demande bien sûr à tout le monde d'apporter pour ce jour-là toutes les idées (de préférences notées au brouillon) et tous les documents (coupures de journaux, etc.) sur la question.

 

ACTE 3 : Où le découragement vous attend au tournant

 Au moment fixé pour le débat, j'ai devant moi douze personnes : "rien dans les mains, rien dans les poches" et trois autres personnes qui se préparent à les affronter. .. Celles-ci avaient préparé des questions que je vous livre telles quelles, d ans leur ordre d'apparition :

 - A quoi reconnaît-on un étranger ?

 - Quelles sont les particularités d'un étranger lorsqu'il arrive ?

 - Dans une telle situation, que feriez-vous à la place d'un étranger ? en général ? si vous arrivez en tant qu'étranger dans une nouvelle classe à l'école ?

 - Si un étranger devait venir habiter chez vous, comment lui demanderiez-vous de se comporter ?

 Ces questions, plus ou moins adroites, mais contenant en germe de nombreux problèmes intéressants, se sont heurtées à un mur d'indifférence et de silence. Certes, j'aurais dû intervenir beaucoup plus que je ne l'ai fait dans la préparation de ce débat, encore que je ne sois pas sûr que cela eût amené un résultat différent.

 Les réponses aux questions ont été désespérément lapidaires et insipides et, lorsqu'elles étaient intéressantes et pouvaient donner lieu à une véritable discussion, tous mes efforts pour relancer le débat ont été vains...

 

ACTE 4 : Le lendemain matin, les mêmes

 Dès mon arrivée, j'ai droit à la remarque suivante "Monsieur, le débat d'hier n'était pas bien. On s'est ennuyé et on a l'impression d'avoir perdu notre temps".

 C'est bien mon avis aussi. Il ne nous reste plus qu'à chercher pourquoi cela s'est produit ainsi et, éventuellement, à essayer de trouver des solutions pour éviter que cela ne se reproduise.

 Et c'est là-dessus que s'est greffé un véritable débat...

 Voilà le compte rendu de l'autopsie de notre échec :

 1) L'absence de réponses a été attribuée, de même que l'impossibilité de discuter :

 - aux difficultés d'expression (accent alsacien trop prononcé, difficulté à exprimer clairement ses idées)

 - à la gêne et à la crainte du ridicule : "les camarades se moquent de nous lorsque nous nous trompons" ; "il y a des filles dans la classe" (même réaction des filles vis-à-vis des garçons) ;

 - au fait qu'on ne puisse pas tout dire en classe ;

 - à l'ennui qui vous gagne pendant de trop longs moments de silence ou après des questions mal formulées par les animateurs et qui tombent à plat ;

 - au fait qu'on n'a pas envie de réfléchir . .

 2) Le peu d'intérêt de nombreuses réponses est expliqué par le fait que :

 - plutôt que de risquer de dire des "bêtises" on dise n'importe quoi ;

 - dans cette classe, les élèves ne se sentent pas assez "cultivés" (eh oui, voilà le résultat le plus typique d'une éducation basée sur l'échec ! ) ;

 - la classe n'a pas sérieusement réfléchi à la question. Personne n'a éprouvé le besoin d'apporter un témoignage ou un document sur la question de l'étranger ;

 - les animateurs ont posé des questions trop générales ; ils n'ont pas su donner leur propre réponse. Certaines de leurs questions faisaient double emploi. Ils n'interrogeaient pas individuellement leurs camarades.

 3) La discussion est rendue difficile aussi par de mauvaises conditions plus générales :

 - une assistance trop bruyante (chaises qui remuent sur les carreaux du sol, par exemple).

 - tout le monde parle en même temps sans demander la parole ;

 - certains ne participent pas du tout alors que la classe est déjà peu nombreuse ;

 - préparer un débat est plus difficile qu'on peut le croire ;

 - la chasse d'eau des W.C. d'à côté dérange sans arrêt...

 

ACTE 5 : Où un véritable débat n'apparaît plus hors de notre portée

 Mes élèves : C'est drôle , cette fois on s'est écoutés, on a demandé la parole, sauf l'une d'entre nous, tout le monde a participé à la discussion, on a réfléchi et, même, c'était intéressant.

 Moi : Parce que cela nous concernait plus directement que les étrangers, parce que ce dont nous parlions, nous l'avion vécu ensemble la veille.

 Patrick : Monsieur, pour la semaine prochaine, je voudrais animer une discussion sur la discipline à l'école. Est-ce que j'ai le droit ? ...

 Comme il est curieux que ce curieux sujet, demandé de cette curieuse façon soit apparu à· ce moment-là, non ?

 

ÉPILOGUE :

 Ce débat a eu lieu dans les mêmes conditions que notre "débat sur le débat" et malgré encore bien des difficultés et des maladresses de présentation, il a, une nouvelle fois, permis a pratiquement tous les élèves de la classe, de s'exprimer et de se retrouver autour d'une question qui leur tenait à cœur.

 Depuis... plus grand chose de passionnant... Le souffle est tombé, le train train quotidien a repris. Chacun a regagné sa coquille, voudrait bien en ressortir et ne sait plus comment s'y prendre (le prof y compris).

 J'ai appris par cette expérience, une chose si souvent répétée, mais si difficile à vivre : un débat, et quoique ce soit dans une classe où on voudrait que les élèves soient avant tout eux-mêmes, doit être profondément enraciné dans la vie quotidienne de cette classe. Reste le problème de l'étranger dont nous sommes partis ... Les étrangers aussi sont soudés à notre vie, comme bien d'autres réalités encore ; mais mes élèves de 4e12 ne le ressentent pas comme tel. L'école les a trop habitués à faire fi, dès qu'ils en avaient franchi le seuil, de tout ce qu'ils désignent comme leur "vraie vie" par opposition à la vie artificielle du C.E.S. Et comment s'arranger pour vivre dans de telles conditions autre chose que des autopsies d'échecs et des discussions sur la répression dans cette même école ?

 


TEXTE LIBRE D'YVON : (4e aménagée)

 Le lycée est comme une immense usine ; il domine la cité ; il attend avec ses innombrables yeux vitrés, les élèves qui se pressent en courant. Ils se rangent en attendant leurs profs qui quelquefois sont animés de sombres intentions. Dans la cour, les surveillants, comme des araignées répugnantes dans le milieu de leur toile, guettent quelques victimes imprudentes...

 Un bruit retentit sous le préau en fer-blanc, c'est la cloche qui donne le début du travail. Les élèves s'empressent dans le mince couloir du bâtiment ; puis, surgit du fond de son trou, le sous-directeur. Comme un chien de garde terrible et respecté, il n'attend qu'une seule occasion pour coller au mur de la permanence quelques élèves turbulents. C'est triste de voir ça, on a envie de se révolter, mais à quoi bon. Rien ne sert de se battre, ce n'est pas la faute des surveillants ou du sous-directeur, eux aussi sont obligés d'être comme cela ; ils doivent le faire pour que l'ordre règne dans le lycée.

 

 

André SPRAUEL

81 bd d'Anvers

67000 Strasbourg