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"Certains silences se montrent plus conflictuels qu'un échange d'injures"

Octobre 2003

Éditorial « Certains silences se montrent plus conflictuels qu’un échange d’injures »
Marc de Smedt – Eloge du silence

Souvenez-vous, mai-juin 2003 !
La France est plongée dans l’agitation sociale. Alors que la fonction publique se mobilise contre la réforme des retraites et s’oppose au projet de loi sur la décentralisation,les représentations syndicales se heurtent à un mur de silence bâti sur une détermination idéologique qui rend le gouvernement autiste face à un quelconque espace de négociation. Bilan : de cette incapacité gouvernementale à gérer un conflit social naissent mauvaise humeur générale, colère, discours corporatistes partisans, la réflexion citoyenne cède ainsi le pas aux
communautarismes de tous poils.

Pourtant, l’école de la République pourrait être une école de la culture du conflit.
Une école où le débat comme source de résolution des conflits permettrait aux enfants d’exercer leur citoyenneté tout en construisant des savoirs d’altérité, des savoirs où il convient moins d’essayer de convertir l’autre à ses propres idées que de lui laisser un espace pour évoluer et se construire. Tous les chercheurs un peu sérieux qui se sont penchés sur les questions de citoyenneté sont au moins unanimes sur un point : on ne peut pas décemment faire vivre dans un espace déterminé un certain nombre d’individus sans qu’existent des instances de régulation. En effet, pour passer de la somme d’individus au groupe, il faut que naissent une identité collective, une culture où chaque individu est reconnu en tant que sujet unique, mais aussi reconnu et accepté dans une communauté pensante et agissante qui se co-construit au gré des tensions que génèrent les aléas du quotidien.
Quand Freinet recueille dans son école des enfants d’immigrés espagnols et des jeunes de la banlieue parisienne, le climat ne peut être qu’explosif. Mais au lieu de ségréguer les espaces et le travail, il renforce l’idée de conseil coopératif, espace de discussion qui prouve qu’il est possible de faire naître le débat au sein d’une communauté éducative, et surtout qu’il est possible de faire vivre et travailler ensemble, autour de projets communs, des individus a priori fort différents. Cette volonté de prendre en compte les différences pour créer une dynamique collective dans le travail fait de Célestin Freinet l’un des plus grands humanistes de son temps.
C’est effectivement par la gestion des conflits via le dialogue que se fonde la loi démocratique. Mais pour défendre cette thèse, encore faut-il être convaincu qu’une solution collective et coopérative existe, encore faut-il être porteur d’un projet politique qui intègre le conflit comme condition intrinsèque de l’évolution. Henri Laborit explique qu’en cas de danger, l’homme recours à trois solutions : la fuite, la soumission ou l’affrontement. L’ICEM n’a jamais fui les problèmes et n’a encore moins été soumis. « Ce n’est pas avec des hommes à
genoux qu’on mettra la démocratie debout » a déclaré Freinet. Affrontons les problèmes, de face, courageusement, tous ensemble, afin de bâtir une société qui soit davantage sur le consensus que sur le compromis. C’est ce que nous tentons, dans la pluralité de nos pratiques, de mettre en place au quotidien dans nos classes.
Et si les hommes qui constituent l’actuel gouvernement Raffarino-Chiraquien étaient allés à l’école de Freinet, peut-être auraient-ils appris à dialoguer avec la « France d’en bas ».