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Naissance d'une pédagogie populaire 1 : Avant-propos

 

Avant-propos
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    Ce livre est le livre des faits. Il est la consécration des bonnes volontés en faveur de l'œuvre commune et il est surtout le plus grand effort collectif tenté à la gloire de l'enfant. C'est parce que l'enfant est là, exigeant dans son actualité comme dans son devenir, que va s'élargissant la masse des artisans « ouvrageant » en sa faveur. Ainsi se forge, sans prétention, le beau métier d'enseigner, ainsi se construit une pédagogie valable pour le plus grand nombre.
    Le plus grand nombre, est-ce une garantie ? Aux yeux des clercs, la masse porte en elle un je ne sais quoi de fruste et de péjoratif se situant en deçà de la culture. Il lui manque cette initiation préalable par laquelle, de palier en palier, on accède à ce pur intellectualisme qui sacre le spécialiste de la pensée.
    Les artisans de l'Ecole publique n'ont pas eu, il faut le reconnaître, cette initiation préalable. Faute de comprendre les livres gonflés de docte science, ils ont usé de ce bon sens populaire qui est la marque de ceux qui ne font pas profession de penser. Ce bon sens, au demeurant, leur est apparu comme un outil excellent de critique et de jugement qui pour finir les a menés bien loin.
    Ras de terre, à même la vie, ils sont arrivés à cette constatation simple : « Il y a plus de vérité dans une troupe d'enfants que dans tous les livres de pédagogie du monde. » Sans arrière-pensée, ils sont devenus les bergers des enfants, attentifs à la brebaille comme à la bête individuelle, Rengageant dans les servitudes permanentes qui ne laissent pas de repos. Et ce faisant, ils se sont aperçus que l'initiation préalable n'est point, comme voudrait le faire croire une aristocratie intéressée, une grâce presque fortuite, mais simplement un acte de bon vouloir, qui lentement aboutit à la perfection de la chose bien faite.
    Faire bien son métier ! Telle est la noble ambition de nos artisans-éducateurs. Et il ne faut pas croire que ce ne soit là que naïve occupation de tâcherons consciencieux : rien n'existe qui ne soit d'abord mis en actes. Dans les cheminements d'une activité voulue, orientée, pensée avec son esprit comme avec ses mains, qui progressivement s'alourdit d'expérience et d'idées, on arrive à une autre culture, celle des actes réussis.
     C'est sous ce signe que se situe toute l'histoire de la Coopérative de l'Enseignement Laïc et du mouvement de l'Ecole Moderne (Techniques Freinet).
     La réussite de celui qui sait faire son métier nous semble à nous la chose la plus enviable, non seulement parce qu'elle consacre la valeur du praticien, mais parce qu'elle est toute en faveur de l'enfant dont nous avons charge d'âme. Le métier, ici, n'est pas l'habituelle besogne qui simplement liquide le présent ; il est sans cesse préparation de l'avenir, responsabilité dans l'efficience de demain et c'est ce qui nous rend graves et susceptibles parfois dans nos exigences et nos devoirs.
     Ce métier bien fait, celui qui le sait s'aperçoit bien vite qu'il ne le saura jamais tout entier. La vie est là qui sans cesse modifie l'aspect des choses, change les données et appelle d'autres pratiques. C'est pourquoi celui qui sait a besoin à son tour d'appuis et de conseils et que le savoir tout naturellement prend la forme de l'idéal compagnonnage où la leçon sort toute seule du geste réussi en commun.
     C'est seulement quand on a fait que l'on a le droit de parler. Et si l'on parle, c'est simplement pour dire comment il faut prendre les choses dans leur bon biais.
     Ceux que vous entendrez parler au cours de ces pages, ce sont ceux qui d'abord ont beaucoup besogné. Ceux qui ne parlent pas sont accrochés aux actes et leur silence n'est point oubli ni pauvreté, mais conscience du travail à terminer, explorations dans les avant- gardes où se nouent les initiatives.
     C'est de la ruche tout entière que dépend la qualité du miel ; un miel qui prend ici son sens profond de nourriture et qui en sa substance se forme de toutes les exigences de l'enfant pour lequel il est butiné. C'est par la simple obéissance à la loi du métier qui nous courbe vers le troupeau que nous allons ainsi coude à coude, sans rivalité déloyale ni prétention orgueilleuse, là où nos brebis veulent bien nous mener.
     Et l'avenir est devant nous.
E. F.