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Naissance d'une pédagogie populaire 1 - Un outil décisif : l'imprimerie

 

UN OUTIL DECISIF : L'IMPRIMERIE
 
   Et en mai 1929, pour parfaire cette liaison permanente d'une théorie nouvelle et de la pratique scolaire, liaison qui restera son plus grand souci, Freinet développe cette conception : un outil peut à lui seul faire reconsidérer toute la science pédagogique ; l'imprimerie est à la base d'un comportement et d'une orientation nouveaux de l'enfant et de l'éducateur, donc de toute la pédagogie.
 
UNE TECHNIQUE NOUVELLE DE TRAVAIL SCOLAIRE
 
     L'Imprimerie à l'Ecole est certes un grand progrès, nous a-t-on dit encore, mais nous ne pouvons la considérer comme une panacée universelle.
     Les éducateurs qui formulent cette critique inconsistante ont sans doute l'excuse de n'avoir pas étudié d'assez près nos travaux : ils auraient vu que nous avons insisté bien souvent sur la nécessité de ne pas considérer l'Imprimerie à l'Ecole comme une méthode, mais de ne voir en elle qu'une technique de travail libre et créateur, au service d'une véritable éducation prolétarienne.
    Cette innovation apporte cependant des possibilités nouvelles spécifiques par lesquelles elle marquera sans doute la pédagogie. Les meilleurs éducateurs contemporains nous prônaient l'activité libre enfantine et l'expression intime de la personnalité ; les relations d'expériences où on avait fait à l'enfant une plus grande confiance ne manquaient pas d'être enthousiasmantes. Hélas ! pour des raisons multiples, matérielles, individuelles et sociales, nos classes populaires, pauvres, surchargées, paralysées par la hantise des programmes et des examens, ne pouvaient nullement s'engager dans la voie nouvelle. L'Imprimerie à l'Ecole a fait tomber dans le domaine de la pratique quotidienne l'expression libre et l'activité créatrice de nos élèves. Par l'expérience, plus efficace que les raisonnements prétendus scientifiques, elle a ouvert des horizons nouveaux à une pédagogie basée sur les intérêts véritables, générateurs de vie et de travail. Elle a, du coup, comme nous le signalions dans notre dernier article, rétabli l'unité de la pensée, de l'activité et de la vie enfantines ; elle a intégré l'école dans le processus normal d'évolution individuelle et sociale, des élèves.
    Ces considérations sont, pour nous, essentielles et fondamentales.
    L'enfant qui sent un but à son travail et qui peut se donner tout entier à une activité non plus scolaire, mais simplement sociale et humaine, cet enfant sent que se libère en lui un besoin puissant d'agir, de chercher, de créer. Nous avons constaté, émerveillés, que les élèves ainsi tonifiés et renouvelés fournissaient librement un travail bien supérieur, qualitativement et quantitativement aussi, à celui qu'exigeaient les vieilles méthodes oppressives. Et toutes les classes qui ont introduit l'Imprimerie à l'école ont apprécié ce persistant enthousiasme des élèves, non seulement pour les disciplines directement motivées par l'imprimerie, mais pour toute l'activité scolaire en général.
    On objectait volontiers aux initiateurs qui offraient en exemple des expériences concluantes qu'un tel appétit scolaire ne pouvait venir que d'un rayonnement particulier de l'éducateur. Or, les résultats que nous signalons ont été obtenus dans toutes les écoles travaillant à l’imprimerie, quelles que soient les aptitudes particulières du maître. Il a suffi que celui-ci ait assez d'humilité et d'humanité pour « descendre de sa chaire, quitter le cothurne du style radoteur et savant... » et se mettre tout entier au service des enfants.
     Si, comme nous le prouvons, l'élève qui peut enfin travailler dans le sens de sa personnalité, n'a plus besoin d'être grondé ni stimulé pour fournir un travail consciencieux, c'est toute la vieille conception scolaire qui s'écroule.
     L'enfant semblait, par nature, fainéant, tricheur, menteur, hostile à tout effort. Il fallait, pour parvenir aux fins éducatives demandées par les règlements, tour à tour obliger, récompenser, punir, attirer par le jeu, la nouveauté, les trompeuses images, — tous procédés qui ont suffisamment montré leur impuissance à résoudre définitivement les complexes problèmes de l'intérêt scolaire.
  Voici le renouveau : l'enfant a soif de vie et d'activité. Nous utilisons cette, aspiration en mettant à sa disposition les « instruments » d'instruction et d'éducation que nous croyons utiles à son élévation et en travaillant à la réalisation des conditions matérielles et sociales qui la permettront.
     C'est certes là une conception originale du milieu éducatif, comme une technique de travail totalement différente des procédés actuellement en usage, technique qui ne saurait s'accommoder des vieux outils et notamment des manuels scolaires, symbole de La pédagogie oppressive.
     Nous reprendrons d'autre part l'étude de la conception matérielle et sociale du nouveau milieu scolaire. Nous donnerons seulement aujourd'hui un aperçu de notre technique de travail dans l'école sans manuel scolaire.
     Nous n'allons plus chercher dans les livres ni dans les programmes la base essentielle de notre effort éducatif. Toute pédagogie est faussée qui ne s'appuie pas, d'abord, sur l'éduqué, sur ses besoins, ses sentiments et ses aspirations les plus intimes. Nous scruterons donc l'âme de l'enfant et nous avons, pour y parvenir, une technique qui s'est révélée suffisamment opérante : la rédaction libre, l'imprimerie à l'école et la correspondance interscolaire. Cette expression spontanée sera tout à la fois un épanouissement des personnalités, et une occasion scolaire d'acquérir, d'amplifier et de préciser les diverses acquisitions : langue, grammaire, vocabulaire, sciences, histoire, géographie, morale, en greffant logiquement sur l'intérêt enfantin ainsi extériorisé des disciplines prévues au programme.
    Ici se manifeste crûment l'orientation nouvelle de notre pédagogie : avec le manuel scolaire, c'est le livre qui crée, toujours artificiellement, l'intérêt. Nous disons que c'est là une grave erreur : le livre ne doit servir à l'école qu'à satisfaire, et approfondir l'intérêt de l'enfant.
    Nous avons permis à cet intérêt de se manifester pleinement ; comment l'exploiterons-nous pour nos fins éducatives ?
    Il est nécessaire que les diverses études entreprises répondent et s'adaptent à l'activité enfantine au lieu de demander à celle-ci de se plier à l'ordre scolaire. Or, il n'existe rien à ce jour qui ménage de telles possibilités, savoir trouver spontanément, dans le matériel scolaire, les lectures spéciales, les guides pour activités intellectuelle et manuelle qui permettront à l'enfant de s'épanouir tout au long du jour, dans le sens de ses besoins… Nous avons bien groupé dans notre bibliothèque les livres de travail que nous avons pu nous procurer. Hélas ! les manuels scolaires sont, pour l'instant, les seuls à notre portée, mais ils ont perdu, du moins, leur caractère spécifique de manuel et n'ont pour nous que le défaut de manquer de souplesse technique et de ne pas répondre totalement aux nécessités nouvelles.
    Il faudra susciter l'édition — ou l'entreprendre nous-mêmes — des éléments de travail adaptés à nos besoins.
    Le fichier scolaire, dont nous avons lancé l'idée, et que nous essaierons peut-être de réaliser, sera notre principal outil : moderne, extensible et perfectible à souhait, il nous permettra de mettre, au moment voulu, entre les mains des élèves, les documents divers — littérature, sciences, géographie, histoire, etc... — qui répondent à l'intérêt dominant.
    Ce fichier devra être complété aussi par une bibliothèque de travail, composée de livres divers conçus sur un plan nouveau, et qui restent encore tous à réaliser.
     Malgré cette absence presque complète d'un matériel scolaire adapté à notre technique nouvelle, nous obtenons, depuis quatre ans dans des classes difficiles — mais sans manuel — des résultats nettement encourageants.
     L'expérience que nous menons cette année dans une classe à trois cours et préparant au C.E.P. et où, par le seul appétit d'activité que nous avons suscité, il nous a été possible de mener en quelques mois, à un niveau normal, 35 élèves scandaleusement retardés, nous montre avec certitude la supériorité technique de notre conception scolaire.
     Mais nous savons aussi que la majorité des instituteurs ne s'engageront sur la nouvelle voie que le jour où le matériel éducatif sera définitivement adapté. Et c'est pourquoi, sans négliger la direction pédagogique et idéologique de notre mouvement, nous nous attachons tout spécialement aux réalisations matérielles qui le conditionnent.
 
PEDAGOGIE COOPERATIVE
    Dans cette C.E.L. qui déjà s'affirme avec tant d'autorité dans le monde pédagogique, règne une activité collective, fraternelle, qui va enrichissant de semaine en semaine le bien commun. Et tout d'abord, voici la liste des adhérents imprimeurs au 1er octobre 28 :
 
(Allier)
M. Chéry, à Désertines.
M. Virmaux, à Châtillon, par Noyant-d'Allier.
 
(Alpes-Maritimes)
M. C. Freinet, à Saint-Paul.
M. Aicard, Le Cannet-Four à Chaux.
M. Spinelli, 9, avenue de Verdun, Menton.
M. Barel, rue Longue, Menton.
MIle Monnod, aux Courmettes, par Tourrettes-sur-Loup.
Mme Aicard, Le Cannet-Four à Chaux.
 
(Ardennes)
M. Jayot, à Sailly, par Carignan. M. Voirin, à Chèmery-sur-Bar.
 
(Ariège)
M. Subra, à Antras, par Sentein. Mme Garmy, à Suc, par Vicdessos.
 
(Basses-Alpes)
M. Maurel, à Valensole. Mme Burle, à Allemagne.
 
(Basses-Pyrénées)
M. le Directeur de l'Ecole Normale de Lescar. M. R. Lallemand, Maison des Petits, à Lescar.
 
(Cantal)
M™' Lavergne, Le Claux.
 
(Charente)
M. Brunet, à Suris.
 
( Charente-Inférieure )
M. Bernard, Saint-Savinien.
M. Girard, prév. de Lannelongue, par St-Trojan-les-Bains
M. Fragnaud, à St-Mandé, par Aulnay-de-Saintonge.
 
(Dordogne)
M. Delbos, à Lembras.
M. Lavaud, à Saint-André-le-Double, par Saint-Vincent- de-Cubzac.
M"' Baylet, à Marsaneix, par St-Pierre-de-Chignac.
 
(Eure-et-Loir)
M. Pichot, à Lutz-en-Dunois. Mme Pichot, (d°).
 
(Finistère)
M. Daniel, à Trégunc.
M. Le Treis, à Daoulas.
Mme Cornée, (d°).
M. Oaruel, à Landrévarsec, par Briec.
M. L'Haridon, à Beuzec-Conq.
 
(Gard)
M. Rousson, à Masdieu-Laval, par la Grand-Combe.
 
(Gironde)
M. Boyau, à Camblanes.
Mme Boyau, (d°).
M. Carayon, à Saint-Jean-d'Ulac.
M. Boussinot, à Auros.
M. Lavit, à Mios-Lilet.
Mlle Bouscarut, à Saint-Aubin-de-Médoc.
M. Gorce, à Margaux-Médoc.
Mme Audureau à Pellegrue.
 
(Hautes-Alpes)
Mme Lagier-Bruno, à Prelles.
Mme Lagier-Bruno, à Saint-Martin-de-Queyrières.
 
(Haute-Savoie)
M. Baritel, à Scionzier.
M. Dunand, à Pratz-sur-Arly.
 
(Indre-et-Loire)
M. Ballon, à Pont-de-Ruan.
M. Delanoue, à Ballan-Miré.
M. Bieret, à Beaumont-la-Ronce.
 
(Isère)
M. Faure, à Corbelin. Mme Faure, (d°).
M. H. Guillard, à Satolas-et-Bonce, par La Verpillère.
 
( Loire-Inférieure )
M. Guilloux, directeur école plein air Château-d'Aux, par La Montagne.
 
(Loiret)
M. Gauthier , à Solterre.
 
(Lot-et-Garonne)
M. Bordes, à Ségalas, par Lauzun.
 
(Marne)
M. Schouler, Petit Bétheny, Reims.
 
(Meurthe-et-Moselle)
M. Hoffmann, à Bouxières-sous-Froidmond, par Pont-à- Mousson.
 
(Nord)
M. Wullens, à Somain.
 
(Oise)
Mlle Venit-Ginet, à Lormeteaux.
 
(Pyrénées-Orientales)
M. Michel Noé, à Pollestres. M. Pages, à Prats-de-Mollo.
 
(Rhône)
M. Bouchard, 83, rue Bossuet, Lyon. M™ Forest, Grandis.
Mlle Mathieu, (d°).
Mme Bouchard, 59, rue de la Part-Dieu, Lyon (3e).
Mme Jeanne Ballanche, Francheville-le-Haut.
M. Rochat, boulevard Laurent-Gerin, Vénissieux.
 
(Sarthe)
M. Leroux, Neuvillette-en-Charnie.
Mme Leroux, (d°).
M. Coutelle, Chemiré-en-Charnie.
M. Roulin, Chevillé.
 
( Seine-Inférieure )
M. Vittecoq, Bourville.
M. Briard, Saint-Léger-du-Bourg-Denis.
M. Leroux, 34, rue Séry, Le Havre.
 
(Seine-et-Oise)
M. J. Fannonnel, La Villette-aux-Aulnes.
M. Philipson, à Dampierre.
 
(Var)
M. Alziary, à Bras.
 
(Vienne)
M. Rivière, Ouzilly.
 
(Vosges)
M. le Directeur Ecole annexe Ecole Normale.
Mirecourt. M. P. Georges, Les Charbonniers.
 
    ETRANGER
(Angleterre)
M. H. Satay, 18 A. Grand Avenue, Bournemouth, Hants.
 
(Belgique)
M. Van Derveken, rue Prospérité, Bruxelles.
M. Havaux, rue du Peuple, Pâturages (Hainaut).
M. A. Wouters, 94, rue Général-Leman, Anvers.
M. Lebbe, à Souture-Saint-Germain (Brabant).
Mme Hamaïde, Ecole Decroly, Uccle-Bruxelles.
 
(Espagne)
M. M. Ouet, Apartado 961, Madrid.
M. Jésus Sanz Poch, Profesor, Escuela Normal de Maestros, Lérida.
M. Antonio Garcia-Martin, Chito Granada.
 
(Maroc)
M. Perron, Ecole professionnelle de Tanger.
 
(Pologne)
M. Jerzy Woznicki, Babice, Pow, Wavswski, Porcz. Odo- lany.
 
(République Argentine)
M1'6 Champeau, Montecaseros 1415, Mendoza.
(Tunisie)
M. Magnan, place de la Gare, Sousse. M. Meunier, Ecole Casquet, Sfax.
 
    Nous voudrions avoir beaucoup plus de place pour raconter comment tous les adhérents dispersés dans les villages de France, ou au loin à l'Etranger, s'ingénient à apporter leur obole constructive à la maison commune. C'est d'abord la perfection continuelle des outils de base : à la suite de recherches patientes qui demandent, on le devine, d'incessants tâtonnements et mises au point, des frais inévitables, des pertes de temps, deux presses nouvelles voient le jour, presses « automatiques », s'il vous plaît ! belles à l'œil, et qui rendent : la presse Dunand et la presse Pagès ; saluons-les au passage ; car, comme tout matériel de la C.E.L., elles seront à leur tour révisibles... Bordes (Lot-et-Garonne) s'occupe des rouleaux encreurs et en assure la fabrication. Rivière (Vienne) est spécialisé dans la fourniture des casses. Pichot (Eure-et-Loir), dans une série d'articles, étudie le mobilier scolaire, et c'est, tout au long de l'année, les petits trucs, les bricolages, que les plus ingénieux proposent aux camarades : procédés d'illustration : Roulin (Sarthe), Bouscarrut (Gironde), Gourdin (Ardennes), — Comment faire des imprimés sans taches ? Comment contrôler les composteurs dans un miroir ? etc... Mais au-delà de ce matérialisme manuel, c'est sans cesse la contribution de tous au perfectionnement des techniques d'enseignement et une porte ouverte sur l'horizon intellectuel qui domine la pédagogie. Dans une série d'articles, Mme Lagier-Bruno (Hautes-Alpes) rend compte de son expérience pour l'apprentissage de la lecture avec l'imprimerie, et sous un angle attachant de vie sensible et subtile, complète les données de Freinet à Bar-sur-Loup.
    Pour les camarades observateurs, le « texte libre » apparaît comme le générateur permanent des centres d'intérêts échelonnés au cours des saisons, si riches, si complets, qu'ils dépassent les programmes et conduisent à un tour d'horizon de toutes les connaissances que l'on mettra à la disposition de l'enfant. C'est ce qu'indiquent A. et R. Faure (Isère) après un an d'expérience avec l'imprimerie. Jusqu'ici ils ont travaillé avec les centres d'intérêt de Decroly. Dans l'« Ecole vivante », parue dans l' « Ecole émancipée », ils avaient fait une adaptation de la méthode Decroly à des classes primaires. Le texte libre vient changer leurs conceptions : pour le Maître qui doit « tout savoir », il est nécessaire d'avoir une classification, une ordonnance de connaissances, et là c'est à Decroly que nous nous adressons. Mais, l'enfant, lui, n'a rien de préconçu : « La vie ne comporte pas de classification rigoureuse. » A la faveur du texte libre, sans contrainte, l'éducateur élargira l'horizon de l'enfant, comme l'élargiront les correspondances interscolaires.
   C'est la même idée que défend Rousson (Gard) :
 
     Les deux méthodes quoique d'aspect différent, peuvent très bien se compléter.
     Mes élèves enchantés de l'imprimerie, m'apportent chaque matin un texte. Rares sont ceux qui n'ont rien fait.
     Avec plaisir, ils ont en novembre fait parvenir un colis à leurs camarades de Lutz, colis comprenant des échantillons de la flore de notre pays. Aussitôt s'est manifesté le désir de décrire « notre colis ». Voilà, n'est-ce pas, un centre d'intérêt alléchant qui me vaut ces questions :
     Monsieur, je peux décrire le figuier...
     — Et moi le mûrier...
     Le travail est alors plus nourri, plus attrayant, puisqu'il reste libre, tout en se rattachant au centre d'intérêt : notre colis. Lorsque le sujet fut exposé, un élève proposa le suivant : Notre village. Aussitôt, les questions fusent : Monsieur, on peut décrire le faubourg ? — Parfaitement. Vous pouvez parler de tous les coins de terre, de toutes les agglomérations qui se rapportent au village et aux environs immédiats. Nous allons dresser un tableau de sujets se rattachant à ce centre d'intérêt. Chacun arrive avec le texte qui l'a intéressé le plus. Je remarque, lorsque les sujets sont épuisés, que personne n'a décrit le village du Pradel. Je me rappelle alors que des animosités diverses existent entre les deux villages, et j'attribue l'abstention constatée à cet état de choses...
 
   Mais des camarades sont partis beaucoup trop étourdiment de cette notion des centres d'intérêts et ont ainsi jugulé la vie de l'enfant et travaillé pour ainsi dire à contre-cœur. C'est le cas de Caruel (Finistère) qui a voulu imposer à la Gerbe des centres d'intérêts un peu trop systématiques. Gauthier (Loiret) lui en fait la critique : « Ce qui fait le charme de la Gerbe, n'est-ce pas cette liberté d'inspiration, cette spontanéité qui ne sera jamais égalée si nous en imposons, si peu que ce soit, le sujet ? »
    Cette grave question de la Gerbe est très souvent à l'ordre du jour. Il y a maintenant douze équipes qui collaborent par paires. Chaque mois Freinet donne les précisions nécessaires pour les collaborations, le tirage, la reliure. Et au-delà de la Gerbe, les « Extraits de la Gerbe » commencent à devenir en fait peu à peu étrangers à la Gerbe pour exprimer des inspirations plus profondes, plus axées sur une unité d'aspiration.
    Les échanges interscolaires ont toute la sollicitude de Freinet. C'est lui, pour l'instant, qui organise les équipes parce que mieux que tout autre il connaît les caractéristiques des écoles diverses. Déjà en novembre 1928 il y a quatorze équipes de huit correspondants. Voici, à titre d'exemple, une de ces équipes :
 
EQUIPE N° 1
    Boyau, à Camblanes (Gironde) correspond avec Alziary, à Bras (Var).
    Dunand, à Pratz-sur-Arly (Hte-Savoie) cor. avec Freinet, à Saint-Paul (A.-M.)
    Jayot, à Sailly (Ardennes) cor. avec Bernard, à St- Savinien (Char.-Inférieure).
    Voirin, à Chémery-sur-Bar (Ardennes) cor. avec Jacquet, à Tabanac (Gironde).
 
    La connaissance personnelle de l'enfant, en dehors de l'aspect subjectif que reflète le texte libre, est aussi un élément nouveau à incorporer à une pédagogie neuve. C'est pourquoi M. Duthil amorce la question des tests qu'il expose avec une clarté, une simplicité, qui ne souffrent pas de coins obscurs :
 
     Qu'est-ce qu'un test ? C'est une épreuve objective qui doit avoir pour résultat de mettre en relief une aptitude ou un niveau d'instruction, en donnant à ces mots leur sens le plus large. Ce qui caractérise ces épreuves, c'est leur mode d'élaboration, leur emploi, leur mode de correction et leur utilisation.
 
    En fait, le test, contrôle objectif qui permet, — selon du moins les exposés de ses défenseurs, — de déceler et les « connaissances » et les « aptitudes » de l'enfant, n'a pas de succès auprès de nos camarades. Nulle réaction profonde, nul désir de suivre la voie qui pourtant selon Duthil doit arriver à une « individualisation » de l'enseignement et non à la « standardisation » qui en est l'antipode. Pourquoi cette indifférence ? C'est je crois que les tests, même les plus naturels, les mieux liés à l'activité enfantine, n'ont point acquis encore cette subtilité qui leur permettrait de devenir facteur intégrant de la personnalité. Qui dit « test » dit « contrôle » ; or le contrôle est une barrière qui s'oppose au flot du courant. Le test idéal doit laisser passer le courant, être lié au facteur essentiel de « temps », tout en étant le témoignage d'un instant de la personnalité avec ces caractéristiques de « dynamisme » et d'« unité ».
    Il est indispensable que nos éducateurs prennent contact avec les grands mouvements pédagogiques de France et de l'Etranger ; c'est pourquoi Freinet fit toujours son possible pour que le groupe de l'Imprimerie à l'Ecole collabore aux revues syndicales et au mouvement d'Education nouvelle ; il adhère au Groupe français depuis ses débuts de Bar-sur-Loup, et participe à tous les Congrès ; en 29, c'est Pichot et Leroux qui représentent la C.E.L. au Congrès de Paris. « Bonnes journées pour l'Imprimerie » disent nos camarades.
 
     Notre stand était bien placé et l'affluence a été constante. Les visiteurs marquaient un grand étonnement et souvent une, grande incompréhension. De nombreux directeurs d'Ecoles Normales, Inspecteurs primaires et instituteurs s'y sont particulièrement intéressés et se sont promis d'avoir sous peu aussi leur imprimerie.
Les Directeurs de la Nouvelle Education sont d'ailleurs très sympathiques à notre mouvement, et M. Cousinet appréciait brièvement nos travaux en disant fièrement à M. l'Inspecteur du Haut-Rhin : « C'est très bien. J'en ai trois dans ma circonscription... »
 
    Dans chaque numéro de l' « Imprimerie à l'Ecole », sous la rubrique « les journaux et les revues », Freinet et quelques camarades font un rapide tour d'horizon des incidents pédagogiques nationaux et la « Documentation internationale », par le truchement de l'Espéranto, permet à Boubou de prendre connaissance de la pédagogie étrangère pour en voir les innovations, les particularités, et la confronter avec notre pédagogie populaire.
    Des expositions de matériel sont faites dans les grandes villes de France par nos adhérents et à nouveau ce sont des adhésions nombreuses parmi lesquelles Poujet (Marne), Pichon (Finistère), Gourdin (Ardennes), Masson (Loire-Inférieure), Lallement (Marne).
    Deux rubriques nouvelles sont amplement alimentées dans tous les numéros de l' « Imprimerie à l'Ecole » : ce sont celles du « Cinéma » et de la « Radio », techniques neuves à l'époque et qui suscitent dans les écoles rurales un intérêt inouï. O. et R. Boyau seront pendant des années les animateurs de la « cinémathèque » créée à Angers. Inlassablement, ils exposent les détails techniques du cinéma à l'école, et, au-delà, les avantages, les richesses du cinéma éducatif. Ils mettent au point des catalogues de films en location, d'une ampleur remarquable. Ils composent méticuleusement des soirées récréatives ; ils organisent surtout dans la France entière une location de films à la semaine qui est une sorte de géniale réussite. Que de temps passé sur ces petites bobines qui vont porter jusque dans les écoles rurales les plus reculées un instant de distraction et de joie !
    Il en est de même du rayon Radio tenu tour à tour par Lavit et Maradène (Gironde), qui, avec une inlassable patience, apprennent la construction de postes et peu à peu envisagent une conception neuve et hardie de la Radio scolaire.